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Mobilité urbaine en Afrique : quels modèles et quelles inflexions face aux défis de l’énergie et du climat ?

Xavier Godard

01 / 2009

On sait que de nombreuses interrogations et réflexions sont développées sur la mobilité urbaine dans le monde développé, en particulier en France où, depuis 2000, la loi SRU impose aux agglomérations de plus de 100 000 habitants de se doter de Plans de Déplacements urbains (PDU), avec l’objectif de réduire l’usage de l’automobile dans les villes. Les contextes des villes africaines sont très différents et la question de l’accès à la mobilité motorisée constitue sans doute une préoccupation majeure en Afrique sub-saharienne (ASS), sur laquelle nous concentrerons notre attention : cette question vient avant celle de l’adaptation aux défis du coût croissant de l’énergie et du changement climatique, auxquels les pays africains doivent cependant faire aussi face.

Croissance des besoins de déplacements motorisés

Les grands traits de la mobilité peuvent être résumés par un niveau très faible de mobilité motorisée en ASS et plutôt faible en Afrique du nord et en Afrique du sud, avec des exceptions remarquables pour les villes à deux roues, dont Ouagadougou est emblématique. L’autre face de la mobilité est alors l’importance de la marche, qui constitue le mode de déplacement quasi-exclusif d’une partie de la population urbaine. Elle représente en moyenne de 50 à 80 % des déplacements dans la majorité des villes.

La mobilité motorisée est en croissance au Maghreb en raison de la hausse des revenus et de l’extension de l’accès à l’automobile, avec un modèle qui regarde beaucoup vers l’Europe. A l’autre extrême du continent, on a, en Afrique du sud, le côtoiement de deux mondes qui doivent s’intégrer peu à peu : une société riche très motorisée d’un côté, les exclus des townships captifs des transports collectifs de l’autre côté. La question est de gommer les séquelles de l’apartheid, ayant marqué pour longtemps les structures urbaines et imposant de très longues distances de déplacement.

Dans tous les cas, on enregistre une forte croissance des besoins de déplacement due à la croissance démographique des villes, ainsi qu’à l’étalement urbain et à la métropolisation qui contribuent à l’allongement des distances.

Dynamique d’usage des modes individuels

Etant donné le faible niveau de ressources, l’équipement des ménages en voitures est faible : les taux de motorisation sont les plus faibles en ASS, autour de 30 à 40 véhicules pour 1 000 habitants, alors qu’ils approchent ou dépassent le seuil de 100 dans les villes du Maghreb dont la dynamique d’équipement automobile des ménages est forte depuis la fi n des années 90.

En fait, à côté de l’automobile, la moto peut jouer un rôle important pour faciliter la mobilité, soit comme mode individuel (Ouagadougou, autres villes sahéliennes…), soit comme transport public avec le taxi-moto dont l’ampleur s’étend progressivement dans les villes où le transport collectif n’est pas suffisamment efficace (le cas le plus massif et ancien est celui de Cotonou).

Les taux d’usage des modes individuels résultent de ces données d’équipement : faibles en ASS sans deux roues, élevés dans les villes avec deux roues, élevés en Afrique du sud et au Maghreb, où ils peuvent dépasser le seuil de 50 % des déplacements motorisés.

Reste alors à se demander si le transport collectif constitue une alternative crédible et durable et à considérer les multiples composantes du transport public.

A la recherche d’un schéma durable de transports collectifs

Les entreprises d’autobus peinent à (re) trouver leur place dans un contexte qui a favorisé le développement du transport artisanal, sous forme de minibus et taxis collectifs, voire de taxis-motos, dont la propriété est atomisée et qui sont exploités à l’échelle individuelle, mais au sein d’une organisation collective minimale reposant sur les syndicats de chauffeurs. La domination du secteur artisanal qui vient de sa souplesse et de son adaptabilité à l’évolution des besoins, est écrasante (80 à 90 % des transports publics dans la majorité des villes) en Afrique sub-saharienne, mais ce secteur est également très présent au Maghreb et en Afrique du sud qui ont pourtant aussi une offre structurée d’entreprises (autobus, métro, train urbain, selon les cas).

Le bilan énergétique et environnemental qui en résulte est préoccupant, surtout dans les zones denses où se concentre le trafic, mais il faut arrêter de penser qu’on va supprimer ce secteur au profit d’entreprises d’autobus performantes : il faut penser complémentarité, ce qui peut être mis en Ĺ“uvre par des autorités organisatrices adaptées, comme cela a été amorcé à Dakar avec le Cetud (Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar), créé en 1997.

Les exclus de la mobilité motorisée

Les exclus de la mobilité motorisée sont contraints à une mobilité essentiellement pédestre. Cc qui est bon pour l’environnement l’est moins d’un point de vue social ou économique : le marché de l’emploi accessible à pied est bien trop restreint. L’accès aux services urbains est limité même si des politiques d’équipement (écoles, centres de santé, marchés d’alimentation, administrations) localisées dans les quartiers d’habitation sont à promouvoir résolument.

Il existe plusieurs définitions de la pauvreté selon la nature des seuils monétaires de pauvreté considérés, ou selon les multiples dimensions introduites dans les indices de développement humain (IDH). Si l’on s’en tient au seuil de 1 dollar US par personne et par jour, on voit, bien que les sources soient fragiles, que la proportion des pauvres était de l’ordre de 30 à 40 % à Conakry et à Douala (2003), et atteignait sans doute 50 % à Dakar (2000).

Le profil de mobilité est illustré par les données d’enquête à Conakry et Douala. Si les taux de mobilité globale sont proches entre groupes sociaux, ils se différencient nettement par le recours massif à la marche (à pied chez les plus pauvres, et par le faible usage de modes motorisés.

 

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Les consommations d’énergie et les émissions de GES

A l’exception de l’Afrique du sud, les consommations actuelles d’énergie en ASS provoquées par la mobilité urbaine se situent à un niveau relativement faible. Il en va de même des émissions de GES : estimations de 950 000 t CO2/an à Abidjan en 1998, de 400 000 t à Dakar (0,16 t par habitant) en 2000. Cela résulte comme, on l’a vu, du poids très important des déplacements à pied, puis des transports collectifs.

A l’inverse, dans le cas de Tshwane (ex Pretoria), on a pu estimer les dépenses de carburant à 900 millions de litres en 2003, et les émissions annuelles de CO2 à 2,8 MT en 2008, soit 1,2 t par habitant, ce qui est un niveau comparable à celui du monde développé, du moins en Europe.

Les tendances et les inflexions

La hausse du coût de l’énergie, même si la crise économique actuelle réduit ce poids pour quelques années, est un défi majeur pour la majorité des pays africains et pour les villes qui absorbent une grande part des consommations (plus de 60 % estimés pour Abidjan par exemple).

La crise financière internationale risque de fragiliser les grands opérateurs internationaux qui sont sollicités pour intervenir en appui aux entreprises à reconstituer dans les villes africaines, ce qui devait ainsi consolider de fait le secteur artisanal. Le changement climatique pourrait accentuer le développement urbain avec la poursuite de l’exode rural, accentuant ainsi les besoins de transport à l’échelle des agglomérations (multi) millionnaires.

Les schémas d’urbanisation vers lesquels il conviendrait de s’orienter devraient alors s’organiser sur des structures multipolaires desservies par du transport de masse, mais avec une complémentarité forte avec le secteur artisanal. Une solution qui émerge peu à peu est l’élaboration de sites propres intégraux pour autobus (BRT) à l’image de ce qui a été mis en place dans plusieurs villes d’Amérique Latine. Mais cela suppose une capacité d’organisation et de planification qui n’est pas encore acquise dans la majorité des villes africaines. Le retard dans la mise en place de tels projets en Afrique du sud ou à Dar es Salam (Tanzanie) et Addis Abeba (Ethiopie) est révélateur de ces difficultés institutionnelles.

Les mots clefs sont alors la capacité d’organisation du secteur des transports urbains reposant sur de multiples opérateurs, la recherche de productivité des transports collectifs, des mesures de circulation permettant la lutte contre l’extension de la congestion, une planification urbaine stratégique à réinventer, la promotion et la revalorisation des modes doux (vélo, marche) qui sont mal aimés par les autorités : cela suppose que l’obstacle culturel soit résolu et que soit dépassée l’impression d’un discours donneur de leçon venant du Nord. Seul le développement de la capacité d’expertise au sein des pays africains pourra aller dans ce sens pour identifier les solutions adaptées.

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