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InfraREDD et InfoREDD

Quand la biodiversité est réduite à la biomasse, le climat est mûr pour la biopiraterie

Pat Mooney

10 / 2010

Les nouvelles technologies cartographiques facilitent la récolte de données sur la biodiversité, et par là facilitent en même temps la biopiraterie et les abus de propriété intellectuelle au détriment des communautés indigènes. « De nouvelles formes de biopiraterie et de nouvelles stratégies visant au contrôle de la biomasse pourraient signifier une régression de leurs droits, de leurs avantages et de la justice pour les peuples indigènes », écrit Pat Mooney.

Lors que la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (CDB) fut adoptée lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, nous avons créé le terme de « biopiraterie » pour souligner que ce traité représentait le plus important accaparement de savoirs et de ressources souveraines indigènes depuis 500 ans. Même s’il prétendait consacrer l’autorité des nations sur la biodiversité localisée au sein des frontières d’un pays et créer un espace modeste (quoique bienvenu) de participation pour les communautés indigènes et locales, l’impact de fait de la CDB était aussi de sanctionner le fait que toute la biodiversité (gènes et espèces) piratée par les puissances coloniales avant 1992 et conservée dans les zoos, herbiers, jardins botaniques et banques de gènes devenait ipso facto propriété légale des colonisateurs.

En un instant d’aveuglement, toute la biodiversité qui avait été collectée (et étudiée, et considérée comme ayant une valeur) devint l’héritage des voleurs, laissant aux peuples indigènes et aux gouvernements postcoloniaux toute la biodiversité restante non collectée et de valeur inconnue. Ce fut présenté comme une grande victoire pour le peuple.

Au cours des 18 années qui se sont écoulées depuis, les peuples indigènes et les gouvernements du Sud ont mené un combat difficile pour faire accepter une forme ou un autre d’accord « d’accès et de partage des bénéfices » qui soit à la fois équitable et financièrement avantageux. Certains pensent sur l’objectif est à portée de main, tandis que d’autres craignent qu’il ne soit en train de nous échapper – dépassé par de nouvelles tactiques et de nouvelles technologies.

De même que la Convention de 1992 imposait une amnésie gouvernementale de masse revenant à effacer l’histoire, les développements récents dans le cadre de la CDB et du programme dit de « Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts » (REDD+) de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUC) pourraient permettre à de nouvelles technologies de commercialiser la biodiversité n’ayant pas encore été marchandisée, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle vague de pillage des territoires des paysans et des peuples indigènes. Par exemple, jusqu’à aujourd’hui, les forêts n’ont pas été considérées comme des « puits de carbone » dans le cadre du Mécanisme de développement propre de la CCNUCC, en raison, entre autres, de la difficulté à quantifier le dioxyde de carbone qu’elles absorbent. De nouvelles technologies, parmi lesquelles la surveillance par satellite, sont capables de détecter les changements dans la biomasse des forêts. La mise en Ĺ“uvre de ces technologies mènera immanquablement à une surveillance accrue non seulement des « arbres », mais aussi de forêts entières et des peuples indigènes qui y vivent. En outre, les technologies digitales et génomiques permettront de mettre en ligne la biodiversité restante sur Internet, où elle pourra être modifiée et monopolisée par quiconque sera doté de la prouesse technologique suffisante. Une fois cette digitalisation menée à bien, la biodiversité vivante pourrait perdre toute valeur commerciale, et les terres affectées à des activités plus profitables, au service de la nouvelle économie des glucides.

Biocartographies infra-REDD

Les satellites et les avions peuvent aujourd’hui être combinés pour cartographier et sonder (en trois dimensions) la biomasse tropicale, d’une manière qui n’aurait pas pu être imaginée au moment de l’adoption de la Convention sur la diversité biologique. Des caméras montées sur des avions légers ou des hélicoptères peuvent utiliser l’imagerie hyperspectrale pour analyser les longueurs d’ondes visibles ou infra-rouges qui révèlent des variations dans la végétation. Des mesures précises de lumière mettent au jour les nutriments du sol, permettant d’identifier non seulement le type de végétation de surface, mais également ce qui se cache en dessous. Cette technologie a été initialement développée pour repérer des sites de sépultures, mais a été réadaptée pour servir une multitude de besoins, depuis ceux des archéologues jusqu’à ceux de la CIA, et facilite aujourd’hui la privatisation et la commercialisation de l’« air » des forêts.

La biocartographie (et la biopiraterie) présentent un potentiel considérable. Les plantes sont affectées par la composition du sol sur lequel elles poussent. Des longueurs d’onde de l’ordre de 400 à 2350 nanomètres peuvent être sondées depuis le ciel pour détecter tout changement dans la composition chimique du sol ou de l’eau. Il est déjà possible pour une police aéroportée de localiser la peau humaine et de déterminer si un corps est vivant ou mort (1). Parmi les possibilités à court terme, l’identification aérienne des cultures ou des races d’élevage propriétaires présentant des traits génétiques uniques ou des marqueurs ADN, et aussi (ce qui constitue un point important pour les communautés indigènes et locales) l’opportunité d’identifier par triangulation les sols, insectes ou plantes qui pourraient présenter un intérêt industriel. Après avoir été ainsi repérées et subtilisées, la biodiversité et la terre pourront être utilisés à d’autres fins.

En septembre, le Carnegie Institute de l’Université de Stanford annonçait avoir cartographié, avec le World Wildlife Fund et le gouvernement péruvien, plus de 43 000 kilomètres carrés de forêt amazonienne (une surface équivalente au territoire de la Suisse). Tandis que des satellites cartographiaient la végétations et enregistraient les variations, ces images satellitaires étaient complétées par un avion équipé de la technologie propriétaitre LiDAR (light detection and ranging) du Carnegie Institute pour produire des représentations tridimensionnelles de la structure végétale de la zone couverte. À terre, des scientifiques convertissaient les données structurelles en densité carbonique, grâce à un modeste réseau de parcelles. Le système novateur du Carnegie fait converger les données géologiques, d’utilisation des sols et d’émissions, afin d’informer le Pérou – et quiconque aurait accès à ces données – que le stockage total de carbone de la forêt de cette zone s’élève à environ 395 millions de tonnes, avec des émissions d’environ 630 000 tonnes par an. L’estimation par le GIEC de la quantité de carbone stockée dans la même région était de 587 millions de tonnes. Cependant, dans le cadre des programmes de type REDD, l’approche à haute résolution du Carnegie pourrait permettre de générer davantage de crédits par tonne de carbone (2). Le système est également peu coûteux. Les coûts de cartographie au Pérou sont de 0,08 dollar US l’hectare, et une cartographie similaire a été produite à Madagascar pour 0,06 dollar l’hectare (3). Eh bien alors, dans le monde des marchés du carbone, combien de biomasse ces terres peuvent-elles produire ?

Les implications de ces technologies infra-REDD sont substantielles. Il devient envisageable pour l’industrie et les gouvernements de sélectionner la biodiversité qu’ils considèrent comme importante à l’heure actuelle et de se débarrasser du reste. En outre, la technologie pourrait permettre de suivre à la trace les habitants des forêts, ce qui pourrait jouer un rôle dans les négociations sur les droits fonciers. Enfin, la capacité d’évaluer la biomasse totale et sa valeur en termes de carbone rend la biodiversité sans intérêt, la biomasse elle-même devenant seule importante.

Info-REDD – iBio et la diversité digitale

La complaisance de l’industrie, qui pense pouvoir se passer de la plupart de la diversité biologique de la planète, est une terrible erreur – ce qui n’atténue en rien la menace qui pèse sur la biodiversité. Les praticiens de la biologie synthétique – qui assurent qu’ils seront capable de reconstruire des espèces éteintes à partir de rien dans leurs laboratoires et de construire toutes les nouvelles espèces dont le commerce peut rêver – ne voient parfois pas l’utilité de conserver les « vieilleries », au cas où. Au début de cette année, des scientifiques de l’Université de Cambridge ont découvert le moyen de pousser les cellules à lire l’ADN d’une manière différente. De sorte qu’au lieu de ne disposer que de 20 acides aminés pour construire la totalité des êtres vivants, ces scientifiques disposent désormais de 276 acides aminés, à partir desquels ils se prétendent en mesure de construire presque n’importe quel type d’organisme vivant imaginable. En mai de cette année, une entreprise appelée Synthetic Genomics a réussi à construire le premier microbe artificiel auto-reproducteur – une espèce qui n’avait jusqu’alors jamais vécu sur terre. Maintenant qu’ils en ont établi la « preuve de principe », les praticiens de la biologie synthétique pensent être en mesure de construire des micro-organismes capables de transformer la biomasse en aliments, en carburant, en médicament ou en plastique.

Les nouvelles technologies de l’information encouragent leur hubris. Le projet International Barcode of Life (IboL) et le Consortium for the Barcode of Life qui lui est associé, hébergé par la Smithsonian Institution aux États-Unis (qui n’est pas signataire de la Convention sur la diversité biologique), cartographient le génome de toutes les espèces connues, mettant les cartographies électroniques en ligne sur Internet. En outre, des milliers d’échantillons sont envoyés bénévolement à la Smithsonian et à d’autres institutions du Nord, comme le Biodiversity Institute of Ontario à Guelph au Canada. Une fois cette cartographie menée à bien, il deviendra en théorie possible pour des entreprises – armées, peut-être de la technologie d’autoréplication brevetée par Synthetic Genomics Inc – de télécharger des modèles génétiques, des les modifier à volonté et de construire de nouvelles formes de vie. Les entreprises des sciences de la vie, des médicaments aux semences, pourraient en tirer la conclusion que les banques de gènes, les zoos et les jardins botaniques – et les programmes de conservation en général – sont définitivement dépassés.

IboL n’est pas un cas unique. On estime que l’une des initiatives « concurrentes », appelée le projet Genome 10K (consacrée à la cartographie du génome de 10 000 espèces), pourrait ne pas coûter plus de 50 millions de dollars US (5 000 dollars par espèce). Là encore, il est prévu que les cartographies des espèces soient accessibles à quiconque sera doté d’un accès à l’Internet (4).

Comme pour la technologie LiDAR du Carnegie, le coût du séquençage ADN devient négligeable – un 100 000e de ce qu’il était il y a une décennie. Par exemple, le premier séquençage du génome humain (avec 3 milliards de paires de base à analyser) a nécessité 13 ans et 3 milliards de dollars US. Aujourd’hui, il peut être réalisé en 8 jours pour 10 000 dollars US. Oxford Nanopore Technologies et sa rivale Pacific Biosciences assurent tous les deux qu’il seront capables d’ici 3 ans de cartographier le génome humain en 15 minutes pour 1000 dollars US. De manière frappante, Pacific Biosciences déclare qu’elle sera en mesure d’analyser un génome à partir d’une seule molécule ADN (5). Si (ou devrait-on dire quand ?) cela advient, il deviendra possible de stocker une molécule de toutes les espèces vivantes du monde (estimées à 10 millions) sur une seule face d’un disque de la taille d’une carte de crédit – avec la carte digitale de chaque espèce gravée sur l’autre face. Un jardin d’Eden éjectable…

Encore une fois, une fois cette digitalisation accomplie, le monde industriel ne verra plus aucun intérêt dans la diversité biologique. Les forêts vierges – ou, plus exactement, les terres actuellement occupées par des arbres – pourront être affectées à des usages « plus productifs », maximisant la production de biomasse. Selon certains aventuriers capitalistes, la donnée économique la plus déterminante dans le monde aujourd’hui est que seuls 23,8% de la biomasse terrestre annuelle mondiale trouve le chemin du marché – ce qui signifie que 76,2% de la biomasse terrestre annuelle mondiale n’attend encore que d’être monopolisée. Ce qui est en jeu, c’est le contrôle non pas d’une seule, mais de plusieurs industries représentant des billions de dollars.

En 2010, année de la diversité biologique des Nations unies, alors que les communautés indigènes et locales débattent du caractère équitable ou non des accords d’accès et de partage des bénéfices et des droits des peuples indigènes, ainsi que de leur précieuse contribution à la conservation de la biodiversité, de nouvelles formes de biopiraterie et de nouvelles stratégies de contrôle de la biomasse pourraient signifier une régression de leurs droits, de leurs avantages et de la justice à un niveau inférieur à ce qu’ils étaient en 1992. Pour les entreprises, la question n’est plus celle de la propriété des écosystèmes et de la biodiversité, mais celle de savoir qui seront les nouveaux maîtres de la biomasse.

 

 

1 New Scientist (2010) ‘Air detectives know where the bodies are buried’, 10 avril.
2 Carnegie Institute, Stanford University (2010) ‘Carbon mapping breakthrough’, 6 septembre.
3 Butler, Rhett A. (2010) ‘Peru’s rainforest highway triggers surge in deforestation, according to new 3D forest mapping’, mongabay.com, 6 septembre.
4 The Economist (2010) ‘A special report on the human genome: Inhuman genomes - Every genome on the planet is now up for grabs, including those that do not yet exist’, 17 juin.
5 The Economist (2010) ‘A special report on the human genome: Biology 2.0 - A decade after the human-genome project’, 17 juin.

Key words

technological innovation, biology, chemistry, genetics, Genetically modified organism (GMO), biodiversity, climate, climate change


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Nouvelles technologies en Afrique

Comments

Cet article a été écrit initialement pour l’anthologie à paraître ‘No REDD !’ compilée par Carbon Trade Watch et l’Indigenous Environmental Network. Ce volume souligne les dangers de REDD et REDD+ et inclut des contributions de mouvements sociaux et d’organisations de peuples indigènes du monde entier.

Cette fiche existe également en anglais

Notes

Traduction : Albert Caille.

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