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La récupération des semences traditionnelles est-elle possible ?

L’histoire du village de Kathulumbi au Kenya

Anne Maina

10 / 2010

Les habitants du village de Kathulumbi au Kenya sont en train de construire une banque de semences pour sauvegarder la biodiversité et l’accès à des variétés non contaminées. Les cultures traditionnelles comme le manioc et le mil ont été largement remplacées par des cultures de maïs génétiquement modifié accessible à bas prix. En préservant les semences traditionnelles, les villageois de Kathulumbi veulent sauvegarder ces cultures abordables, durables et plus nutritives que leurs homologues génétiquement modifiées.

À l’heure où le soleil se lève en cette matinée de début février, Mumo saute de son lit pour préparer le petit déjeuner familial, une bouillie de mil. Elle et sa famille apprécient le porridge au petit déjeuner, car il remplit l’estomac et leur permet ainsi de tenir toute la journée sans déjeuner. De temps en temps, ils agrémentent leur bouillie avec des patates douces ou du manioc, mais ceux-ci sont difficiles à trouver ces jours-ci. Le pain est devenu très cher et Mumo dit qu’elle ne peut pas se le permettre pour le petit déjeuner. Même le mil, qui vient de loin, là où certains agriculteurs continuent à le cultiver, est parfois trop coûteux.

Mumo et ses cinq enfants vivent dans le village de Kathulumbi, à environ 100 kilomètres de la ville de Machakos, dans la partie orientale du Kenya. Elle est veuve depuis peu et a été forcée de revenir vivre sur le lopin de terre familial car elle ne pouvait plus payer son loyer dans la ville de Machakos, où elle enseignait dans une école primaire.

Cultures traditionnelles en déclin

Mumo fait principalement pousser du maïs sur sa parcelle d’un quart d’acre, parce que c’est la céréale de base pour préparer l’ugali, ou sima comme certains l’appellent au Kenya. Elle se souvient que lorsqu’elle était jeune, les gens cultivaient davantage les tubercules et cultures traditionnelles comme l’igname, le manioc, le millet et les patates douces. Mais les choses semblent avoir changé avec la modernisation. Est-ce la raison pour laquelle les gens ne sont plus en bonne santé et souffrent de nombreuses maladies ? Même les jeunes enfants sont atteints de diabète.

Lorsque « Madame Mumo », comme l’appelaient ses élèves, est revenue à Kathulumbi, elle a découvert l’existence d’un groupe au sein de sa communauté appelé Comité de Développement Communautaire de la Banque de Semences de Kathulumbi (Kathulumbi Seed Bank Community Development Committee). Le chef local, Maleve, l’a alors pressée de se joindre au groupe et de soutenir son développement.

Partenaires dans la biodiversité

Le Comité de Développement Communautaire de la Banque de Semences de Kathulumbi travaille en étroite collaboration avec l’INADES au Kenya. L’INADES est un membre actif du Réseau africain pour la biodiversité (Africa Biodiversity Network, ABN). L’ABN est quant à lui un réseau d’organisations africaines qui travaillent dans 12 pays et qui cherche à relancer la biodiversité et les savoirs qui lui sont liés depuis la base, main dans la main avec les communautés locales.

Selon l’ABN, les connaissances écologiques traditionnelles détenues par les communautés africaines sont cruciales pour assurer la résilience à long terme des forêts et des écosystèmes du continent, mais aussi la sécurité alimentaire et la dignité de ces communautés. L’ABN soutient la Coalition Kenyane pour la biodiversité (KBioC), un consortium regroupant plus de 65 organisations paysannes, réseaux travaillant sur le bien-être animal, associations de consommateurs, organisations confessionnelles et groupes communautaires. Ses membres sont des acteurs de l’environnement, de l’agriculture et de la biodiversité.

Les semences magiques de maïs sèment le trouble

Pourquoi une banque de semences ? La communauté de Kathulumbi s’est rendue compte que depuis l’introduction de semences de variétés modernes par des entreprises de Nairobi, la production alimentaire a diminué. Les membres plus âgés du groupe se souviennent des représentants bien habillés des entreprises multinationales venus au village, qui leurs avaient présenté les « semences magiques de maïs » qui devaient produire davantage que les variétés locales traditionnelles. Ces « semences magiques de maïs » leur avaient été fournies avec des engrais et des pesticides.

Les premières saisons, les rendements avaient effectivement augmenté, incitant plus de gens à consacrer davantage de leurs terres à la production de maïs. Cependant, avec le temps, les sols ont eu besoin de plus d’engrais et de plus de pesticides pour lutter contre les ravageurs comme la pyrale du maïs. Lors de pluies tardives ou insuffisantes, la situation est pire encore, car la récolte de maïs est alors perdue avant maturité. Auparavant, les agriculteurs conservaient une partie de leurs semences pour les semer la saison d’après, mais avec ces semences modernes, ils doivent en racheter à chaque semis dans les magasins agrovétérinaires locaux, sinon les rendements sont compromis.

Le conseiller agricole local a appelé ces semences des « hybrides ». Il a même été question d’organismes génétiquement modifiés. Avec le soutien de KBioC, quelques-unes de ces semences vendues dans les magasins agrovétérinaires ont été testées, et il a été constaté qu’elles étaient contaminées par des OGM. Pour aggraver les choses, le maïs récolté a commencé à développer des aflatoxines, qui peuvent être toxiques lorsqu’elles sont consommées.

Construire la banque de semences

La communauté courait à sa perte. Les anciens ont alors tenu une réunion spéciale pour discuter des enjeux de sécurité alimentaire auxquels ils étaient confrontés. Ils ont discuté et ont réalisé que la plus grande erreur qu’ils avaient faite était d’oublier leurs aliments locaux et traditionnels. Il y a un dicton populaire swahili qui dit : « Usiache mbachao kwa msala upitao », ce qui signifie « Ne laisse pas ce que tu as dans ta main pour un nuage qui passe ». Les anciens ont décidé de prendre l’initiative de relancer et régénérer les semences de variétés locales, qui avaient résisté à l’épreuve du temps.

Le rôle des femmes dans la récupération des semences de variétés locales a été considéré comme essentiel pour assurer l’autosuffisance alimentaire de la communauté de Kathulumbi. Les femmes âgées ont été chargées de transmettre ces compétences aux femmes plus jeunes et aux professionnelles comme Mumo. Le système des semences traditionnelles n’est pas uniquement centré sur le rendement, mais englobe également une série d’aspects culturels. Une semence par exemple peut être choisie en vue de cérémonies spéciales, comme la fabrication de bière de mil pour les mariages. Des semences différentes ont également été sélectionnées pour les différentes saisons. En période de sécheresse, les semences les plus robustes sont plantées. Il y a aussi toute une variété de plantes cultivées, pas seulement le maïs. Le manioc, l’igname et le mil sont des cultures résistantes qui sont complétées par d’autres.

Mumo dit qu’elle est heureuse d’avoir rejoint le Comité dans ses efforts pour faire revivre et pour récupérer les semences de variétés traditionnelles. Avec le soutien de l’organisation Arid Lands Resource Management Project (Projet sur la Gestion des Ressources en Terres Arides), un bâtiment a été construit pour la banque de semences communautaire, et les gens ont été encouragés à venir inscrire et partager des variétés qui avaient presque disparu.

Maintenant, les agriculteurs de la communauté n’ont plus à acheter leurs semences à chaque nouvelle saison, puisque les variétés locales peuvent être sélectionnées et replantées sans perte de productivité. Les enfants ne souffrent plus de malnutrition et d’un manque d’alimentation équilibrée. Ils mangent maintenant des repas sains.

L’année 2010 a été exceptionnelle avec des pluies suffisantes, mais, en février, le gouvernement kenyan a approuvé l’importation de plus de 280 000 tonnes (3,2 millions sacs de 90 kg) d’un mélange de maïs génétiquement modifié dans le pays. Ceci en dépit de la Loi kenyane sur la biosécurité de 2009, qui n’a pas encore pris effet faute de mise en Ĺ“uvre des dispositions prévues.

Le chemin pour assurer la sauvegarde des semences à Kathulumbi sera encore long, et rempli d’obstacles, notamment la menace de contamination par les OGM. Les habitants de Kathulumbi veulent que leur village soit une zone de diversité de semences libre d’OGM, et ils tiennent à en être les garants. Les défis sont grands, mais ils ont commencé à les relever.

Key words

seed, traditional cultivation, traditional farming, biodiversity, food sovereignty


, África, Kenya

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Notes

Traduction : Charlotte Berthou

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