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L’économie de l’Inde, une ’troisième voie’ entre libéralisme et socialisme ?

L’exemple des engrais chimiques

Frédéric LANDY

03 / 1994

A l’indépendance de l’Inde en 1947 se posa la question de savoir quel type de développement l’on tenterait de suivre. Le Premier Ministre, Nehru, était partisan de s’inspirer partiellement de l’exemple soviétique, et - dans un environnement plus démocratique cependant - de fonder l’économie nationale sur l’industrialisation lourde, sans que cela oblige cependant à nationaliser les grands groupes privés existants. D’autres prônaient un modèle plus libéral. Une troisième voie enfin était représentée par les Gandhiens qui souhaitaient le développement prioritaire des campagnes avec des villages en semi-autarcie. De ces trois courants (grossièrement schématisés ici), c’est le premier qui va triompher: la planification économique sera très directive, et surtout à partir du Second Plan quinquennal l’industrie lourde et les infrastructures acquièreront la priorité - cela avec l’approbation de la plupart des industriels étant donné que le secteur privé souffrait du manque d’infrastructures.

De cette "économie mixte", de cette "troisième voie" entre socialisme et libéralisme (qui a sa traduction politique dans le non-alignement), on voudrait donner ici un exemple: celui de la filière des engrais. Ce secteur est stratégique, car il commande en partie la production agricole, et donc l’autosuffisance alimentaire de l’Inde (acquise avec la Révolution verte, après les années 1960). Aujourd’hui l’Inde est 4e producteur mondial d’engrais; en 1951 elle consommait moins d’1 kg d’éléments nutritifs par hectare récolté, 40 ans plus tard 70 kg (ce qui reste faible). Ces succès sont en partie dus au rôle de l’Etat, présent dans tous les domaines au titre de l’"Essential Commodities Act" (1955): le secteur privé ne représente en 1992 que 38% de la production; les matières premières sont importées par l’Etat, et c’est l’Etat qui donne son autorisation pour toute demande de création ou d’extension d’usine, et qui même jusqu’à peu décidait de la technologie employée par le producteur privé (charbon, naphta, et de plus en plus gaz naturel). 60% des engrais sont distribués par le secteur privé, mais dans une "zone de marché" définie pour chaque producteur par l’Etat, en fonction des besoins et des capacités de chaque région, et du réseau ferré et routier: "pérequation" est le maître mot. L’Etat enfin fixe un prix aux producteurs leur assurant un revenu net de 12% quel que soit leur coût de production - ce qui n’encourage pas à la productivité; en retour il assure aux paysans un prix de vente unique à toute l’Inde, grâce à des subventions qui en 1991 représentaient plus d’1% du PNB.

Tout cela changea partiellement quand en 1991, à la suite d’une terrible crise financière, l’Inde dut passer par l’ajustement structurel: FMI et Banque Mondiale exigèrent que les subventions aux engrais soient drastiquement réduites. Et aujourd’hui, alors que les prix des engrais azotés restent contrôlés, les engrais potassiques et phosphatés ont été complètement libérés, avec des importations à des prix de dumping qui touchent de plein fouet une industrie en partie obsolète. Face à la hausse des prix, l’utilisation des engrais par les paysans a décru, ce qui pourrait avoir des conséquences sur l’autosuffisance agricole. Quant aux déséquilibres régionaux, ils vont s’accroître, les zones industrialisées bénéficiant d’engrais bon marché, alors que les zones sous-développés de l’Inde (à la fois du point de vue industriel et agricole)vont se trouver encore plus à la traîne. Plutôt que de réformer si vigoureusement un secteur qui certes avait besoin de transformations, il aurait mieux valu des réformes progressives étalés dans le temps.

Key words

structural adjustment, soil fertilization, State intervention, agricultural policy


, India

Comments

Avec la libéralisation économique en cours depuis 1991, la "troisième voie" indienne s’infléchit vers une économie capitaliste libérale. Les contraintes de productivité seront mieux respectées, au détriment de l’égalité régionale et sociale (qui certes n’a jamais été réellement atteinte depuis l’Indépendance). Il reste que l’Inde gardera ses spécificités pour longtemps encore. L’Etat n’est pas prêt à abandonner toutes ses prérogatives: d’ailleurs en ce qui concerne les engrais, le secteur des engrais azotés (le principal)reste sous son contrôle. La compétition engendrée par un libéralisme total n’est pas jugée souhaitable pour un pays de 900 millions d’habitants où les beoins de régulation sont trop forts.

Notes

Cette fiche a été élaborée à partir de ma thèse qui doit être publiée en 1994 sous le titre : "Paysans de l’Inde du Sud", chez Karthala. Premiers résultats d’une recherche en cours sur la libéralisation économique en Inde.

Source

Theses and dissertations

Frédéric LANDY

Université de Paris 10 (Centre d’étyudes de l’Inde et de l’Asie du sud) - 59 Rue Bazire, 76300 SOTTEVILLE LES ROUEN. FRANCE. Tel 33 (0) 140 97 75 58. Fax 33 (0) 140 97 70 86 - France - frederic.landy (@) wanadoo.fr

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