Le sud a t-il son mot à dire ?
06 / 2011
Les pays du Sud ne sont pas toujours libres des choix technologiques qu’ils opèrent. Sous couvert de bienfaits à venir pour les populations, ces choix sont souvent imposés par des groupes privés et par des institutions internationales qui servent leurs propres intérêts. Les chercheurs africains veulent aujourd’hui reprendre l’initiative.
Disposer d’une source d’énergie propre et maîtrisée localement, garantir l’accès à la santé en tenant compte des contraintes d’infrastructures, renforcer une agriculture à même de subvenir aux besoins des populations et de ceux qui en vivent… Pour chacun de ces domaines, des solutions technologiques existent et ne demandent qu’à être développées et adaptées pour améliorer le quotidien de millions voire de milliards de personnes. Mais les pays du Sud ont rarement le choix des technologies qui pourraient leur être bénéfiques et renforcer leur indépendance. « Le Sud est complètement dépendant des financements et capitaux privés visant à développer et intégrer les nouvelles technologies du Nord », explique Molly Kane, liaison internationale de l’ONG africaine Pambazuka. L’industrie de l’aide, qui s’est développée ces dernières décennies au Sud, oriente voire impose sa façon de concevoir le développement. Elle s’intéresse plus à la croissance économique des pays du Sud qu’à leur progrès social. « Cette croissance économique ne touche souvent qu’un tout petit secteur, souligne Molly Kane. En revanche, elle renforce grandement les disparités sociales.»
Pour satisfaire des intérêts privés
Les institutions de développement et de coopération d’Etats comme l’Agence française de développement (AFD), l’aide américaine (USAid) ou encore l’aide au développement britannique (DFID) entretiennent l’idée que les technologies du Nord sont les seules et uniques solutions pour résoudre les problèmes du Sud. Il n’en est rien ! Ces technologies renforcent en fait les pouvoirs de domination déjà existants, et surtout les profits de grandes entreprises multinationales et de leurs actionnaires, sans pour autant répondre aux besoins locaux. « Les OGM ne sont pas développés pour rendre la vie ou la sécurité alimentaire meilleures au Sud, s’indigne Molly Kane. En plus de rendre les paysans dépendants de semences non naturelles, les OGM seront incapables de s’adapter au changement climatique, contrairement aux semences naturelles qui auront, elles, malheureusement disparues. » Les politiques économiques néolibérales ont mis en place un environnement favorable pour les entreprises qui veulent tirer profit des nouvelles technologies en exploitant les ressources naturelles de l’Afrique (1). Pour Basile Guissou, ancien ministre burkinabé de l’information, aujourd’hui délégué général du Centre national de la recherche scientifique et technologique, « il faut refuser de discuter et de traiter avec les grandes institutions internationales ». Il renchérit, véhément: « elles n’ont que mépris pour les savoirs et les résultats de la recherche africaine allant même jusqu’à insinuer que l’Afrique n’a pas à réfléchir, que le Nord et l’Occident le feront pour elle ». Pour lui, les chercheurs africains devraient pouvoir générer eux-mêmes la recherche et les technologies qui en découlent afin de répondre aux besoins des populations. « Si l’Afrique développe ses infrastructures de recherche, elle pourra s’appuyer sur l’ensemble des travaux publiés dans le monde entier, poursuit Basile Guissou. On ne réinvente pas la roue. C’est par la recherche que vient le développement. »
Breveter pour déposséder
Aujourd’hui, c’est toute la richesse végétale de l’Afrique qui est menacée. « Des centaines de milliards de tonnes de matières végétales indifférenciées sont dans le collimateur des entreprises, explique Molly Kane. Des plantes depuis longtemps utilisées en Afrique sont aujourd’hui brevetées par des entreprises venues des pays du Nord. » Et cela ne concerne pas seulement l’Afrique. Les laboratoires pharmaceutiques s’intéressent de près depuis quelques années aux vertus thérapeutiques des plantes et arbres de la forêt amazonienne afin d’en breveter les principes actifs, ce qui conduit à en déposséder les populations autochtones qui depuis toujours les utilisent. « Sous couvert de promotion d’“économie verte”, le Nord et ses entreprises importent leurs technologies et leurs modèles technologiques pour piller le Sud et continuer d’alimenter les modes de vie confortables des pays du Nord », constate Molly Kane. Pour réussir à imposer leurs choix scientifiques et technologiques, les pays du Sud doivent trouver leurs propres voies de financement et ainsi s’affranchir des financements privés qui, « parce qu’ils sont très concentrés, provoquent un déséquilibre dans les relations de pouvoir, freinant in fine leur développement » conclut Molly Kane.
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, África
Sciences et Démocratie : un mariage de raison ?
Altermondes, Sciences et démocratie : un mariage de raison ?, numéro spécial Juin 2011, 50p.
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