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Les Universités Itinérantes Citoyennes et les universités fixes techniques : une stratégie d’éducation alternative qui améliore la participation citoyenne

Achille NOUPEOU

01 / 2011

Thématique : Bonne gouvernance

A. Origine du projet

ASSOAL, Actions Solidaires de Soutien aux Organisations et d’Appui aux Libertés, qui est une association camerounaise travaillant à la promotion de la justice sociale et de la citoyenneté dans les quartiers défavorisés de la ville de Yaoundé, a fait le constat à la fin des années 1990 que l’ignorance était à la source de bien des conflits mais également de la marginalisation de certaines populations de la vie publique et sociale, ceux-ci n’ayant qu’une idée limitée des voies et procédures leur permettant de résoudre leurs problèmes.

ASSOAL s’est donc interrogé sur la meilleure façon de transmettre l’information et de former les habitants des quartiers défavorisés pour qu’ils puissent eux-mêmes défendre leurs droits et prendre une part active au développement de leur quartier. La majorité d’entre eux étant préoccupé par la survie quotidienne, la probabilité qu’ils prennent le temps de se déplacer pour assister à une conférence dans une salle éloignée de leur domicile était minime. Ainsi est née l’idée de rejoindre les habitants directement sur leurs lieux de vie, afin que l’information transmise soit au plus près de leurs réalités quotidiennes et de leurs préoccupations. Les Universités Itinérantes Citoyennes étaient lancées, auxquelles se sont adjointes par la suite les Université Fixes Techniques.

B. Concept

« Si nous avons chacun un objet et que nous les échangeons, nous avons chacun un objet. Si nous avons chacun une idée et que nous les échangeons, nous avons chacun deux idées. » (Proverbe chinois)

Les Universités Itinérantes Citoyennes, comme les Universités fixes techniques, sont des moments de partage des savoirs entre des experts, des personnes qualifiées qui détiennent un savoir intellectuel, scientifique ou technique et des citoyens qui connaissent la réalité de leurs quartiers et qui possèdent bien souvent de réelles connaissances empiriques. De cette rencontre nait une ouverture, de nouvelles opportunités, une meilleure compréhension et conscientisation de tous permettant à chacun d’avancer dans la résolution de ses problèmes concrets mais aussi de mieux assumer son rôle de citoyen actif pour le développement local et l’amélioration des conditions de vie de tous.

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Les Universités Itinérantes Citoyennes, depuis leur origine, se déplacent de quartier en quartier, et de ville en ville pour multiplier les lieux de diffusion de l’information et de production des savoirs au sein même des espaces publics populaires. Les Universités fixes techniques, quant à elles, sont en quelque sorte une étape intermédiaire qui vise à former des personnes ressources issues des quartiers défavorisés afin qu’elles acquièrent des connaissances techniques qui leur permettront ensuite de jouer un rôle d’animateur-relais, d’accompagnateur, de médiateur, dans leur quartier sur des questions spécifiques nécessitant un socle de connaissances de base.

Les Universités Itinérants Citoyennes et les Universités fixes techniques appartiennent ainsi au champ de l’éducation populaire qui répond à une triple démarche :

• une démarche de savoirs, sans hiérarchie entre ces savoirs et ces connaissances

• une démarche citoyenne, pour partager et construire ensemble

• une démarche d’acquisition et d’exercice de ses pleins droits économiques, sociaux, culturels, politiques, civiques.

C. Objectifs et enjeux

1) L’accès au savoir et à l’information étant bien souvent l’apanage des élites, l’enjeu des UIC et des UFT est une diffusion large des connaissances au plus grand nombre de citoyens. Il s’agit également d’éveiller les consciences au rôle que chaque citoyen, quelque soit son milieu d’appartenance ou son origine, peut et doit jouer au sein de la société, aux côtés de l’ensemble des autres acteurs.

2) Les Universités Fixes Techniques visent à constituer un pool des personnes ressources qui pourront relayer l’information dans leurs quartiers / villes / villages respectifs. L’objectif est que les informations, connaissances, savoirs soient diffusés au plus proche des habitants, de manière permanente.

3) Les Universités Itinérantes Citoyennes se veulent un moment fort d’expression citoyenne où tous sont invités à s’approprier les thèmes abordés et où chacun est amené à participer au débat public. L’objectif final est de former les citoyens pour qu’ils deviennent acteurs à part entière du développement de leur quartier, de leur ville et de leur pays.

4) En incitant les pouvoirs publics, en particulier via les Bureaux d’Appui au Développement des Quartiers, à assister aux UIC et aux UFT, celles-ci offrent une opportunité de renforcer le dialogue entre les citoyens, les organisations qui les représentent et les autorités publiques.

D. Déroulement du projet

Les premières UIC / UFT organisées pas ASSOAL ont eu lieu en 1998, avec une formalisation en 1999, grâce au soutien du « projet pro-démocratie » de la coopération canadienne. Elles visaient à l’époque à conscientiser les participants sur leur rôle de citoyen, sur l’importance de prendre part au vote, sur les différentes instances politiques les représentant. Les UIC / UFT avaient alors lieu à la fois dans différentes différents quartiers de Yaoundé et dans différentes villes du Cameroun.

A partir de 2005 – 2006, les UIC se sont centrées sur les questions liées à l’habitat et au foncier, qui sont des problématiques centrales dans la vie quotidienne des habitants des quartiers rencontrés. C’est alors que s’est développé le concept de « Cliniques d’Information Juridique et d’Education à la Citoyenneté » couplée à celui de « Balcons de droit » (voir fiche de février 2007). Les balcons de droit visaient à enregistrer les problèmes et les plaintes rencontrés par les habitants et à les répercuter au niveau de la clinique juridique située à ASSOAL. Celle-ci mobilisait ensuite les personnes ressources capables d’apporter un appui pour une situation donnée.

En 2009, suite à la réalisation d’études sur la situation foncière dans seize quartiers de Yaoundé, on s’est rendu compte que l’importance du titre foncier, et les procédures d’obtention étaient loin d’être maîtrisées. Or 80% des habitants de Yaoundé vivent sur des terrains non titrés, ce qui rend hypothétique l’installation définitive de milliers des ménages sur leur lieu d’habitation. C’est pourquoi ce thème a été retenu pour les UIC 2009, et repris en 2010.

Les UIC 2010 ont également retenu comme thème « Vivre en harmonie dans un quartier sain » qui visait à sensibiliser les habitants sur le fait que l’objectif n’est pas seulement d’acquérir un logement, mais de faire en sorte que l’environnement dans lequel on vit offre de bonnes conditions d’hygiène, d’assainissement et de santé et qu’il favorise l’épanouissement personnel, le bien être individuel et collectif. Pour cela, les efforts conjugués de tous sont nécessaires pour transformer le quartier, d’où l’importance de se regrouper au sein d’organisations d’habitants / citoyens, telles que les associations de quartier, les mutuelles ou coopératives d’habitat. Les habitants étaient également incités à prendre les devants, sans attendre une hypothétique intervention providentielle des pouvoirs publics, pour faire valoir leurs droits et les intérêts de leur quartier dans un dialogue constructif avec les autorités publiques sur les questions d’habitat (logements, foncier, route, réseaux d’eau et d’électricité …).

Méthode adoptée en 2010 :

Deux médiateurs / animateurs par quartier étaient formés pendant trois jours lors des UFT et préparés à restituer les connaissances apprises lors des sessions des UIC qui devaient se tenir dans leur quartier. Chaque session des UIC, d’une durée de deux heures, était animée par des humoristes, afin de rendre cette activité attractive et que les messages passés puissent atteindre le plus grand nombre.

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E. Données pratiques

Échelle territorial : 16 quartiers défavorisés de Yaoundé

Public cible : les habitants des 16 quartiers, les organisations de quartier, les mutuelles d’habitat, les Communes

Acteurs du projet : ASSOAL, les médiateurs fonciers, les animateurs de quartier, les artistes, les personnes ressources / experts techniques, les Bureaux d’Appui au Développement de Quartier

Durée actuelle : depuis 1998, depuis 2005 / 2006 sur le thème habitat et foncier

Résultats actuels : plusieurs milliers de personnes sensibilisées, prise de conscience palpable des cibles en ce qui concerne l’habitat et le foncier, les thèmes liées à la citoyenneté et à la démocratie semblent être moins percutants car ne touchent pas les habitants des quartiers défavorisés au cœur même de leurs préoccupations quotidiennes, perfectionnement permanent des outils de mobilisation et d’animation

Financements : Juris Solidarités, PDQUD (Programme de Développement des Quartiers Urbaines défavorisés) financé par la DUE et CORDAID, Coopération Canadienne

Analyse de l’expérience à la lumière des 10 principes de la gouvernance

1) Se fonder sur une approche territoriale et le principe de subsidiarité

L’approche générale a été la même dans les 16 quartiers où nous sommes intervenus, même si certaines spécificités ont été prises en compte pour un meilleur impact de l’activité, comme le choix du lieu, de la date, des thèmes abordés, de l’implication des personnes ressources issues du quartier. Un effort doit donc être poursuivi dans ce sens pour prendre en compte l’histoire du quartier, ses problématiques spécifiques, et la réalité du dynamisme du tissu associatif.

Le projet vise à structurer et renforces les organisations d’habitants afin qu’ils portent eux-mêmes leurs revendications aux pouvoirs publics. L’implication des bureaux d’appui au développement des quartiers, représentant les communes d’arrondissement, est variable selon les arrondissements, certains élus ayant peur de perdre leur pouvoir et leur autorité s’ils ouvrent trop grand le dialogue avec leurs administrés.

2) Instituer un dialogue au sein de communautés plurielles

Les sessions sont ouvertes à tous quelles que soient leurs appartenances. Et on constate qu’un problème commun, comme l’obtention de titres fonciers ou l’accès à l’eau potable, permet de transcender certains réflexes ethniques ou communautaires. On a ainsi pu voir des autochtones (personnes dont les ancêtres possédaient déjà la terre où eux-mêmes sont installés) et allogènes (personnes venant d’autres région du Cameroun), des vendeurs et des acheteurs, des autorités traditionnelles et de simples citoyens, dialoguer ensemble. Des actions d’éducation à la citoyenneté doivent continuer à insister sur le fait que le développement est la résultante des efforts de tous quelles que soient les appartenances.

Nous veillons à ce que chaque groupe d’habitants qui se met en place puisse adopter ses propres règles, ceci exigeant de notre part un accompagnement fort afin d’amener les membres de ces groupes à formuler ces règles, démarche qui est rarement spontanée. Pour les appuyer dans ce sens, un réseau des médiateurs et animateurs des 16 quartiers est en train de se mettre en place.

3) La gouvernance remet l’économie à sa place

Le principal bien échangé dans le cadre de ce projet est le savoir, selon la philosophie du proverbe chinois cité plus haut. En outre, le message véhiculé souligne l’importance de mettre en commun les ressources à la fois financières et humaines au sein des mutuelles d’habitat afin de mettre en œuvre des projets de développement dans le quartier que chacun individuellement n’est pas en mesure de porter. L’attention du public est également attirée sur la nécessité d’une bonne gestion des biens collectifs et des biens publics.

4) Se fonder sur une éthique universelle de responsabilité

Les UIC ont pour objet principal de réveiller la conscience citoyenne du public cible. Il est fait principalement appel à leur part de responsabilité dans le développement local, dans la gestion des services sociaux de base, dans l’utilisation du budget public. Le niveau global, la responsabilité universelle n’est pas mise en avant en tant que telle.

5) Définir un cycle d’élaboration des décisions et contrôler les politiques publiques

A chaque étape de ce projet, que ce soit à la fin des UFT ou des UIC, une évaluation a été faite avec les participants et de nombreuses recommandations ont été émises pour la poursuite du processus et le renouvellement de ce type de rencontres. Quoiqu’il en soit, les personnes ayant assisté à l’une ou l’autre de ces séances ont fortement demandé à bénéficier de nouveau de telles rencontres qui les ont beaucoup enrichis, selon leurs propres termes.

En outre, les UIC ont justement pour objectif l’amélioration de la participation des citoyens à la décision publique.

6) Organiser la coopération et les synergies entre acteurs

L’éducation des habitants à leur rôle de citoyens vise précisément un changement dans les pratiques et procédures de l’administration publique. Mais ceci constitue un tel changement politique au Cameroun que l’impact des UIC à ce niveau est difficile à mesurer.

On peut cependant noter que des évolutions existent puisque des fonctionnaires se sont volontairement déplacés pour assister aux UIC et aux UTC avec le souhait de nouer un dialogue avec leurs administrés et de mesurer les possibilités de collaboration directe avec les habitants.

7) Concevoir des dispositifs cohérents avec les objectifs poursuivis

Il est clair que le dispositif, faute de moyens, manque d’amplitude par rapport aux objectifs qui visent l’instauration d’une culture démocratique et citoyenne pour la participation de tous au développement local. Pour plus d’impacts, des sessions d’éducation populaire devraient être organisées tout au long de l’année, en impliquant les associations de quartier directement dans la préparation. Cela éviterait la déperdition de l’information et entretiendrait les dynamiques.

8) Maîtriser les flux d’échange des sociétés entre elles et avec la biosphère

Assurément les personnes ayant participé aux UIC ont eu accès à des informations qu’ils n’avaient pas et ont ainsi pu mieux comprendre un certain nombre de règles, de lois et de procédures qui gouvernent le domaine du foncier et de l’habitat au Cameroun. Un réseau d’échanges d’information et d’expériences est en train de se mettre en place entre les animateurs et médiateurs des 16 quartiers. Concernant les indicateurs quantitatifs, ils sont mesurés par le niveau de participation. Mais comme nous l’avons indiqué plus haut, les aspects qualitatifs sont difficiles à mesurer.

9) Gérer la durée et savoir se projeter dans le temps

Les UIC sont devenues des rendez-vous annuels. L’implication des autorités publiques et administratives est peu à peu renforcée. Des rendez-vous ont été pris entre mutuelles d’habitat et Bureau d’appui de Yaoundé VI pour chercher ensemble des solutions à certains problèmes posés lors de ces rencontres (titres fonciers, menaces de déguerpissement, microprojets de développement).

10) De la légalité à la légitimité, de l’utilité, des valeurs et des méthodes

Le projet répond à un besoin réel d’accès à l’information des citoyens qui sont bien souvent confrontés à d’importantes difficultés d’accès aux sources d’information, que ce soient les textes juridiques, les procédures, les documents divers ou même les personnes censées les renseignées au sein des administrations publiques par exemple.

Les valeurs et principes partagés sont la responsabilité citoyenne, la solidarité, la mutualisation des ressources et des moyens, la diffusion gratuite de l’information.

Le projet vise précisément à moyen terme à amener les responsables politiques à jouer pleinement leur rôle.

Key words

Cameroon

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Bonne Gouvernance en matière d’habitat et de gestion des déchets

Comments

Les UIC / UFT sont menées par ASSOAL depuis plus de dix ans, c’est d’ailleurs autour de ces activités d’éducation à la citoyenneté que l’ONG s’est structurée. Mais l’impact est difficile à mesurer. Comment peut-on évaluer si un citoyen a pris conscience de ses droits et devoirs à la suite d’une séance d’éducation à la citoyenneté de deux heures ? En outre, d’un point de vue sociétal, les quelques milliers de personnes qui ont été touchées sont une goutte d’eau en comparaison à l’envergure des changements nécessaires.

Une des voies possibles pour remédier à cette difficulté serait de mener des activités permanentes d’information, de sensibilisation et d’éducation auprès des cibles, relayées par les organisations de quartier. Pour cela, des supports adaptés devraient être conçus puisque l’on a constaté avec les humoristes que plus le support de communication était attractif, mieux le message était susceptible de passer. L’obstacle à ce niveau réside dans la mobilisation des financements. En effet, ce type d’activités ne produit pas des résultats palpables et immédiatement capitalisables, d’où la réticence des partenaires à les soutenir.

Pourtant l’éducation à la citoyenneté est indispensable dans un processus de changement sociétal, de telle sorte que chaque citoyen comprenne le rôle politique (au sens large et noble du terme) qu’il a à jouer. Toutes les autres initiatives de développement ne peuvent avoir un impact durable si nos concitoyens ne prennent pleinement conscience que l’avenir de notre pays nous appartient.

Questions que pose cette expérience

  • Comment promouvoir l’importance des actions d’éducation populaire et d’éducation à la citoyenneté dans les politiques internationales de développement mises en application dans les pays en développement tels que le Cameroun ?

  • Quels outils développer pour mobiliser le public cible autour de ces activités (humoristes, vidéos, BD …) ?

  • Comment impliquer les pouvoirs publics dans de telles actions ?

Source

Interview

Fiche rédigée par Aude Cuzon, Responsable du Bureau d’Appui aux Mutuelles et Coopératives d’Habitat, à l’ONG ASSOAL, Cameroun, e-mail Aude Cuzon

Coordonnées

  • Site DPH où l’on peut retrouver les anciennes fiches sur les UIC, les balcons de droit et les cliniques juridiques

  • Entretiens avec Jules Dumas Nguebou, Initiateur des UIC au Cameroun et Coordonnateur Général des Programmes d’ASSOAL, Dominique Essono, Secrétaire permanent du RNHC (Réseau National des Habitants du Cameroun) et animateur de plusieurs sessions annuelles des UIC, Daniel Nonze, animateur / coordonnateur de plusieurs sessions annuelles des UIC.

  • Visites de site sur les universités populaires en France et en Amérique Latine

ASSOAL (Association des Amoureux du Livre) - B. P. 5268 Yaoundé, CAMEROUN - Tél: (237)220.10.12 / 994.79.53 / 986.3016 - Cameroon - www.assoal.org - assoal (@) netcourrier.com

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