« La Colombie, dont les côtes s’étendent sur 3.200 km, est un pays consommateur de viande » explique Carlos Vieira, directeur régional des communautés de l’ONG Marviva qui agit en matière de préservation des ressources marines. « Et même le poisson consommé est probablement le “bar du Vietnam”, qui provient du Chili », ajoute-t-il. L’absence de poisson dans les assiettes des Colombiens révèle l’état de l’activité des artisans pêcheurs du pays.
Nous nous trouvions, mon collègue et moi, dans les bureaux de l’ONG à Bogota, après avoir visité deux villes côtières, Buenaventura – le plus grand port de Colombie - et Tumaco. Ces deux villes importantes se trouvent dans le département de Choco, majoritairement habité par les communautés afro-colombiennes. Ces paysages côtiers et leur réseau d’estuaires très étendus ont été les témoins du drame que constitue le trafic de drogue ces deux dernières décennies. Selon les spécialistes, les conditions d’extrême pauvreté dans ces régions ont obligé les communautés à mener des activités illégales et des actes criminels. De nombreux champs de coca, qui sont censés appartenir aux pêcheurs et sont cultivés par ces derniers, ont été détruits para la fumigation ou bien la pulvérisation aérienne de produits chimiques. Cela n’a fait qu’aggraver la détresse des communautés. Le bureau local de l’UNHCR aide ces familles à trouver d’autres revenus. Alejandro Bernal, chef des projets, nous a fait rencontrer Alex, jeune homme originaire de l’un des villages de pêche.
Alex et notre batelier Ajenor Salla ainsi que Wilson et Ignacio nous ont guidés jusqu’au village Chajal sur la rivière Chagui. Un village de pêche typique, comprenant entre 400 et 600 foyers, dont 60 % pêchent à marée haute et environ 20 % à marée basse. Généralement, chaque famille se consacre à la pêche durant toute une semaine et fait ensuite une pause d’une semaine pour mener d’autres activités telles que la culture de banane plantain, de noix de coco et de yucca.
Lors de notre visite du village, il nous a semblé évident que la protection des infrastructures publiques telles que les routes ou les passerelles intéressait peu le gouvernement. L’explication réside dans le fait que le financement doit provenir de programmes du gouvernement qui ne sont pas légaux. Heureusement, le village dispose d’un accès à l’eau car un aqueduc a été construit il y a quelques années pour apporter de l’eau des montagnes.
Problèmes économiques
Nos guides d’un jour sont membres d’organisations de villages locales appelées New Hope et New Horizon. Dans ces villages, 90 % des familles sont des familles de pêcheurs. Nous nous sommes assis dans le bureau de New Horizon, un bâtiment en bois sur pilotis, qui sert de point de collecte pour peser, laver et préparer les poissons pour le marché. Les 21 membres de ce groupe capturent environ 3 tonnes de crevettes par jour mais il n’est pas possible d’estimer la valeur totale de cette prise car les pêcheurs ne peuvent accéder aux marchés. Les membres participent à hauteur de 5.000 pesos (2 euros) par an aux dépenses de l’organisation et en échange ils peuvent bénéficier des facilités de crédit.
Ces organisations sont gérées avec l’aide de la Chambre de commerce de Tumaco afin que le collectif puisse accéder aux subventions et aux autres ressources fournies par l’État. Leur plus grande dépense est la glace pour stocker les poissons : chaque bloc coûte 10.000 pesos (4 euros) et chaque jour une moyenne de 40 blocs est nécessaire. Chaque famille reçoit également un crédit de 5 millions de pesos (2.000 euros) pour acheter un moteur pour leur bateau. Auparavant, ils devaient utiliser des rames pour se rendre sur les lieux de pêche.
À Buenaventura, nous avons été présentés à M. Santos et Maribelle, le trésorier et la secrétaire d’une coopérative de pêche artisanale créée il y a quatre ans. Les 100 membres de ce groupe de pêcheurs artisanaux ont géré ensemble une usine de stockage et de traitement de poissons proche de la galerie locale. Alors que la galerie proposait aux consommateurs locaux un large choix de fruits de mer crus et cuits, l’équipe du local à glace préparait le reste de la prise pour les marchés éloignés.
La version régionale du département national de développement rural, INCODER, agit en matière de pêche et de pisciculture. L’agence propose des solutions de cofinancement mais leur accès dépend de la réussite à l’épreuve ardue des formalités administratives et de la possession du montant minimum de 20 millions de pesos (8.000 euros). L’agence INCODER et le Ministère de l’agriculture avaient également promis de plus grands filets mais ceux-ci n’ont jamais été fournis. Les pêcheurs pensent que la pêche de subsistance n’intéresse pas le gouvernement.
Le conseil municipal et les autorités administratives locales sont présents mais n’agissent pas. La plupart des pêcheurs ne participe pas à la gestion des conseils. Pedro Wilson, un pêcheur connu pour son franc-parler, a déclaré qu’il lui est impossible d’assister au conseil car il ne peut pas se permettre de manquer une journée de travail. Les pêcheurs soutiennent que les problèmes des communautés de pêcheurs sont assez différents et ils préfèrent résoudre les leurs grâce à ces organisations professionnelles plutôt que par l’intermédiaire du conseil où leur voix a peu de poids. Ils nous indiquent clairement que l’aide qu’ils reçoivent ne provient pas de la mairie ou du gouvernement central mais de la Chambre de commerce.
Nous nous sommes entretenus avec Zaida Paterson, directrice de la Chambre de commerce de Tumaco. Elle soutient la cause des pêcheurs et a développé leur accès à plusieurs services financiers et de gestion. Elle dit totalement approuver le développement du secteur de la pêche avec des investissements dans les technologies améliorées en matière de stockage et le transport. Selon elle, c’est la meilleure façon d’améliorer la qualité de vie des familles se consacrant à la pêche. Notre conversation a fait ressortir le fait que sa préoccupation principale est d’éloigner les pêcheurs de la culture de coca et du trafic de stupéfiants. C’est après tout, selon elle, un problème conséquent, épineux, international qui complique la vie politique et économique de la Colombie en tant que nation ainsi que sa population.
Développer tout en préservant l’environnement
Lors de notre visite, les journaux nous ont appris qu’une entreprise canadienne envisageait de mettre en place l’exploitation pétrolière au large de la côte de Choco et qu’elle possédait toutes les autorisations nécessaires. M. Santos avait aussi mentionné un projet d’exploitation pétrolière qui n’était qu’au stade exploratoire et avait déjà occasionné des dégâts sur le milieu marin local et affecté les captures dans la zone. Le programme du président colombien pour promouvoir la sécurité et la beauté de la Colombie, site adapté au tourisme commercial, visait aussi les côtes. Ces programmes pour les côtes et les zones marines sont censés favoriser la croissance économique du pays et l’amélioration de la vie de la population de Choco grâce à de nouvelles opportunités. Mais ce n’est pas l’avis des pêcheurs ni de plusieurs groupes qui travaillent sur des questions environnementales et de droits de l’homme.
Le besoin d’un programme de développement côtier adéquat a été mis en évidence par Marviva, ONG qui agit dans le domaine de la préservation des zones et de la vie marines le long des côtes de Costa Riva et Panama. Cette ONG a commencé son activité en Colombie il y a trois ans. Ses principaux domaines d’activité sont la production d’informations et de données pour l’aménagement de l’espace marin, la sensibilisation en matière de préservation marine et côtière et le soutien à la communauté dans sa tâche de préservation des ressources marines.
L’ONG a choisi un site du nord du département de Choco pour une période d’essai de trois ans afin d’approfondir son travail sur la préservation marine et le développement durable des communautés de pêche côtières. C’est une zone côtière de plus de 19 km et sa population de 10.500 personnes est composée de 1.200 pêcheurs artisans. Les 52 hôtels privés installés pour les touristes sont une belle preuve de la beauté des paysages de la région. Un projet de port est en cours de consultation. La présence de ces infrastructures nuit au parc national marin du golfe de Tribuga.
Afin de tenter d’élaborer un plan pour répondre aux besoins du parc marin ainsi qu’aux besoins économiques de la communauté des pêcheurs, Marviva a conclu un mémorandum d’accord avec les quatre conseils municipaux de la zone. Les conseils mettent en place des programmes de sensibilisation pour les membres afin que les objectifs de préservation et de développement puissent être atteints. Ils ont également proposé un projet d’écotourisme pour les défenseurs de la vie marine qui est centré sur l’observation des baleines, une activité saisonnière.
L’ONG considère qu’une bonne planification du développement contribuera beaucoup à préserver et à améliorer la condition des communautés côtières. La Colombie n’est pas encore confrontée à une pénurie des réserves de pêche, contrairement à ce qui se passe dans de nombreuses zones du monde. Il est essentiel d’introduire, dans le programme de développement de la pêche, des idées en matière de préservation, afin qu’elles puissent être utilisées pour soutenir les besoins économiques légitimes des communautés de pêcheurs et côtières. La période entre décembre et mars est toujours celle durant laquelle il n’y a pas de pêche. Toute la côte adopte cette pratique. Il est important que les pêcheurs soient couverts durant cette période et que des dispositions soient prises pour fournir des sources alternatives de revenus.
Il existe une loi sur le développement de la pêche et de l’aquaculture et celle-ci a été révisée lors de notre visite. Mais les membres de Marviva ont déclaré ne pas s’en réjouir car la nouvelle loi met l’accent sur les aspects commerciaux de la pêche plutôt que sa préservation, et ce malgré leurs efforts. Cependant, ils sont soulagés car une institution indépendante sera instaurée pour la gestion de la pêche. Selon eux, cela pourrait régler les problèmes liés aux méandres d’une institution de gestion rurale. Paradoxalement, la consulta previa, un processus de prise de décision participatif, ne s’applique pas aux discussions sur les nouvelles lois et politiques. Les projets de l’État en matière de commercialisation à grande échelle de la pêche sont évidents au vu du travail de la Corporación Colombia Internacional (CCI) pour recueillir des données le long de la côte et élaborer une référence détaillée de prise de poisson quotidienne.
Marviva espère démontrer que les réserves de pêche et des revenus pour les communautés de pêcheurs peuvent être durables grâce à la création de marchés éthiques. L’ONG a déjà trouvé des acheteurs volontaires au sein de la chaîne de restauration The Wok, pour le poisson débarqué par les pêcheurs artisans. La demande est de deux tonnes de poissons par mois (et 15 tonnes par an) et par conséquent les poissons doivent faire une certaine taille pour être acceptés. The Wok achète à lui seul environ 30 % de la capture quotidienne des pêcheurs participant au programme de Marviva. La devise de l’ONG pour les pêcheurs est « pêcher moins et gagner plus » en faisant attention et en répondant aux demandes de poisson spécifique juste en quantité nécessaire.
Les efforts de Marviva et des coopératives de pêcheurs sont louables de par leur volonté d’essayer et d’apprendre. De la commercialisation des réserves de pêche pour les marchés internationaux à la vente de zones côtières et marines aux investisseurs, un grand éventail de formules est possible grâce aux projets de collaboration entre les autorités locales, les ONG et les communautés de pêcheurs. La rapidité de la dégradation des réserves de pêche en Colombie dans les jours à venir dépendra de la décision de l’État de devenir ou non un partenaire créatif dans ce processus local.
fishing, traditional fishing, fisherman artisan, trade agreement, sea
, Colombia
Mouvements sociaux et environnementaux en Inde et en Colombie
Lire l’article original en anglais : Fisheries management in the Pacific Lowlands of Colombia
Traduction : Agnès Carchereux
La chercheuse Manju Menon travaille sur les conflits entre environnement et développement en Inde. Elle est actuellement doctorante au Centre for Studies in Science Policy, JNU, New Delhi. Contact : manjumenon1975(@)gmail.com
Original text