06 / 2008
Les programmes de Transfert monétaire assorti de conditions (CCT) ont dominé le secteur de la protection sociale en Amérique latine et aux Caraïbes durant la dernière décennie.
La majorité des pays de la région est soit sur le point de mettre en place des programmes de cette nature soit occupée à discuter des mérites de leur application. La popularité de ce type de programme peut être attribuée au succès des programmes tels que le programme Bourse Ecole, lequel est incorporé en 2003 au Programme Bolsa Familia (Programme de subvention pour la famille), le Programme Progrès, rebaptisé Oportunidades (Opportunités) en 2003, adoptés, respectivement, au Brésil et au Mexique, à la fin des années 1990.
Le CCT est, de plus en plus, considéré comme la meilleure pratique dans le secteur social, également dans les pays en développement d’autres régions de la planète. Et, grâce à la principale composante du transfert monétaire, sa popularité a suscité des discussions sur le mérite relatif aux transferts monétaires, en opposition aux transferts de denrées alimentaires, et aux transferts assortis de conditions en opposition aux transferts non assortis de conditions (1).
De plus, les poids fiscal et politique attribués à ces programmes peuvent avoir un impact significatif sur la composition et la dotation de fonds des politiques de développement rural, en général, et sur les ministères de la Santé, de l’Éducation et de l’Agriculture, plus particulièrement.
Sans nul doute, la prédominance croissante du CCT en Amérique latine et dans les Caraïbes, ainsi que dans les autres parties du monde, représente une excellente opportunité, mais aussi un défi, en ce qui concerne les efforts en faveur de l’éradication de l’insécurité alimentaire dans la région.
Les programmes de lutte contre l’insécurité alimentaire constituent une catégorie bien plus importante que le CCT. En général, ils sont classés en deux groupes, en fonction de ce que l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) appelle l’abordage sur deux voies.
La première voie se base sur l’augmentation de la productivité agricole et les profits sur les activités générant des bénéfices en général. Elle comprend l’aide aux petits agriculteurs et aux créateurs, à l’infrastructure rurale et à l’accès favorisé aux structures et institutions financières et de marché.
La seconde voie est tournée vers l’assistance directe aux personnes et aux foyers. Cet abordage comprend les transferts monétaires et de denrées alimentaires assortis de conditions et non assortis de conditions, les programmes de goûter scolaire, les cuisines communautaires, la nutrition maternelle et infantile, les programmes d’alimentation et de santé.
Jusqu’à ce jour, les résultats obtenus sur les programmes de transfert monétaire ont eu des impacts importants et positifs en ce qui concerne l’accès aux denrées alimentaires. Les résultats des évaluations du programme d’aide aux familles II (Praf), au Honduras, du réseau de protection sociale (SPS), au Nicaragua, du programme Familles en action, en Colombie, et du programme d’Éducation, de Santé et d’Alimentation (Oportunidades), au Mexique, ont démontré l’augmentation considérable et significative des achats de denrées alimentaires, du régime diversifié et/ou de la disponibilité calorique et, dans la majorité des cas, des résultats sur la consommation des aliments (3).
Orazio Attanasio, Luis Gómez, Patricia Herrera et Marcos Vera-Hernandez (2005) ont constaté, en Colombie, une augmentation considérable, chez les enfants, en particulier, de la qualité de l’ingestion d’aliments suite à l’application du programme Familles en action. John Hoddinott et Emmanuel Skoufias (2004) ont souligné que l’impact sur la consommation d’aliments dépasse le simple effet monétaire. Celui-ci englobe un changement de comportement résultant de la participation à des débats sur la santé et la nutrition.
Les programmes de CCT ont également un impact important sur la réduction de la pauvreté, même si ce constat n’apparaît pas toujours clairement dans les données nationales du fait de facteurs incompatibles. Après analyse des dépenses sociales en Amérique latine et dans les Caraïbes, Kathy Lindert, Emmanuel Skoufias et Joseph Shapiro (2006) estiment que les programmes de CCT s’adressent aux bonnes personnes et jouent un rôle important dans la redistribution des revenus dans la région, bien que les petites valeurs unitaires des transferts limitent l’extension de la redistribution. John Maluccio et Rafael Flores (2005) pensent que le projet pilote SPS, au Nicaragua, a réduit de plus de 16 % le nombre de familles bénéficiaires vivant dans des conditions de pauvreté extrême.
NUTRITION ET SANTÉ
Les évaluations effectuées sur les programmes CCT contiennent un large panel d’informations sur l’impact de ces programmes avec une série d’indicateurs et de résultats relatifs à la nutrition et à la santé. À l’exception du Praf II, tous les autres sont associés à la réduction de la faiblesse physique chez les enfants de familles bénéficiaires.
Jere Behrman et John Hoddinott (2005) ont constaté un impact significatif et positif des actions nutritionnelles de Oportunidades dans le développement infantile et une probabilité plus faible de faiblesse physique des participants du programme, principalement chez les enfants âgés de 12 à 36 mois vivant au sein des communautés les plus pauvres, filles de mères alphabétisées. Ils estiment que l’impact du programme, fonctionnant uniquement jusqu’à la majorité, pourrait entraîner une augmentation de 2,9 % de bénéfices pour le reste de la vie.
Jere Berhman, Susan Parker et Petra Todd (2004), considérant les impacts à moyen terme, ont constaté que les actions nutritionnelles de Oportunidades pour les nouveaux-nés ont eu un impact positif aussi bien sur l’intégration à l’école à des âges plus avancés que sur le nombre d’inscriptions. Juan Rivera, Daniela Stores-Alvares, Jean-Pierre Habicht, Teresa Shamah ainsi que Salvador Villalpando (2004) estiment que ce programme joue un rôle dans le développement des enfants les plus pauvres et les plus jeunes ainsi que dans la baisse des pourcentages d’anémie (bien que moins important que ce qui était attendu, peut-être à cause de problèmes avec le type de fer utilisé comme complément).
Au Nicaragua, John Maluccio et Rafael Flores (2005), ont constaté que la participation au RPS a entraîné une réduction de 5,5 % sur l’incidence des enfants présentant une faiblesse physique. Cette réduction a été 1,7 fois plus rapide que le pourcentage d’amélioration annuelle constatée dans un contexte national entre 1998 et 2001. Toutefois, le RPS n’a pas réussi à augmenter les taux d’hémoglobine ni à diminuer les indices d’anémie. Orazio Attanasio, Luiz Gómez, Patricia Herrera et Marcos Vera-Hernandez (2005) ont constaté que le programme Familles en action, en Colombie, a réduit l’incidence de faiblesse physique chez les enfants de moins de 24 mois.
Paul Gertler et Simone Boyce (2001) estiment que Oportunidades a entraîné une baisse des maladies infantiles et adultes et une augmentation de la recherche dans les centres de santé publique et de l’accompagnement nutritionnel. Au Honduras, Saul Morris, Rafael Flores, Pedro Olinto et Juan Medina (2004) pensent que les actions pour les familles au sein du Praf II ont eu un impact significatif (de 15 à 20 % sur l’incidence de maladies infantiles et adultes, une meilleure utilisation des centres de santé publique et des postes d’accompagnement nutritionnel) sur la couverture relative à l’assistance prénatale, aux examens et au suivi de la croissance dans le domaine de la puériculture.
John Maluccio et Rafael Flores (2005) ont également constaté de nombreux effets sur l’utilisation des services de santé avec le RPS, incluant le suivi de la croissance infantile, des visites et des vaccinations dans le domaine de la puériculture.
Tânia Barham (2006) a constaté un impact positif, bien que modeste, du programme Oportunidades sur les immunisations, en partie grâce au palier initialement élevé d’immunisation dans la zone rurale du Mexique.
Il a également été constaté que le CCT a un impact significatif sur la mortalité infantile. Tânia Barham (2006) constate un effet important du programme mexicain sur la réduction de la mortalité infantile dans les endroits où le plan était appliqué. Cet impact a été plus important dans les villes ayant des canalisations d’eau et des égouts, et dans lesquelles la population est constituée principalement de personnes non indigènes. Cela signifie que l’effet a été plus important là où la population vit dans des conditions relativement meilleures ; alors que les pauvres se trouvant dans des situations bien plus mauvaises et plus marginalisées, du moins en ce qui concerne ce résultat, ont été moins touchés.
Focalisation
Focaliser le programme sur les couches les plus pauvres de la population est la principale caractéristique du CCT, ce qui représente, ainsi, une rupture positive avec les anciennes pratiques en Amérique latine et dans les Caraïbes, et permet la mise en place des mécanismes vérifiables et transparents de distribution de l’aide sociale (Lindert ; Skoufias ; Shapiro, 2006).
Les principales méthodes de focalisation utilisées dans ces programmes incluent des tests d’éligibilité multidimensionnels et des tests d’éligibilité et de focalisation géographique, souvent combinés. Le programme Oportunidades, par exemple, a appliqué avant tout la focalisation géographique, suivie d’un test d’éligibilité multidimensionnel. Au Nicaragua, la focalisation géographique a été utilisée et a entraîné l’exclusion d’un léger pourcentage de familles non pauvres sur la base de caractéristiques facilement observables (4).
Le degré de décentralisation, de manière directe, dans le processus de focalisation (en termes de participation des gouvernements fédéral et municipal et de la communauté), varie selon chaque programme. Il peut être décentralisé même lorsque l’administration effective du programme est très décentralisée, et vice-versa.
Dans la focalisation géographique du Praf II, du RPS et du Oportunidades, le choix de la communauté est effectué de manière centralisée, en utilisant des données fédérales basées sur une carte de la pauvreté. La sélection des familles est effectuée par les autorités centrales.
David Coady, Margaret Grosh et John Hoddinott (2004) ont analysé les expériences de focalisation de différents programmes sociaux du monde entier. Ils ont constaté que les programmes de transfert monétaire examinés présentent plusieurs exemples d’applications excellentes et catastrophiques.
Les meilleurs résultats sont enregistrés chez ceux qui utilisent des tests individuels d’éligibilité, suivis par la méthode d’orientation caractéristique (ou par catégorie) et enfin, par l’auto sélection. Toutefois, en raison de l’extrême variation d’application entre les différents types d’orientations (même pour les tests d’éligibilité multidimensionnels proxy means test très populaires en Amérique latine), le point le plus significatif du succès de l’orientation est, fréquemment, la capacité d’application spécifique de chaque programme.
Kathy Lindert, Emmanuel Skoufias et Joseph Shapiro (2006) ont constaté que les programmes CCT, en comparaison à d’autres types d’aide sociale et de dépense sociale en Amérique latine, sont, de manière générale, bien orientés et assez équitables.
La focalisation géographique, utilisée seule, est plus viable lorsque la population pauvre est géographiquement concentrée et lorsque les indices généraux de pauvreté sont hauts, comme ils ont pu le constater dans de nombreuses zones rurales d’Amériques latine et dans les Caraïbes. Par exemple, les indices de pauvreté des communautés alvo au Nicaragua et dans les zones rurales du Mexique étaient de près de 70 %. Ainsi, la focalisation géographique utilisée seule, couplée avec quelques petits ajustements basés sur les caractéristiques logiques, a bien fonctionné au Nicaragua.
Mais au fur et à mesure que les programmes de CCT se répandent vers les zones moins marginales, la focalisation géographique peut devenir moins viable et le bénéfice relatif à l’emploi de la focalisation du foyer accroître (5). Outre cela, Emmanuel Skoufias, Benjamin Davis et Sergio de la Vega (2001) ont constaté que dans les zones rurales, dans le cas de Oportunidades, la propre focalisation géographique perd de sa force, étant donné que les communautés deviennent de moins en moins marginales.
Le rôle de la participation de la communauté est un des points faibles observés à ce jour dans les mécanismes de focalisation. Certains programmes, tels Oportunidades, ont recherché à isoler le processus de sélection des personnes mexicaines bénéficiaires du processus politique local (et national), en réduisant le mécanisme de sélection selon le foyer à un algorithme (processus lancé à partir de la ville de Mexico, avec de rapides vérifications au sein de la communauté.
L’argument de défense de la décentralisation du processus de focalisation est basé sur le fait que la connaissance locale peut être utilisée de manière plus efficace pour identifier les personnes pauvres. Les institutions locales disposent de meilleures conditions pour exécuter cette orientation, au vu de l’existence de peu de couches bureaucratiques et d’une responsabilité plus importante chez les citoyens (de Janvry ; Finan ; Sadoulet ; Nelson ; Lindert ; de la Brière ; Lanjouw, 2005).
Ceux qui défendent des structures plus centralisées de focalisation disent que la participation de la communauté peut très facilement déboucher sur l’appropriation des programmes par l’élite. Une étude de Ghazala Mansuri et de Vijayendra Rao (2004) affirme que la participation de la communauté à la focalisation n’apporte pas clairement de meilleurs résultats en termes d’orientation.
Ceci étant, la question du choix entre les méthodes de focalisation centralisée est décentralisée peut être soumise à cette même observation, citée antérieurement, effectuée par David Coady, Margaret Grosh et John Hoddinott (2004). Il y a de bonnes raisons théoriques qui poussent à l’emploi de chacun de ces abordages, mais le succès final dépendra de la réalité de l’application (Handa ; Davis, 2006).
food security, poverty, fight against poverty, social policy, minimum income
, Latin America, Caribbean
Segurança alimentar, renda et políticas públicas no Brasil : Programa Bolsa Família em questão
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