01 / 2009
Pour chaque véhicule, le choix des technologies fait par le constructeur est un optimum instantané, pour le dit constructeur, entre les performances, au sens large, et le consentement à payer. Or les curseurs bougent, le consentement à payer se réduit, et seules les performances réellement utiles pour le client deviendront pertinentes.
De nombreux rapports français et européens ont été publiés en matière de prospectives d’évolutions des technologies véhicules. Les « recettes » sont classiques, une dose de technologie moteur, un peu d’hybride mais pas cher, une pincée de biocarburant mais que les « bons », un peu d’écoconduite, en jouant un peu sur les contraintes réglementaires et en demandant plus de R&D. Essayons ici de présenter un angle de lecture différent, en nous appuyant sur les travaux de l’ADEME, des simulations réalisées avec l’IFP, et également sur un autre document rédigé par… IBM, « Automotive 2020, Clarity beyond the chaos » (1).
Pour chaque binôme possible moteur/carburants présenté ci-dessous, les caractéristiques – émissions de CO2/km, prix, fiabilité, maturité, investissements pour développer… - sont fortement différentes.
D’un point unique de départ moteur à combustion interne/pétrole, source de standardisation forte pour les industriels, sous l’effet de contraintes multiples – effet de serre, pollution, diversification énergétique- une multitude de solutions s’ouvre actuellement. Ceci conduit d’un côté, à de fortes diversités (*), donc à des besoins de R&D multi domaines, et d’un autre côté, à des potentiels d’optimisation par usage, sources de gains énergétiques, et à plus long terme, économiques. Mais, comme ces paramètres sont liés, le choix d’un binôme alternatif est fonction de la performance du binôme de référence. Ainsi, par exemple, toute amélioration énergétique et/ou économique sur le binôme de référence moteur à combustion/fossile retarde, voire évince la diffusion du binôme hybride/fossile. Ces effets « indirects » sont particulièrement importants pour comprendre les évolutions à venir et choisir les binômes à promouvoir.
Le cas des autobus urbains est intéressant à étudier.
Insignifiants aux regard de leurs émissions, ces véhicules annoncent les évolutions à venir pour d’autres véhicules lourds et certains véhicules légers. En effet, le bus urbain se caractérise par son faible rayon d’action, sa maintenance quasi quotidienne, son prix élevé permettant d’inclure de nouvelles technologies, et avant tout, son image politique. Il concentre donc tous les éléments pour être le premier véhicule testeur : de l’hydrogène aux biocarburants purs de 2ème génération, de l’hybridation électrique ou hydraulique à la pile à combustible. Toutes les solutions possibles ont été, ou seront, évaluées sur un autobus, puis selon les retours d’information, se diffuseront à d’autres véhicules de type Bennes à Ordures, puis éventuellement au camion de livraison, puis selon les cas au camion grand routier.
Ainsi, plus le véhicule est utilisé dans un secteur concurrentiel, au sens économique, plus la palette de solutions se réduit. A l’extrême, le camion grand routier se limite, à ce jour, au binôme diesel/gazole. Nous aurons donc des binômes moteur/carburant variables en fonction des usages, avec des optimums également variables selon les choix géopolitiques, les fiscalités, le contenu carbone de l’électricité. A l’extrême, certains développeront des solutions autarciques : un carburant pour un usage spécifique quand il sera possible de s’assurer l’origine du carburant.
Cette optimisation du véhicule lourd n’est pas directement transposable au véhicule léger, le cas des véhicules utilitaires légers se rapprochant plus des véhicules lourds. L’achat du véhicule personnel, se faisant sur des critères de performances, éventuellement d’image, mais surtout économiques, englobe en général le cas d’usage le plus sévère : déplacement de toute la famille sur une grande distance quelques fois par an.
Mais plusieurs évolutions sont à attendre :
la notion de famille évolue, le nombre de personne composant la « tribu » augmente, ce qui obligerait à considérer d’autres solutions,
l’émotion pourrait disparaître de certains achats, pour conduire aux véhicules fonctionnels, puis à accepter la transition vers le service,
des solutions apparaissent pour éviter certains déplacements ou proposer une alternative : la livraison à domicile, le télétravail, un ensemble covoiturage/autopartage/autostop sécurisé…, des modes doux embarquables dans des modes lourds,
proposées par de nouveaux acteurs : les gestionnaires de parking, la grande distribution, les compagnies d’assurance, les loueurs et compagnies de leasing,
Tant qu’une matrice complète de service de mobilité ne sera pas disponible, l’automobile personnelle gardera sa position dominante, avec des évolutions possibles dans les critères de choix. Par contre, dès lors qu’une large palette de services sera disponible, le binôme retenu moteur/carburant sera, comme pour le véhicule lourd, adapté spécifiquement aux besoins. Ainsi, par exemple, alors que la vente classique de véhicules électriques a été jusqu’à présent un échec complet, elle pourrait parfaitement se développer :
pour l’autopartage urbain dès lors qu’il est complété, par des technologies d’information et de communication (TIC) permettant de le « gérer » à distance (géolocalisation, gestion charge batterie), par des solutions de type cybercar (fonctionnement possible en train de véhicules) permettant d’en assurer un repositionnement efficace à moindre coût. Des innovations de « soft » permettront à la fois de proposer des services, d’effectuer une diversifi cation énergétique et d’améliorer l’effi cacité énergétique.
pour des contextes géopolitiques spécifiques, associé à de l’électricité faiblement carbonée, et de massifs investissements publics et/ou privés pour l’infrastructure de recharge et/ou changement de batterie. L’innovation pourrait venir du modèle économique, de commercialisation, donc des partenariats que les constructeurs sauront lier, plus que des technologies. En effet, le compromis [performance/prix] a une incidence décisive en matière d’efficacité énergétique. Actuellement, pour tous les véhicules, le potentiel de gain énergétique apporté par la « science » est utilisé directement pour créer de la valeur marchande sous forme de performances (consommation, reprises) ou de pseudo performances (vitesse maximale, puissance moteur).
Si bien que sur un même véhicule, des allégements sont faits sur des pièces non visibles pour pouvoir placer porte gobelet, siège chauffant et autre finition cuir. Tant que l’efficacité énergétique n’aura pas une valeur marchande suffi sante, le gain énergétique observable par le client sera réduit.
Une analyse parallèle entre les véhicules légers et lourds est particulièrement intéressante sur ce sujet : sur autoroute un camion chargé à 40 tonnes consomme environ 35 litres/100 km, et un autocar avec 50 personnes moins de 25 litres/100 km.
Par analogie, un véhicule individuel équivalent de 800 kg devrait consommer moins de 1 litre/100 km ! Pourtant, comme le montre le tableau ci-dessous, des progrès à attendre sont encore importants pour ces véhicules lourds en agissant à la fois sur le véhicule, son usage et quelques points d’infrastructures.
Pour le véhicule léger, une simulation complète permet de dégager quelques ordres de grandeur. En partant d’un véhicule standard actuel (1360 kg, 130g CO2/km, Diesel 1.6 litre, 120ch), il est possible d’estimer la performance énergétique de son équivalent sobre qui utilise les mêmes technologies : 850kg, Vmax 165km/h, 90gCO2/km !
Les briques technologiques sont là, seul manque le véhicule et surtout le modèle économique permettant de le vendre. Est-ce que ce véhicule sera acheté par un particulier, ou acheté par une société qui aura précisément quantifié le retour sur investissement lié à une haute efficacité énergétique ?
Là encore, l’innovation doit venir du modèle économique, de la commercialisation, plus que des technologies.
Les évolutions seront continues et conduiront à généraliser, chez le consommateur, la décision retardée puisque le véhicule de demain sera plus efficace que celui vendu aujourd’hui, conduisant, par la suite, vers une réduction des ventes au profit de la location. Des innovations seront également nécessaires dans le mode d’action sur le parc existant. Ainsi, par exemple, la vente d’un véhicule pourrait être effectuée directement d’un constructeur sans intermédiaire, couplée à une amélioration énergétique après 5 ans. En parallèle le taux de recyclage va s’améliorer essentiellement pour des raisons économiques. Aidés par de véritables procédés industriels (2), les constructeurs (ré) intégreront la remise en circulation de nombreux composants. De même la consommation énergétique liée à la production des véhicules, actuellement de l’ordre de 10-20 % de l’énergie consommée sur toute la durée de vie, devra se réduire fortement pour améliorer les bilans complets du « berceau à la tombe ». Certains constructeurs, ou de nouveaux entrants, pourraient proposer des véhicules « fortement recyclés » intégrant une gestion optimisée de l’énergie : stop/start, récupération de l’énergie à l’échappement, panneaux solaires, couplage bidirectionnel au trafic (information vers le conducteur et action vers les systèmes de gestion des feux).
En parallèle, le client va accroître ses connaissances, notamment en matière de performances environnementales, sur les produits (de la fabrication au recyclage en passant par les performances en utilisation réelle), mais également sur les entreprises (éthique, conditions de travail). Echangeant ces informations en réseau mondial, il deviendra le principal acteur des véhicules disponibles sur le marché. Des outils collaboratifs, permettant de connaître la consommation réelle des véhicules avant l’achat, vont apparaître – il existe déjà un site allemand sur ce sujet (3) - conduisant les constructeurs à travailler encore plus la consommation réelle incluant les accessoires, sans avoir de pression réglementaire, mais uniquement celle du marché.
En conclusion, l’environnement dans lequel s’intègre l’industrie automobile se complexifie, en terme de nombre d’acteurs, de liens entre eux, et surtout d’enjeux. Le consommateur, de moins en moins admiratif devant l’objet automobile, attend une évolution vers des services de mobilité performants (i.e. simples et efficaces) avec une multitude d’options, accepte sans problème de voir d’autres acteurs, développe en réseau une conscience énergétique sur ce sujet, et choisit au dernier moment la solution la mieux adaptée à son besoin.
En miroir, les sociétés multinationales devront construire des stratégies pour répondre à ce besoin de mobilité individuelle, source d’épanouissement personnel, en proposant des solutions « à la carte » tout en s’efforçant de standardiser, en nouant des partenariats innovants, pour « créer la clarté au-delà du chaos dans leurs mondes respectifs » (4).
urban transport, transport, energy policy, technology and environment
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Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
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