3 - La communication une question d’autorité
10 / 1993
L’évaluation, au sein des groupes d’action de VCDA, de l’impact de leurs initiatives d’action culturelle et sociale, bute régulièrement sur les limitesde ces actions en fait d’impact massif sur l’opinion générale. Ce problème n’est pas propre aux animateurs de VCDA. Il est congénital à de tels groupes de base, pour plusieurs raisons. Il faut d’abord les garder présentes à l’esprit afin de ne pas y répondre avec de fausses solutions, eu égard à la fonction spécifique de tels groupes.
Les coordinateurs des groupes locaux de VCDA notent que les animateurs ont une réelle expérience de leur environnement et articulent des observations pertinentes de la réalité socio-culturelle sur laquelle ils veulent agir. Ils projettent des intuitions souvent beaucoup plus fines que le savoir bureaucratique de fonctionnaires, que les connaissances d’experts de moyenne classe urbaine arrogants et à demi-instruits ou que les certitudes importées et stéréotypées de professeurs. Leurs réactions et leurs initiatives témoignent de potentialités théoriques et pratiques souvent parfaitement adéquates et originales. Comment se fait-il que ce potentiel ne diffuse pas plus efficacement et n’arrive pas toujours à générer la force collective souhaitée ? Cette question se pose aux trois niveaux du cadre conceptuel d’interprétation, de l’organisation des communautés concernées et des procédures et modes d’intervention envisagés.
Une première réponse immédiate se présente: les participants de ces groupes de base appartiennent tous aux basses couches de la société rurale et agricole. Ils projettent leur vision de la réalité spontanément, sans la distanciation requise pour percevoir plus objectivement la valeur et la pertinence de ce qu’ils articulent. Leur niveau de conscience est celui de l’immédiateté d’un bon sens qu’ils ont développé personnellement plus que d’autres au village, grâce précisément à l’auto-éducation qu’ils se donnent au sein de leurs groupes locaux, et d’un sens commun qu’ils partagent avec beaucoup d’autres villageois.
Deuxième réponse: Pour réussir à objectiver leur expérience, il leur manque précisément les outils d’une analyse socio-culturelle que personne ne s’est jusqu’ici préoccupé de leur donner. D’où l’impérieuse nécessité de développer une aptitude, dans les termes même de la langue quotidienne (suffisamment riche en marathi pour ce faire), à l’analyse critique, par la mise en place, dans leur esprit, de cadres conceptuels fondamentaux, les équipant des réflexes perceptifs critiques essentiels et des outils élémentaires de la médiation conceptuelle.
Mais une fois que ceci se fait, progressivement, au fils des années, dans les groupes de base, comment se fait-il que cette compétence n’entraîne pas une conviction plus assurée chez eux de la validité particulière de leur vision des choses, assez forte pour contrer les discours de fonctionnaires, d’experts et de professeurs, dans les lieux mêmes où ceux-ci se produisent ?
Une troisième réponse est indéniable et trop évidente: la maîtrise de la parole publique, sur un terrain autre que le leur, n’est pas l’apanage des sans-voix, eussent-ils commencé de retrouver leur langue. Les formes et les procédures des discours publics et des échanges académiques ne correspondent pas à leurs habitudes d’échange en commun ni à leur cheminement réflexif.
Une quatrième réponse plus fondamentale est essentielle: les systèmes de rapports et de communication établis, anciens ou nouveaux, traditionnels ou modernes, tels qu’ils fonctionnent dans les cadres des systèmes symboliques dominants, instituent tous des ordres de valeur et de rapport inégalitaires et hiérarchiques (parenté, caste, genre, etc.)qui donnent de l’autorité à certains et en enlèvent d’autant à d’autres. Formellement, a priori, par la force même du cadre relationnel qu’ils instituent, de tels ordres annihilent les potentialités des inférieurs, qui intériorisent un fort sentiment d’incompétence et de dépréciation de soi; ils renforcent, chez les supérieurs, sans besoin de validation ni de preuve, la certitude et l’assurance de leur supériorité incontestable. Le première obstacle rédhibitoire à l’impact des interventions des sans-voix et des sans-pouvoir n’est pas leur maîtrise des moyens de communication, problème purement technique, mais la question structurelle de l’autorité qui leur est refusée pour parler, penser, intervenir, proposer et décider légitimement, en connaissance de cause.
autonomy, communication, social differentiation, social innovation, legitimization of knowledge, power
, India, Pune
Le déni de compétence rend sourd au discours de celui qu’il atteint. "Si le docteur, un étranger, arrivent, les gens se dérangeront, écouteront et croiront aisément ce qu’ils leur racontent. Ils sont prêts à apprendre quelque chose de nouveau de ces autorités. Si nous (paysannes animatrices santé)on dit exactement la même chose, les gens ne nous écouteront pas sérieusement.Ils n’ont pas idée qu’ils peuvent apprendre quelque chose de nous. Ils ne se déplaceront pas pour venir entendre ce qu’on a appris et qu’on veut leur transmettre". La confiance en soi dépend de celle qu’on vous accorde. L’autorité, quand elle n’est pas une donnée structurelle, ne pourra jamais être que conquise par ceux qui en sont dépourvus par statut. La première stratégie collective d’un groupe de base, en fait de communication, est de trouver les atouts et les chemins de son "autorisation" sociale, au-delà du respect ou de l’appréciation que l’on pourra avoir pour les individus de ce groupe, personnellement.
VCDA = Village Community Development Association (Pune). Compte-rendu d’échanges avec des coordinateurs de groupes d’action socio-culturelle de base dans le cadre de VCDA dans l’ouest du Maharashtra.
Report
POITEVIN, Guy, CCRSS=CENTRE FOR COOPERATIVE RESEARCH IN SOCIAL SCIENCES
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