Une deuxième dimension cruciale de la communication est celle de la relation qu’elle institue entre des êtres distincts qui se parlent, relation de reconnaissance réciproque. Comme c’est par celle-ci que l’homme existe comme tel, à la différence de l’animal, on comprend que le désir de communication participe du fondement même de l’être humain et que la communication tende vers cette reconnaissance mutuelle comme vers sa fin. Celle-ci ne détruit pas l’altérité mais la confirme: il faut donc introduire la division dans la communication, non pas au sens de "frontière séparant deux domaines définis en toute autonomie" puisque l’un et l’autre n’existent que l’un par l’autre, mais au sens de tension entre des pôles d’un même champ. "Communiquer c’est, pour les individus, se rapporter les uns aux autres en même temps qu’ils s’en déportent. Jeu de similitude et de différence qui exige la médiation pour que se maintienne la bonne distance, de soi à l’autre et de soi à soi". C’est la dimension politique de la communication. Il nous importe particulièrement d’en saisir la portée, compte tenu de notre visée de construire un ordre démocratique en recourant aux chances extraordinaires que nous offrent les moyens modernes de communication et de relation.
La société démocratique moderne fonctionne "sur la péréquation en espace public, lieu de l’universel, et espace privé, lieu où nous nous privons de l’autre". Une des utopies attachées à la révolution technologique est celle d’une société informationnelle par transmission instantanée des informations à distance. Ferraroti la désigne sous le nom de société télématique. "La communication y serait réellement interactive. La convivialité se développerait grâce à la multiplication de réseaux qui organiseraient des groupes ouverts. On passerait d’une société pyramidale à une société au modèle réticulaire. Et se dissoudrait la séparation entre espace public et espace privé, le politique cessant d’être à distance et les moyens télématiques permettant une perpétuelle interaction de chacun et de tous dans une sorte de nouvelle agora." D’où le rêve d’un système plébiscitaire complet et quasi instantané permettant des référendums sur bon nombre de problèmes, grâce à l’ordinateur, au satellite, au téléphone, à la TV par câble, aux techniques de sondage, etc., le résultat arrivant dans chaque maison individuelle par les mêmes canaux.
Cette illusion de démocratie par participation directe de l’individu au tout menace de mort la démocratie occidentale car il décompose l’espace public par la privatisation du politique et il affaiblit l’intimité du privé par l’extension de techniques visant à sa publicité. L’espace privé devient un espace narcissique d’où l’individu démocratique (le citoyen)est absent. Selon Adorno : "Derrière une transparence apparente des relations entre les hommes, où plus rien n’est laissé dans le vague, c’est la brutalité pure et simple qui s’annonce". C’est dissoudre la société civile, défaire "l’instance autonome de l’opinion publique en lui substituant celle d’individus privés solitaires".
Il faut repartir de la différence entre espace privé et espace public, et de leur complémentarité conflictuelle. Dans l’espace de l’individualisme civique, l’autre est à la fois semblable et différent. Avec cet autre s’institue un type de relation où chacun est l’autre de l’autre et saisit son propre soi dans cette division d’un soi comme autre en même temps que comme soi. Dans le nouvel espace narcissique, il n’y a pas à proprement parler d’autre comme autre à la fois différent et semblable: l’autre y est soit totalement semblable et n’est plus un autre, soit radicalement autre et à ce titre objet de méconnaissance ou de rejet absolu.
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, France, Paris
Le mythe d’une société informationnelle et informatisée dissout la démocratie parce qu’il dissout l’individu et le citoyen en détruisant l’espace politique de la communication. Une interrogation sociologique et anthropologique sur la communication s’avère en dernière analyse, réciproquement, une interrogation sur le politique et sa visée."On ne saurait la réduire à une étude myope sur les conséquences des technologies nouvelles, les effets de la télévision sur les moeurs, les sociabilités originales engendrées par le minitel rose, les flux et reflux de l’imprimé, l’usurpation de pouvoir par ds nouveaux clergés médiatiques, les variations saisonnières des publics ou les conséquences du zapping sur le langge publicitaire, toutes questions pertinentes mais qui ne reçoivent sens que de leur assignation dans l’espace de l’individualisme démocratique. Société de l’individualisme, la société moderne repose sur un statut spécifique de la séparation des êtres et du type de conscience qui s’y rattache".
Citations extraites de l’article "La communication démocratique" de André Akoun qui a inspiré ces notes.
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POITEVIN, Guy, CCRSS=CENTRE FOR COOPERATIVE RESEARCH IN SOCIAL SCIENCES, PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE in. CAHIERS INTERNATIONAUX DE SOCIOLOGIE, 1993/01 (France), XCIV-1993
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