01 / 2009
La plupart des scénarios prévisionnels à moyen et long terme concernant les divers modes de transport anticipent, sur la base de l’expérience des 30 dernières années, une croissance toujours vive de l’ensemble des trafics de passagers et de marchandises mondiaux et en analysent les conséquences énergétiques et environnementales à des horizons donnés.
A titre d’exemple nous analyserons les scénarios développés en 2006 par l’AIE « Energy Outlook 2006 » à horizon 2030 et les scénarios développés en 2007 par le Conseil mondial de l’énergie « Energy Scenario Development Analysis : Wec policy until 2050 ».
Les scénarios de l’AIE.
L’AIE développe un scénario mondial dit de « Référence » où les politiques suivies par les différents pays sont celles décidées en 2006 et un scénario dit de « Politique alternative » dans lequel des politiques volontaristes sont envisagées pour réduire les consommations de pétrole et les émissions de gaz à effet de serre (en fait le CO2) des différents secteurs économiques, le tout dans un contexte d’énergie relativement bon marché (un pétrole autour de 50 $ le baril).
Le scénario de référence
Dans ce scénario, la consommation d’énergie du domaine des transports est décrite à travers les chiffres suivants :
On y constate une augmentation de 60 % de l’énergie finale du secteur au niveau mondial et de 55 % de l’usage du pétrole qui reste très largement dominant en 2030 (93 % contre 95 % en 2004). Sa part dans la consommation finale de pétrole mondiale passe dans la période de 54 % à 60 %. Les situations régionales sont contrastées : une augmentation d’encore 30 % des consommations finales d’énergie dans les pays de l’OCDE pourtant déjà très équipés en moyens de transport, une multiplication par 2,3 dans les pays en développement (3 %/an) en énergie finale et en carburants pétroliers, une augmentation de 46 % des consommations finales d’énergie et de 48 % des carburants pétroliers dans les pays en transition. Le tableau deux en donne la répartition par mode de transport :
L’essentiel de la consommation de pétrole vient des transports routiers dont la forte augmentation des trafics (aussi bien pour les transports de marchandises que de passagers) n’est pas, et de loin, compensée par les gains d’efficacité énergétique (de l’ordre de 10 %) des véhicules particuliers et des poids lourds à horizon 2030. La propriété individuelle des automobiles et les modes d’organisation de la mobilité occidentaux restent la règle générale. Le nombre de voitures est multiplié par deux en 2030. L’augmentation des trafics n’est pas chiffrée dans le scénario, mais, compte tenu des considérations précédentes, elle doit se situer autour d’un facteur 1,8 sur la période pour les marchandises et les passagers.
Les transports aériens voient leur flotte passer de 16 800 avions à 44 000 en 2030, une croissance de 3,8 %/an (1). Mais la progression du trafic envisagée dans le scénario de référence est encore plus rapide et atteint 4,7 % par an sur la période. Dans ces conditions, la consommation finale des transports aériens, totalement pétrolière, atteint 455 Mtep en 2030 contre 238 en 2004 et 16 % de la consommation pétrolière des transports mondiaux.
Le scénario ne donne pas d’indication précise, ni sur l’évolution du transport maritime, ni sur celui du transport ferroviaire. Cependant, les indications sur l’évolution de la consommation des carburants alternatifs qui stagne dans la zone des 4 % du total montre que la part des transports ferroviaires demeure négligeable dans les dépenses énergétiques finales.
En résumé, pour le scénario de référence, une évolution sans changement majeur des déterminants principaux des évolutions passées : possession individuelle des voitures (et donc étroite relation entre les parcs nationaux, les trafics et la richesse des habitants), faible développement du rail, poursuite à un rythme rapide de la croissance des transports aériens tirés par la mondialisation des échanges.
Il en résulte une augmentation de consommation du pétrole de 60 % par rapport à 2004. Pour répondre à cette demande des transports, la production de pétrole doit passer de 48 Mbarils/jour à 70 Mbarils en 2030, soit 85 % de la production actuelle de pétrole. Les émissions de CO2 passent d’environ 6 800 Mt de CO2 en 2004 à 10 700 Mtonnes en 2030 (2).
Le scénario Politique Alternative
Il a pour ambition de tester les conséquences de la généralisation des politiques de maîtrise de l’énergie et de diversification énergétique qui sont proposées pour assurer une meilleure sécurité énergétique et une réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Le tableau 3 en résume les caractéristiques.
La dernière colonne du tableau 3 montre que l’effort porte principalement sur les transports routier et aérien, bien plus que sur un transfert de mode vers le rail et le transport maritime. Dans ce scénario où la propriété individuelle de la majorité des parcs automobiles et l’organisation de la mobilité ne sont pas plus remis en cause que dans le scénario de référence, l’effort porte principalement sur le progrès technique appliqué à l’efficacité énergétique de ces deux modes de transport (3). C’est donc principalement sur le progrès technique que se fonde ce scénario. Dans le domaine automobile par exemple, ce progrès se traduit par des consommation moyennes des véhicules nettement plus faibles dans chacune des régions que dans le scénario de référence (tableau 4).
Cette différence considérable d’efficacité des véhicules (22 % à 25 % selon les régions) entre les deux scénarios explique l’essentiel des économies de carburant réalisées. Il en est de même pour l’aviation. D’autre part, un effort important de recours à des carburants alternatifs est réalisé au cours de la période. Il porte la production de l’ensemble de ces carburants (agrocarburants, électricité, etc.) à 190 Mtep environ contre 135 dans le scénario de référence. Globalement, ce scénario d’intense pénétration du progrès technique permet de limiter la production de pétrole indispensable aux transports à 63 Mbarils/ jour (75 % de la production actuelle totale de pétrole) au lieu de 70 Mbarils/jour dans le scénario de référence et les émissions de CO2 à 9000 Mtonnes en 2030.
Les scénarios du Conseil mondial de l’énergie (CME)
Ces scénarios établis en 2007 en utilisant le modèle « Pôles » du CNRS décrivent des évolutions différentes des consommations et productions d’énergie mondiale jusqu’en 2050 en fonction d’hypothèses qualitatives concernant le degré d’engagement et de coopération internationale des gouvernements des différents pays du monde dans le domaine de l’énergie et de l’environnement.
L’évolution de la population et du pib des différentes régions du monde constituent les déterminants principaux des différents scénarios envisagés. Les différences d’évolution des intensités énergétiques de chacun des scénarios sont prises en compte dans le modèle Pôles à travers des facteurs additifs à ceux engendrés par le marché, le progrès technique et les prix de l’énergie qui sont l’essentiel des leviers du modèle.
Quatre scénarios sont présentés :
Léopard décrit un scénario d’engagement et de coopération faible des gouvernements sur les questions énergétiques et environnementales,
Eléphant décrit un scénario de forte implication des gouvernements mais de faible coopération sur ces questions,
Lion décrit un scénario de fort engagement et de forte coopération des gouvernements sur ces questions,
Girafe décrit un scénario de faible engagement des gouvernements mais de fort engagement de coopération internationale.
Tous quatre décrivent des évolutions identiques de la population mondiale jusqu’en 2035 et légèrement différentes après cette date (croissance 1,1 % jusqu’en 2020, 0,9 % jusqu’à 2035). En 2035 la population mondiale est de l’ordre de 8 600 millions d’habitants contre 6 400 en 2005. Les évolutions des pib de chaque scénario sont indiquées dans le tableau suivant en même temps que la consommation finale de carburant par habitant des transports.
En 2035 les consommations de pétrole pour les transports et les prix au baril des différents scénarios (4) sont les suivants :
Ces deux tableaux montrent les limites de la sensibilité du secteur des transports à la diversité des politiques décrites par les scénarios. Ce sont les politiques publiques qui ont le plus d’influence : 30 % d’écart en 2035 entre le scénario Eléphant de forte implication des gouvernements et le scénario Girafe de faible implication des gouvernements. La consommation mondiale de pétrole pour les transports augmente de 35 % dans le scénario le plus économe et de 76 % dans le plus dispendieux par rapport à 2005 et les prix du baril restent dans une fourchette assez étroite entre 70 et 90 $ le baril. L’analyse par région fait apparaître le maintien d’une grande hétérogénéité des situations (tableau 7).
Le rapport des consommations de carburant par habitant d’un Américain et d’un Africain passe dans la période de 25 à 21, ce qui, compte tenu de la pénétration très probablement plus rapide des progrès d’efficacité énergétique des automobiles en Amérique qu’en Afrique implique en fait un renforcement de l’inégalité d’accès des africains aux services de l’automobile.
Le tableau montre aussi la faible sensibilité de ce secteur aux actions publiques envisagées. A l’exception de l’Europe qui maintient à peu près constante sa consommation quelque soit le scénario, l’augmentation de consommation régionale de carburants pétroliers est généralisée dans toutes les autres régions.
Le rapprochement des consommations de carburant et des émissions des différents scénarios du CME avec ceux des scénarios de l’AIE au même horizon, en 2030, (tableau 8) montre que ces deux exercices de prévisions se confortent : des consommations de carburant de 2 700 Mtep environ et des émissions de CO2 de l’ordre de 9 000 Mtonnes de CO2 pour les politiques les plus volontaristes de maîtrise de consommation, jusqu’à 3 300 Mtep et plus de 11 000 Mtonnes de gaz carbonique dans les scénarios les moins ambitieux en termes de réduction d’émissions.
Le rapprochement des besoins de pétrole ainsi engendrés à l’horizon 2030 (de 60 à 75 Mbarils/jour) avec les prévisions de production pétrolière à cette époque qui fait l’objet de l’article « Les transports en manque de pétrole » (pages 37 à 39) dans ce même numéro montre tension extrême sur les ressources pétrolières.
Il en est de même pour les émissions de CO2. Dans l’optique d’une division par deux des émissions de CO2 mondiales à l’horizon 2050, autour de 13 Gtonnes de gaz carbonique, il serait indispensable d’avoir stabilisé les émissions vers 2020 et d’amorcer ensuite une réduction continue des émissions dans les 10 années suivantes pour atteindre une valeur de 20 à 22 Gtonnes de CO2. Dans ces conditions la part des transports dans les émissions de CO2 deviendrait considérable et passerait de 25 % en 2005 à 40 ou 50 % en 2030.
L’ensemble de ces prévisions met donc en relief des contradictions majeures entre l’évolution des consommations mondiales des transports, celle de production potentielle de pétrole et l’exigence de réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiales.
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Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
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