Pour une nouvelle recherche agronomique
Trop éloignée des préoccupations quotidiennes des agriculteurs, la recherche agronomique s’est montrée d’emblée très normative et n’a pas su prendre en compte leurs véritables problèmes. Point de vue de Marc Dufumier, professeur à AgroParisTech.
Le problème des rapports entre la recherche scientifique, le développement économique et le bien-être des populations n’est pas spécifique aux pays du Sud, mais il se pose avec une acuité singulière dans ces derniers. Les relations entre des populations dont le taux d’analphabétisme reste encore très important et leur « élite » de niveau universitaire se révèlent difficiles et mêlées de multiples incompréhensions, tout particulièrement dans les campagnes. Trop éloignée des préoccupations quotidiennes des agriculteurs, la recherche agronomique s’est montrée d’emblée très normative et n’a pas su prendre en compte leurs véritables problèmes. À ses débuts, la recherche coloniale visait à inventorier et cartographier les ressources naturelles dont l’exploitation ou la domestication pouvait être le plus utile à la satisfaction de besoins exprimés au sein des métropoles. Les recherches agronomiques et agro-industrielles ont d’abord été destinées à favoriser la mise en culture de plantes dont seront issus des produits destinés à l’exportation comme la canne à sucre, le coton, le cacao, le café, l’arachide, le caoutchouc ou encore l’huile de palme.
Au temps de la décolonisation
Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle et l’accession progressive à l’indépendance de nombreux pays asiatiques et africains, pour que soit accordée une plus grande importance aux cultures vivrières. Les centres internationaux de recherche agronomique ont alors mis prioritairement l’accent sur la génétique et l’« amélioration variétale » par la sélection ou l’hybridation. De façon à rentabiliser au plus vite les investissements réalisés dans la recherche, il n’a été le plus souvent retenu qu’un nombre limité d’espèces et variétés dont la « vocation » était de s’imposer dans une grande gamme de situations. Les espèces considérées comme trop spécifiques d’écosystèmes particuliers ont donc été exclues de ces recherches. Les expérimentations se firent dans des conditions parfaitement contrôlées pour pouvoir comparer aisément les caractéristiques des diverses variétés. Les essais ont été conduits sur des terrains fertiles et irrigués, en ayant recours à de nombreux intrants chimiques (engrais, produits phytosanitaires…), dans des conditions fort éloignées de celles des paysans. Conçues à l’origine pour être relativement « passe partout », les nouvelles variétés se sont donc révélées gourmandes en azote et en éléments minéraux, et sensibles aux ravageurs et aux agents pathogènes. Exigeantes en produits phytosanitaires et en engrais chimiques, leur mise en culture est allée de pair avec de gros investissements privés et publics et s’est avérée bien plus coûteuse que prévue, au risque de provoquer un endettement dramatique des paysans et des États concernés.
Des bouleversements dramatiques
Cette sélection poussée à l’extrême a entraîné une relative homogénéisation des conditions de production, une simplification exagérée des écosystèmes cultivés et par conséquent leur fragilisation et une perte progressive de biodiversité. La pire conséquence reste l’apparition d’une dépendance accrue des paysanneries à l’égard des grandes compagnies semencières et de quelques sociétés transnationales pourvoyeuses d’engrais, de pesticides, d’énergie et de matériels agricoles. A cela s’ajoutent de graves problèmes de pollution des eaux et des sols, ainsi que des phénomènes de toxicité à l’encontre des agriculteurs et des populations environnantes. Le problème de la malnutrition dans le monde et notamment au Sud, lui, n’en a pas pour autant été totalement résolu.
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Sciences et Démocratie : un mariage de raison ?
Altermondes, Sciences et démocratie : un mariage de raison ?, numéro spécial Juin 2011, 50p.
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