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dialogues, proposals, stories for global citizenship

Libérer la recherche de la croissance

Au coeur de la recherche

Jean GADREY

05 / 2011

Pilotée par des intérêts financiers, la recherche est dans l’impasse. Elle a perdu de son utilité sociale. Une autre recherche qui viserait le bien-vivre et la satisfaction des droits humains sans nécessairement passer par la croissance est-elle possible ?

Peut-on décider de l’utilité sociale des recherches en cours ou à venir sans verser dans des formes de planification autoritaire qui ont fait tant de dégâts au cours de l’histoire ? Pour mener cette réflexion, il convient d’abord de rappeler quelques constats, quelques exemples. C’est un fait que des recherches «socialement utiles» sont délaissées par le système actuel de pilotage de la recherche, basé sur le marché et sur les profits, mais aussi par des États en partie liés aux grands intérêts privés. C’est un fait que la recherche pharmaceutique a des rendements décroissants en bien-être humain et néglige la santé d’une partie de l’humanité pendant qu’elle promeut des médicaments inefficaces ou dangereux. C’est un fait que la recherche a favorisé le productivisme et la croissance économique la plus forte possible au détriment de la santé, de l’environnement ou du lien social. Plus de 90% des recherches sur l’énergie vont au nucléaire et moins de 1% des recherches agronomiques vont à l’agroécologie. Aujourd’hui, une grande partie de la recherche est dépendante, non pas de politiques, mais de la dictature des actionnaires et de leurs marchés. La recherche passée a d’importantes responsabilités dans la crise écologique et sociale actuelle. Une «prospérité sans croissance» a besoin d’autres connaissances et d’autres recherches. Il s’agit de viser le «mieux» et non le «plus», de monter en qualité et en durabilité (des produits et des processus), avec le plus souvent des effets positifs sur l’emploi… sans croissance. Pour définir ces nouvelles priorités, il n’est plus possible aujourd’hui de se fier à l’alliance de certains scientifiques, des experts officiels, des pouvoirs publics et des entreprises. Il faut d’abord un contrôle citoyen des grandes orientations de recherche comme il en faut pour la finance (devenue folle grâce, entre autres, à des «innovations» à hauts risques) et plus généralement pour les politiques de biens communs. Il appartient ainsi aux citoyens, en relation avec les élus et les chercheurs, de décider si l’on poursuit ou non, et sous quelles conditions, les recherches sur les OGM, les cellules souches embryonnaires, les agrocarburants, le nucléaire, les nanotechnologies, la conquête de l’espace ou encore les armes. Autant de domaines associés à des risques d’une ampleur sans précédent historique. Il appartient aussi aux citoyens de délimiter (ou de réduire à néant) le domaine des brevets. La clé réside dans une démocratie vivante. Si l’on s’oriente dans cette voie, on s’apercevra qu’il y a toujours besoin d’innovation et de recherche, mais selon d’autres « paradigmes ». Car des recherches, dont la finalité ultime serait une économie et une société du « prendre soin » (des personnes, de la nature, des objets, du lien social),auraient un tout autre contenu que des recherches pilotées directement ou indirectement par le productivisme marchand. Dans le rapport qu’il a remis en février 2011, Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, écrivait qu’il faut «donner la priorité à l’acquisition de biens publics plutôt que de se borner à subventionner les intrants, investir dans les connaissances en réinvestissant dans la recherche agricole et les services de vulgarisation». Pour une telle réorientation, la société a besoin de recherches agronomiques pluridisciplinaires, mais aussi de recherches économique, sociologique, anthropologique, en sciences humaines. Elles aussi mises en délibération citoyenne! Il en va de même des besoins de recherches associées à tous les autres droits fondamentaux dans un monde soutenable. Lier la recherche et les droits humains n’est pas enfermer la première, c’est au contraire la libérer et lui donner du sens.

A LIRE : Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Jean Gadrey, Ed. Les petits matins, 2010.

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