La crainte de raréfaction rapide de l’accès aux ressources pétrolières suscite depuis quelques années un regain d’intérêt pour les filières d’obtention de carburants liquides analogues à l’essence, au kérozène ou au diesel, à partir d’autres ressources fossiles que le pétrole, en particulier le charbon et le gaz naturel. L’idée n’est pas nouvelle : dès 1920 Hans Fischer et Frantz Tropsch ont réussi à produire du gaz de synthèse par vaporeformage, un mélange d’hydrogène et d’oxyde de carbone (CO), à le transformer par synthèse catalytique à haute température en hydrocarbure complexe dont on extrait des carburants automobiles. Cette voie d’obtention de carburant dite « indirecte » (dans la mesure où elle passe par la fabrication de gaz de synthèse CO + H2) n’est pas la seule possible. Il existe d’autres voies directes ou indirectes d’obtention de carburants liquides automobiles à partir de charbon.
La voie Fischer Tropsch a connu des applications industrielles pendant des périodes de crise et de rupture brutale d’approvisionnement en carburants pétroliers comme en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale ou dans les années 50-60 en Afrique du Sud, du temps où ce pays, en plein Apartheid, était soumis à un sévère embargo pétrolier. En effet, à ces différentes époques, le prix de revient de ces carburants de synthèse restait beaucoup plus élevé que celui des carburants pétroliers (en conséquence d’un investissement très important), alors particulièrement bon marché.
La flambée des prix pétroliers a changé la donne au tournant des années 2000. Depuis les années 50, des progrès significatifs étaient enregistrés sur ces procédés qui sont communs avec ceux de transformation de la biomasse ligno-cellulosique en carburant. Il devenait donc tentant de développer industriellement ces procédés avec l’espoir de détendre la pression qu’exerce la demande mondiale croissante de carburant pétrolier que nous connaissons.
Mais le tournant de l’année 2000 est aussi celui de la prise de conscience du danger majeur que représentent pour la planète les perspectives de réchauffement climatique. La question des émissions de gaz à effet de serre associées à la chaîne complète de fabrication, transport et distribution de ces nouveaux carburants de synthèse par rapport aux carburants classiques, est devenue aujourd’hui centrale.
C’est donc du triple point de vue de la sécurité énergétique, de l’économie et des émissions de gaz à effet de serre qu’il faut analyser les perspectives de développement du GTL (gaz to liquid) et du CTL (coal to liquid) et leur potentiel à moyen et long terme.
La liquéfaction du charbon.
Il existe aujourd’hui de nombreuses voies de valorisation possible du charbon hors du secteur de la production d’électricité. Ces différentes voies sont synthétisées figure 1.
La hausse des cours de brut a ainsi fait émerger de nombreuses voies de valorisation du charbon hors carburant liquide, dont la pétrochimie par les voies « oléfines » qui débouchent sur le polypropylène et polyéthylène (Total vient de lancer un pilote à Feluy en Belgique sur ce concept).
Pour la production de carburants liquides, les voies de liquéfaction directes et indirectes (via la synthèse Fischer-Tropsch) du charbon sont celles qui sont le plus souvent envisagées et évoquées sous le vocable CtL (Coal to Liquid). Il existe néanmoins deux autres voies qui permettent de convertir le charbon en carburant liquide à partir de production du méthanol qui est une synthèse relativement « simple » en comparaison à celle envisagée par la voie Fischer-Tropsch. Ce méthanol peut-être utilisé directement en mélange dans les voitures (actuellement en pratique en Chine), ou converti dans des produits jugés de meilleure qualité pour un usage dans le secteur des transports comme l’essence ou le DME pour moteur diesel.
Les principaux projets sont essentiellement envisagés en Chine, aux Etats-Unis, pour des raisons historiques en Afrique du Sud, et enfin, dans une moindre mesure, en Inde (1). Outre le projet de liquéfaction directe de Shenhua de 20 000 b/j (démarrage en 2008) et son extension à 50 000 b/j prévue pour 2015, la Chine a annoncé des projets considérables portant sur un total de plus de 700 000b/j (voies directe et indirecte) d’ici 2020. Au plan national, cela se traduirait par un supplément de consommation d’environ 220 Mt de charbon par an (près de 9 % de la consommation 2004) alors que les réserves de la Chine ne représentent que 55 ans au rythme actuel de consommation. Les incertitudes sur cette filière en Chine restent donc nombreuses, notamment en raison des risques environnementaux et financiers (chaque usine pourrait requérir un investissement supérieur à 5 milliards de $).
De son côté, la société Sasol a dans ses cartons une extension de capacité de 80 000 b/j soit en Afrique du Sud, soit en Inde.
Enfin, on dénombre aux États-Unis un minimum de six projets de liquéfaction pour une capacité ultime cumulée de près de 150 000 b/j. Certains de ces projets sont déjà parvenus au stade de la demande d’autorisation administrative, d’autres sont simplement en cours d’étude de faisabilité. Le total de ces capacités converge avec les données de l’Agence internationale de l’énergie, qui évalue à 750 000 b/j la capacité mondiale de production production
de carburants liquides par ces voies à l’horizon 2030, pour l’essentiel localisée en Chine (source : IEA – World Energy Outlook 2006). On voit ainsi que même si le seuil de rentabilité de ces projets est aujourd’hui atteint, avec les visions les plus optimistes, la capacité de liquéfaction restera longtemps marginale vis-à-vis de l’approvisionnement en brut « traditionnel » : les 750 000 b/j annoncés représentent en effet moins de 1 % de la capacité de raffinage mondial, ou quatre raffineries de taille moyenne.
Performances énergétiques et perspectives de coût des unités CtL
En supposant que tout l’hydrogène nécessaire au complexe est produit à partir du charbon, le rendement en produit liquide pour les filières CtL est de l’ordre de 3 barils de produit liquide/tonne de charbon, soit environ 0,5 l/kg de charbon et un rendement énergétique se situant entre 50 et 60% (2).
Les performances économiques de la filière CtL sont étroitement liées au prix du charbon, qui reste relativement bon marché par rapport aux autres sources d’énergie. La figure 2 montre une évaluation du taux de retour sur investissement (après impôts) d’une usine de liquéfaction de charbon basée sur la technologie indirecte en fonction du prix du brut de référence (Brent), pour une unité de grande taille. A noter que l’unité sera préférentiellement implantée près de la mine pour éviter les coûts de transport du charbon, beaucoup plus importants que ceux des produits du complexe (liquides donc facilement transportables).
Les investissements sont évalués à 110 000$ par b/j de produit fini (base : USA début 2007) pour les technologies de liquéfaction démontrées industriellement, soit, pour une unité de 50 000 b/j, plus de 5 milliards de dollars, c’est-à-dire à peu près le prix d’une raffinerie de pétrole complète produisant trois fois plus de carburants. La réduction des investissements qui est aujourd’hui une vraie barrière au développement de ce type de projet est donc l’un des principaux axes de progrès de cette filière.
Avec les procédés actuels, on estime que le seuil de rentabilité serait atteint pour un charbon à 20$/t à condition que le baril de pétrole se maintienne autour de 70 $/b, une valeur qui a été largement dépassée en spot au cours de l’année 2007. Ce coût de 20 $/t de charbon est effectivement atteint dans les mines les plus performantes, mais reste largement inférieur aux prix internationaux. De tels projets ne peuvent donc concerner, dans un premier temps, que des pays disposant d’une abondante ressource locale en charbon.
Performances environnementales
Les émissions globales du « puits à la roue » de la filière de liquéfaction indirecte représentent environ 230 % des émissions du diesel conventionnel (3). Moins de la moitié du carbone contenu dans le charbon parvient en effet dans le réservoir du véhicule ; la majorité est transformée en CO2 dès l’usine de liquéfaction. L’essentiel de ces émissions provient de la production d’hydrogène intégrée dans le complexe qui permet de rectifier le faible rapport H/C du charbon par rapport à celui requis par la production de diesel (pour mémoire, dans la filière pétrole, le carbone est transféré au réservoir à plus de 90 %).
Ces filières CtL ne pourront donc connaître un développement significatif qu’à la condition expresse, soit d’intégrer un captage et un stockage du gaz carbonique émis, soit d’utiliser un hydrogène produit à l’extérieur de l’usine à partir de sources n’émettant pas de gaz à effet de serre (nucléaire ou renouvelable).
Mais même dans ces conditions, le bilan du puits à la roue reste plus défavorable que celui du diesel pétrolier, avec 25 % d’émissions de CO2 supplémentaires Il faut enfin signaler la forte consommation d’eau des procédés de liquéfaction : 10 à 20 m3 d’eau/tonne de produit.
Le GTL (gaz to liquid)
Après de longues années de développement qui ont abouti à la première unité industrielle construite par Shell en 1993 en Malaisie, le développement de la filière GTL de transformation de gaz naturel en carburant a connu une vraie accélération au début des années 2000. C’est à partir de la remontée des cours du brut qui a marqué le début du siècle que l’on a en effet observé un grand nombre d’annonces de projets, dont certains de très grande ampleur (6 projets au Qatar et un projet au Nigeria).
Ces annonces ont fait naître de grands espoirs quant à l’évolution de ce type de valorisation du gaz naturel qui semblait pouvoir s’inscrire durablement comme un concurrent de la filière GNL (gaz naturel liquéfié). Mais la plupart de ces projets ont à ce jour été annulés, en particulier celui d’ExxonMobil de 154 000 barils/jour. Le seul projet qui a été réalisé est celui de Shell/Oryx pour la première phase. Il devrait en 2009 être rejoint par le projet Pearl toujours fi nancé par Shell et Qatar Petroleum. La figure 3 donne un état des lieux des principales installations GTL actuellement en fonctionnement dans le monde.
Le nombre d’unités GTL reste aujourd’hui marginal, aussi bien en comparaison avec les capacités de raffinage mondiales qu’avec celles de liquéfaction de gaz naturel, aujourd’hui voie principale de valorisation du gaz naturel hors pipeline. A long terme, les projections de l’AIE anticipent, tout comme pour le CTL, une capacité de production de 800 000 b/j (environ 40 Mt.), soit quelques % de la consommation mondiale de carburant.
Perspectives de coût des unités GtL
Un des éléments déterminants pour ce type d’unité est le coût d’investissement : à capacité équivalente, le coût d’une unité GtL est 2 à 3 fois supérieur à celui d’une raffinerie. En conséquence, ce type de projet n’est aujourd’hui envisagé que pour des capacités de production très importantes (l’effet de taille diminue en effet les coûts relatifs), ce qui limite le nombre d’acteurs ayant la capacité financière d’investir dans les unités GtL. Ceci d’autant plus que la hausse des cours des matières premières observée ces dernières années a fait exploser le coût d’investissement : le projet Pearl de Shell au Qatar, initialement estimé entre 5 et 7 milliards de $, aurait été réévalué à 18 milliards de $, soit un triplement. Compte-tenu de ces montants très importants, les zones où les unités GtL peuvent être rentables sont limitées à quelques pays ayant d’importantes ressources de gaz naturel et un coût d’extraction inférieur à 0,50 $/mmbtu (en Europe le prix du gaz naturel est aujourd’hui supérieur à 10 fois cette valeur). Dans ces pays, la rentabilité de ces unités a longtemps été annoncée comme assurée pour un baril de pétrole autour de 20 $ à 30 $. Mais, compte-tenu des dérives d’investissement constatées sur les derniers projets GtL mis en Ĺ“uvre, cette valeur d’équilibre est aujourd’hui probablement nettement supérieure.
A noter également qu’un projet GtL, nécessairement mis en oeuvre dans une zone à très faible coût du gaz naturel, est toujours en compétition avec une éventuelle unité GNL. A titre de comparaison, pour la valorisation d’environ 6 Gm3, on peut :
• soit investir dans une unité de liquéfaction de gaz naturel pour un coût d’investissement d’environ 1,2 milliards de $ et produire 4 à 5 Mt de GNL (rendements d’environ 90 %) ;
• soit investir dans une unité GtL pour un coût compris entre 1,5 à 2,1 g$ et produire environ 3 Mt de produit (rendements d’environ 60 %). Dans ce cas, on évite néanmoins l’investissement dans un méthanier estimé à 200 m$.
Performances énergétiques et émissions de CO2
Tout comme pour les filières CTL, le bilan effet de serre et la consommation d’énergie de la filière GtL du « puits à la roue » sont, mais dans une moindre proportion, plus mauvais que ceux des carburants pétroliers : on estime des émissions de gaz à effet de serre du puits à la roue supérieures d’environ 15 % et une consommation d’énergie supérieure d’environ 50 % à celles du diesel ex pétrole (4).
Les filières CtL et GtL ont donc en commun d’exiger des investissements élevés qui limitent leur développement et de présenter des bilans énergétiques et d’émissions de gaz à effet de serre défavorables, surtout pour le CtL. Elles présentent des potentiels de développement équivalents du même ordre de grandeur que ceux des agrocarburants. En revanche, même si un certains nombre de projet GtL et CtL de grandes ampleur voient le jour, ils ne représenteront pas une alternative durable à une éventuelle pénurie massive de pétrole à l’échelle mondiale.
Ceci est d’autant plus vrai que la filière Gtl se distingue de la filière CtL sur un point majeur : contrairement au charbon qui procure une vraie possibilité de limiter la dépendance énergétique au pétrole de certain pays, le gaz naturel a des caractéristiques beaucoup plus proches du pétrole. Ses ressources sont aujourd’hui limitées à 65 ans au rythme actuel de consommation mondiale et les réserves sont en général loin des grands centres de consommation. La filière GtL ne permet donc pas ou peu de réduire le risque lié à la dépendance énergétique vis-à-vis de pays tiers.
Du point de vue des émissions de CO2 enfin, les deux filières, mais surtout la filière de liquéfaction du charbon, même dans l’hypothèse d’un captage-stockage du carbone, n’apportent aucune amélioration, mais au contraire une augmentation des émissions spécifiques de CO2 par rapport aux filières pétrolières actuelles.
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