01 / 2009
La préservation du climat et l’épuisement des ressources pétrolières conduisent tous les acteurs à promouvoir un système de transport ayant recours à des modes plus respectueux de l’environnement. Mais tandis que les masses asiatiques aspirent à la mobilité automobile et que les constructeurs lorgnent sur ces marchés, que peut-on dire au niveau mondial du potentiel prospectif de l’évolution du paysage modal ?
Monde : l’agenda des industriels de l’automobile
L’exercice de la prospective est difficile. Il nécessite de rassembler des masses de données, particulièrement quand on veut traiter le monde entier et l’ensemble de la mobilité. Or ces données font largement défaut dans certaines parties du monde, ou pour certains modes de transport. Ces données concernent de multiples disciplines et ne peuvent être manipulées que par des équipes importantes. D’autres données stratégiques sont des secrets industriels. C’est pourquoi il y a si peu de prospective exhaustive de la mobilité mondiale. À vrai dire, il n’existe qu’une seule étude de ce type (1), publiée par le World Business Council on Sustainable Development (WBCSD) en 2004, et ce n’est pas un hasard, puisque le WBCSD est un regroupement des principales entreprises internationales dans les secteurs automobile et pétrolier. Cette étude a mobilisé plus de 200 personnes. Elle s’appuie sur les travaux antérieurs d’universitaires (2) et sur des projections de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). Elle a aussi servi de base pour le chapitre transport des travaux du GIEC (3) dont la raison d’être est de réduire les émissions de CO2.
En fait la contrainte climatique est aujourd’hui incontournable dans toute prospective des transports. Et il faut dire que l’étude du WBCSD passe en revue de manière très complète tous les moyens de réduire l’impact climatique de l’automobile (et des autres modes), en étudiant de nouveaux couples moteurs – carburants, et des véhicules plus efficaces. Mais les auteurs reconnaissent que, même en acceptant les hypothèses les plus optimistes en matière de développement et de pénétration des nouvelles technologies, il sera difficile de satisfaire aux exigences de lutte contre le renforcement de l’effet de serre, ce qui est pointé par les experts du GIEC.
En réalité si cette étude, comme beaucoup d’autres, cherche le Saint Graal du côté de la technologie, c’est que les industriels ne peuvent se résoudre à une diminution de l’automobile et continuent de tabler sur une croissance future. Il y a pourtant un moyen très simple de réduction du contenu en carbone de la mobilité qui n’est pas ou peu évoqué, c’est le report modal vers des modes de transport plus sobres, comme les transports collectifs ou les modes non motorisés.
Ce report modal est invoqué depuis longtemps en Europe, d’abord pour améliorer la qualité de vie en ville, mais aussi comme moyen de réduire la dépendance au pétrole et les émissions de CO2. Les travaux du GIEC (Kahn Ribeiro et al, 2007 p. 29 table 5.6) citent notamment le potentiel des systèmes de bus à haut niveau de service et des modes non motorisés, ces derniers étant d’ailleurs beaucoup moins coûteux à la tonne de CO2 évité pour un transfert modal comparable. Mais ces modes non motorisés ne sont même pas considérés dans les prévisions du WBCSD (figure 1).
S’il y a peu de travaux au niveau mondial, il y a par contre une quantité d’études prospectives de la mobilité au niveau des principaux pays.
Aux Etats-Unis : le business as usual
Aux Etats-Unis, il y a une profusion de publications scientifiques traitant de tel ou tel aspect des nouvelles technologies, ou de la demande de transport, aucune n’assurant une vue prospective d’ensemble. De telles visions sont proposées par d’autres études, publiées en particulier par un consortium défendant les intérêts du secteur routier (4), ou par un groupement d’organismes gouvernementaux, associatifs, et industriels de différents modes (5). Ce dernier souhaite soutenir la croissance économique des Etats-Unis et préserver le mode de vie américain, ne remet pas en cause le système actuel et propose dix mesures intégrées pour atteindre des objectifs de fonctionnalité, de sécurité et d’indépendance énergétique. Suite à la croissance démographique et économique, la circulation routière doit croître de 60 % de 2000 à 2030 (6) et les mesures se contentent de satisfaire cette demande et d’en atténuer les impacts.
En Europe : le livre blanc fera-t-il chou blanc ?
En Europe, la Commission a publié en 2001 un livre blanc (7) qui est le document de référence fixant la politique européenne des transports à l’horizon 2010. Ce livre blanc définit quatre directives politiques, dont la première consiste à rééquilibrer les modes de transport. Cette directive se décline en cinq sous – objectifs : améliorer la qualité du secteur routier, revitaliser les chemins de fer, contrôler la croissance du transport aérien, adapter le système de transport maritime et de navigation intérieure, relier les modes de transport. Le projet SUMMA (8) avait pour objectif d’évaluer à mi parcours la mise en œuvre des directives du livre blanc. Selon ses conclusions, un grand nombre de facteurs limitent la mise en œuvre d’une politique de transport durable et contribuent à la poursuite des tendances passées : la non prise en compte des externalités dans les coûts des transports, l’inertie du fonctionnement des autres secteurs de l’économie et de la société, la lenteur de la diffusion des innovations et du changement de comportement, la présence d’intérêts qui entrent en conflit avec ces objectifs politiques.
Tranchant avec la démarche normative du livre blanc, un autre projet européen intéressant, Foresight For Transport (9), a mené une réflexion prospective sur les transports à partir d’une large consultation d’experts européens. Il apparaît que plus de la moitié des experts ne croient pas que la part modale du ferroviaire croîtra au rythme prévu, et le consensus est que le rééquilibrage modal ne pourra intervenir qu’à long terme, et sur la base d’une politique plus large dépassant le secteur des transports.
Sans contredire cette politique européenne de rééquilibrage, les États-membres conduisent en ce qui les concerne des études prospectives proposant différents scénarios d’inflexion des tendances passées. Pour ne prendre que le cas de la France, l’étude de référence est celle menée par le CGPC (10). Tout en recherchant une croissance vigoureuse du chemin de fer, et une forte réduction des émissions de CO2, cette réduction ne parvient pas à atteindre le facteur 4 et la suprématie de la route n’est pas remise en cause à l’horizon 2050. Pour parvenir à ce facteur 4, les travaux menés plus récemment par le LET et Enerdata (11) ont développé des scénarios plus ambitieux. Dans leur conclusion, les auteurs soulignent que les automobilistes devront être soumis à une double peine (moins vite, plus cher), et que la tarification aussi bien de la circulation urbaine que du fret est essentielle pour parvenir au rééquilibrage modal nécessaire.
Au Japon : un report modal high tech
Le Japon, tout aussi préoccupé de durabilité, a développé une feuille de route technologique concernant l’énergie à l’horizon 2100 (12), prolongée dans une stratégie technologique (13). Le transport n’est qu’un des secteurs concernés, et si la technologie des carburants, des véhicules, des fi lières hydrogène ou électrique constituent l’essentiel des développements, le report modal est aussi souhaité, mais vers de nouveaux modes de transport, à haut contenu technologique : systèmes ferroviaires légers (LRT), bus guidés, bus électriques locaux, véhicules bi-modes (DMV) qui sont des bus pouvant circuler sur route ou sur voie ferrée. Le vélo, beaucoup moins high tech mais très utilisé au Japon, notamment dans les grandes agglomérations pour rejoindre les gares, est quelque peu délaissé des politiques publiques, sauf pour construire des silos automatisés de stationnement près des gares encombrées, ou maintenant pour s’intéresser aux systèmes de vélos en libre service qui se développent en Europe.
En Chine : un report massif sur la voiture
Les premières prévisions prévoyaient une automobilisation de la Chine assez lente : ainsi, sur la base des estimations de Schäfer & Victor (2000), nous avions calculé (14) que la Chine ne dépasserait le seuil de 3 kilomètres en voiture par personne et par jour qui définit la transition de la mobilité qu’en 2045 ; les travaux plus récents laissent penser que ce seuil sera atteint dès 2025. Si le WBCSD prévoit que l’usage des voitures restera presque aussi intensif qu’en 2000 (environ 24 000 km par voiture et par an), Huo et al (15) tablent sur une diminution de cette intensité de moitié, de sorte que le parc automobile serait plus réduit pour le premier (128 millions en 2030, 308 millions en 2050) que pour les seconds (de 186 à 217 millions en 2030, de 391 à 532 millions en 2050). L’étude du LET (16), quant à elle, projetait de 441 à 697 millions de voitures en 2050 en Chine, ce qui ne serait pas sans poser de sérieux problèmes de capacité du réseau routier, malgré des investissements pharaoniques. Ainsi, l’automobile deviendrait le premier mode de transport en Chine, et le parc automobile chinois dépasserait celui des États-Unis dans les années 2030.
Les autres modes deviendraient marginaux : les motocycles, dix fois plus nombreux que les voitures privées en 2000, seraient dépassés vers 2020, d’autant plus que les politiques limitent leur usage, et la bicyclette qui a atteint un sommet dans les années 1990 avec plus de 500 millions d’exemplaires et environ 3 kilomètres parcourus chaque jour par chaque Chinois, poursuivrait inexorablement son déclin. La bicyclette électrique, malgré son fort développement actuel et son utilité pour la limitation des émissions polluantes ne pourrait pas concurrencer l’automobile. Et malgré un programme ferroviaire sans précédent dans l’histoire (12 000 km de lignes à grande vitesse d’ici 2020), et des constructions à marche forcée de métros dans de nombreuses villes (une nouvelle ligne chaque année à Shanghai au cours de la décennie 2000 par exemple), les transports publics auront du mal à atteindre les objectifs ambitieux fixés dans les plans de transport des grandes villes. Ainsi à Shanghai, il est peu probable que la part modale des véhicules motorisés qui atteignait déjà 26 % en 2004 redescende à 12 % pour laisser les transports publics occuper les 60 % prévus par le plan en 2020 (figure 2).
Pour le reste du monde : la « mal-mobilité » non durable
Si l’avance des pays occidentaux en matière de mobilité automobile est rattrapée à grandes enjambées par la Chine, les autres pays tendent tous, à leur rythme, à suivre la même direction. Il y a toutefois des différences importantes entre les pays. L’Amérique Latine, motorisée depuis les années 1970, voit sa mobilité stagner, malgré des expériences de bus en site propre (BRT) souvent cités. L’Afrique sub-saharienne, en attente d’une motorisation qui progresse lentement, et devant des transports publics soumis à des cycles d’effondrement financier, voit une grande partie de ses besoins assurés par des services artisanaux. L’Inde, dont l’air est déjà vicié par les voitures d’une minorité, a du mal à assurer des transports décents à la majorité de sa population. Et l’on voit bien dans les pays d’Asie du Sud-Est trop rapidement motorisés combien il est difficile de mettre en place après coup des transports publics performants. Des transports publics performants qui ont été délaissés après la transition économique en Russie et son explosion de la motorisation. Finalement, ce n’est que dans les pays riches que l’on peut se permettre de rééquilibrer les modes : Séoul par exemple a démantelé une autoroute pour restaurer une rivière, et rétrécit ses artères pour aménager des voies bus et des pistes cyclables. Mais est-on vraiment obligé de passer par une phase énergivore et polluante avant de prétendre à une mobilité durable ? Car si les pays développés ont bien du mal à infléchir leur consommation énergétique et leurs émissions de gaz à effet de serre, les mesures de report modal annoncées ne leur faisant gagner, lentement et avec réticences, que quelques pourcents, dans le même temps les pays émergents ajoutent goulûment une contribution comparable au total mondial actuel. Autrement dit, pendant que les uns essaient d’apaiser l’incendie qui, de leur faute, ravage la maison Terre avec des verres d’eau, les autres y déversent de l’huile à pleins seaux.
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Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
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