(FMAS) Forum des Alternatives Maroc
12 / 2010
A l’instar de tous les forums sociaux qui ont progressivement émergé aux quatre coins du monde, le forum social maghrébin est une dynamique ouverte, un espace de diversité et, par conséquent, un processus en constante gestation (1). Le forum social maghrébin est apparu et s’élargit actuellement dans un contexte où la multiplicité des composantes de la société civile et des diktats politiques et économiques rendent indispensable une mise en réseau pour tendre vers un autre Maghreb.
L’urgence d’alternatives face au despotisme et au néolibéralisme
Dans les pays du Maghreb, la mondialisation néo-libérale menace les peuples de la région de plus de précarité, d’exclusion sociale et culturelle. Comme ailleurs, les populations sont confrontées à la hausse du coût de la vie et à une détérioration des services publics, tandis que le marché de l’emploi connaît une érosion touchant même les diplômés de l’enseignement supérieur. Cette mondialisation capitaliste a aggravé les problèmes d’endettement des pays, mettant à mal le tissu économique. Malgré les richesses de la région, les peuples sont acculés par la pauvreté et l’exploitation à chercher du travail dans une Europe forteresse qui fait du Détroit de Gibraltar le plus grand cimetière de la région.
Parallèlement, les carences démocratiques, la répression, les despotismes locaux génèrent la résistance et les luttes pour la démocratie, la dignité, la justice et l’égalité. Comment considérer alors les vagues de réactions contre la cherté de la vie ? Les évènements d’Ifni ? De Gafsa ? De Mauritanie ? D’Egypte ? etc. Comment évaluer les millions de manifestants dans les rues en solidarité avec la Palestine et l’Irak malgré les restrictions sinon les interdictions et la répression ?
Dans ce cadre, la dimension maghrébine n’est pas un concept creux, elle correspond non seulement à une histoire séculaire brisée par les guerres coloniales, mais elle est une nécessité conjoncturelle face à l’offensive européenne et les accords bilatéraux entre les Etats-Unis et les pays de la région. L’échec des Etats de la région à réaliser l’unité du Maghreb, les conflits régionaux nous met dans l’obligation de recherche d’alternatives pour créer un espace maghrébin de paix, de prospérité et de démocratie (2).
Une suite de rencontres préliminaires fondatrices de la dynamique sociale maghrébine
Le Maroc a été l’initiateur de la dynamique des forums, notamment par l’organisation de deux forums nationaux en 2002 puis en 2004. L’expérience marocaine a permis non seulement de catalyser le processus en Tunisie, mais aussi de soulever des débats entre les composantes sociales en Algérie. Elle a également déclenché un processus en Mauritanie ainsi qu’une intégration de la dynamique sahraouie. Le premier appel pour un forum social maghrébin a été lancé suite à des rencontres pendant l’année 2005, en marge de la cinquième édition du Forum social Mondial à Porto Alegre et du Forum social Méditerranéen à Barcelone (3).
Les rencontres multiples se employées à répondre à trois défis :
1) Permettre la convergence des mouvements sociaux, associations, syndicats et mouvements pacifistes de la région ainsi que des acteurs de l’émigration maghrébine;
2) Affirmer la nécessité de construire un « Maghreb des peuples » et esquisser les voies et les moyens de sa réalisation à travers des problématiques communes liées aux grands enjeux de la région pour constituer un espace d’élaboration d’alternatives et de redynamisation de la résistance qui renforcerait la lutte commune pour bâtir le Grand Maghreb dans le respect au droit à la différence ;
3) Articuler les dynamiques locales, régionales et mondiales conformément à la Charte de Porto Alegre ; ce qui suppose un effort pour faire connaître les dynamiques sociales à l’échelle de la région et articuler le travail associatif et les luttes sociales nationales à l’échelle régionale, également de créer des rapports égalitaires avec les mouvements sociaux de résistances au Nord.
L’Assemblée préparatoire de Bouznika, un acte majeur dans le processus de constitution de la dynamique du FSMagh
Afin de préparer au mieux la mobilisation des mouvements et réseaux sociaux et de s’adapter aux contraintes imposées par les gouvernants de la région, les initiateurs du processus ont fait le choix de procéder par étape, en organisant, avant le Forum Social Maghrébin en tant que tel, une session préparatoire, qui a eu lieu fin janvier 2006 à Bouznika au Maroc.
L’Assemblée préparatoire du Forum Social Maghrébin a constitué un acte majeur dans le processus de constitution de cette dynamique. Plus de 500 altermondialistes venus de Tunisie, d’Algérie, de Mauritanie, du Maroc, des associations de la société civile sahraouie et des associations maghrébines d’Europe ainsi que leurs invités internationaux ont eu la possibilité d’échanger dans un cadre non formel et ouvert pour réfléchir ensemble à des initiatives concrètes pour transformer profondément les sociétés du Maghreb et gagner le pari de la paix et la démocratie (4).
Cette Assemblée a donné un élan au processus de convergence et de partage d’expériences des mouvements sociaux, syndicaux et associatifs du Maghreb et des associations issues de l’immigration. Cela a été l’occasion, également, de revaloriser une mémoire collective déstructurée tant par les colonisations que par les régimes non démocratiques en place.
Les jalons vers le Forum Social Maghrébin
En tant que première instance structurée, le comité de suivi de la dynamique FS Magh a permis à toutes les composantes de se retrouver pour préparer les conditions adéquates à la tenue du premier FS Magh. Les réunions du comité de suivi ne sont pas les lieux de prise de position mais un espace de discussions et de confrontations. Le comité de suivi a retenu Nouakchott, comme lieu du premier Forum social maghrébin conformément aux objectifs fixés de contribuer à dynamiser le mouvement social en Mauritanie (5).
Initialement prévu pour Mai 2007, la tenue du FS Maghreb a été reportée à Janvier 2008 à l’occasion de l’appel du FSM pour une mobilisation mondiale.Toutefois, le gouvernement mauritanien qui a donné dans un premier temps son accord, s’est rétracté et a demandé le report à une date ultérieure. L’évolution de la situation a démontré l’impossibilité pour les mauritaniens de tenir le FS Magh à la date janvier 2008.
L’arbitraire des régimes en place, la limite des espaces de libertés ont fragilisé le processus de préparation du FS Magh. C’est pourquoi, il a été décidé de tenir des forums polycentrés en parallèle dans les différents pays de la région durant le mois de janvier 2008 afin de maintenir le processus et la dynamique. L’équipe du Forum Social Maroc a organisé un Forum à Bouznika, intitulé « Marche des mouvements sociaux vers un Maghreb des Peuples et pour un monde meilleur »les 25,26 et 27 janvier 2008.
Les thèmes choisis découlent des exigences de lutte commune et de dialogue entre les mouvements sociaux du Maghreb, de l’Afrique et de tous les continents. De ce fait, trois axes ont ponctué ce Forum :
1) La lutte des mouvements sociaux pour la justice, les droits humains, sociaux et économiques ;
2) Le Maghreb des peuples ;
3) Repenser les forums sociaux
La troisième édition du forum social marocain a été l’occasion de mobiliser plus de 1500 participants venus d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de Mauritanie et d’Europe.
Le forum social de Bouznika a abouti au lancement de plusieurs appels, notamment par les luttes des femmes pour l’égalité, la dignité et l’égalité des chances, par les migrants/réfugiés, en solidarité en Palestine, pour la paix au Sahara Occidental, des syndicats. Ces appels ont posé les jalons au premier Forum social Maghrébin (6).
Le Forum Social Maghrébin, un espace commun de résistances plurielles
Partant des acquis des diverses rencontres, le 1er Forum Social Maghreb s’est tenue à Al Jadida au Maroc du 25 au 27 juillet 2008.
Il a abordé des thèmes liés aux grands enjeux de la région : la relation à l’Europe, leurs rapports aux institutions internationales, leurs rapports aux Etats-Unis, les liens entre les pays du Sud, les politiques de solidarité internationale à mettre en œuvre, la paix et la sécurité collective dans le monde et les questions d’armement, l’exercice de la démocratie et de la citoyenneté, la distribution de la richesse produite, le contenu des politiques des Etats de la région, etc.
Le forum social a consolidé les principales revendications de la région. Le réseau des femmes du Maghreb a appelé à l’unification des luttes contre la culture patriarcale dominante, pour une autonomisation des femmes et une citoyenneté pleine et entière. Le 1er FS Maghreb a consacré une attention particulière à la condition des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile au Maghreb et en Europe. La présence des syndicats a permis d’avancer sur la déclaration commune des syndicats marocains, algériens, tunisiens et mauritaniens adoptée en juin 2008 à Mohammedia (Maroc) sur la reconstruction du mouvement syndical, à travers la mise sur pied d’un forum social syndical maghrébin dans le cadre du FS Magh. Le réseau maghrébin travaillant sur la problématique de l’eau et la protection de l’environnement a été renforcé et élargi. L’atelier sur la résolution du conflit du Sahara qui a connu la participation de plus de 600 personnes a permis de marquer une avancée notable dans le renforcement de l’espace de débats dans le respect de la diversité des positions (7). La question palestinienne, présente dès l’ouverture du Forum, a été une nouvelle occasion pour les mouvements sociaux de réitérer leur soutien à la lutte des peuples palestiniens et irakiens et leur engagement à la lutte contre l’impérialisme américain, contre la guerre globale, contre la militarisation dont seuls les peuples en font les frais.
Un moment fort du premier forum social maghrébin a été l’adoption par l’Assemblée des peuples du Maghreb de la Charte du Maghreb des peuples. La Charte est fondée sur des considérations historiques, politiques, culturelles, linguistiques. Cette Charte est la première contribution à la construction du Maghreb. Elle est aussi un complément à la Charte de Porto Alegre, complément qui se focalise spécifiquement sur les conditions particulières de notre région.
Le 1er FS Maghreb a connu la participation de près de 2 300 participantes et participants des mouvements sociaux venus de 28 pays du Maghreb, du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne (9 pays), d’Europe et d’Amérique confirmant le choix de sa dimension africaine, arabe et mondiale tant au niveau de la participation que du contenu des débats et des conclusions. Près de 750 organisations et dynamiques des mouvements sociaux ont participé aux débats réalisant ainsi un élargissement de la participation et un ancrage dans le travail de proximité des luttes sociales (8).
Un Maghreb à dimension internationale
Il s’agit pour le FSMaghreb de réussir cinq défis :
1. Articuler le local aux dynamiques internationales. Le FSMaghreb doit s’inscrire dans la dynamique engagée par Porto Alegre pour la mise en place d’un mouvement international de résistances à la mondialisation capitaliste.
2. L’articulation Sud/Sud : s’ouvrir et intégrer les dynamiques de la corne des conflits (Palestine, Irak, etc.) (9).
3. Le Maghreb est partie intégrante de l’Afrique : il s’agit de renouer les liens rompus par la colonisation et les despotes locaux pour inscrire le Maghreb dans les grands défis de l’Afrique : la lutte pour la dignité, pour le partage équitable des richesses, pour la lutte contre la famine, les guerres fratricides, les montées des idéologies identitaires, pour l’accès aux soins et services de base, etc.
4. Assurer la présence des femmes maghrébines dans la construction du processus.
5. Le défi de l’ancrage social et de l’élargissement aux différentes dynamiques sociales de la région.
Suite à la 9e édition du Forum Social Mondial à Belém (Brésil) en janvier 2009, le Maroc a accueilli la rencontre du Conseil International du FSM qui a eu lieu en mai 2009 à Harhoura/Rabat. Lors de cette rencontre, la candidature du Sénégal comme pays d’accueil de l’édition 2011 du Forum Social Mondial a été confirmée, en insistant sur la collaboration entre le FS Maghrébin et le FS Africain.
Le Conseil international du FSM a réitéré l’importance d’œuvrer à la réalisation des différentes étapes vers la construction d’un Forum Social Maghreb-Machrek Arabe qui contribuera à construire une solidarité entre les mouvements sociaux de la région pour une résistance plus effective contre le modèle néolibéral dominant (10).
Le FS Magh a adopté également l’approche par « foras thématiques ». Chaque forum thématique est organisé de manière concertée avec les organisations de la société civile et les mouvements sociaux de la région et s’inscrit dans l’agenda des mobilisations mondiales du FSM vers Dakar 2011. Ainsi, sept foras thématiques ont déjà été organisés en une seule année, tels que : le Forum des Mouvements Sociaux et des Forums Sociaux au Maghreb (Mars 2010), le Forum Syndical Maghrébin (Mai 2010), le Forum pour la Santé et l’Environnement et la Terre en Egypte (Octobre 2010), le Forum Mondial de l’Education en Palestine (Octobre 2010)-l’activité WEF étendu de Marrakech le 30/10/2010, le Forum Social des Associations et des Organisations Communautaires de Base à Casablanca (Octobre 2010), le Forum Africain sur les Droits Culturels à Casbalanca (Novembre 2010), le Forum sur l’Immigration en Belgique (Décembre 2010) ; et est encours de réalisation le Forum sur les Droits des Femmes Maghreb/Machrek.
Ces espaces remportent un succès progressivement important. Ils représentent une menace pour les Etats, particulièrement la Lybie et la Tunisie qui ont délégué leurs agents pour intimider les militant(e)s tunisie(ne)s et lybiens. Il dérange en Mauritanie. Et il n’est pas évident de l’organiser en Algérie, le gouvernement algérien ayant interdit la tenue du Forum Social Algérie. Il dérange en Mauritanie, d’ailleurs, en date du 1er novembre 2010, les autorités mauritaniennes ont informé le Comité mauritanien de suivi du Forum Social Maghrébin le report de la tenue du forum social thématique sur les droits humains censé se tenir à Nouakchott les 6 et 7 novembre 2010. Le Maroc reste, du fait des luttes menées pour l’élargissement des libertés, le seul espace, quoique fragile, où il est possible d’organiser des manifestations de cette envergure.
Malgré des difficultés, la dynamique est en pleine évolution. Il va de soi que le forum social maghrébin reste un espace de visibilité des luttes sociales, un lieu de réflexion et d’échanges, un lieu d’articulation des luttes, des solidarités et un lieu de mise en réseau. Le mouvement social dans chaque région du Maghreb a besoin de s’élargir dont l’objectif est de construire un mouvement social solide et capable de lutter pour un Maghreb meilleur.
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, Maghreb
Cet article est une compilation de documents réunis par le Forum des Alternatives Maroc (FMAS).