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Le poids des infrastructures dans la question des transports

Benjamin DESSUS

01 / 2009

Les transports et leurs infrastructures entretiennent une relation dialectique complexe avec l’urbanisme, l’aménagement du territoire, les modes de production des biens et leur distribution, au point qu’on a souvent bien du mal à séparer l’œuf de la poule. En France par exemple, est-ce la banalisation du véhicule individuel qui explique principalement l’exode en banlieue de plus en plus lointaine des urbains des grandes villes, ou bien au contraire les politiques très volontaristes d’accession à la propriété sous la forme de pavillons individuels pratiquées depuis bientôt quarante ans (et qui ont rencontré une forte adhésion sociale) qui ont entraîné l’explosion du parc automobile ? Probablement les deux dans une relation complexe d’incitation réciproque dont les paramètres varient selon les sociétés, leur développement, leurs valeurs et leur organisation.

L’urbanisme

La comparaison d’une ville latine comme Barcelone et d’une ville américaine comme Atlanta, toutes deux fortes d’environ un million d’habitants, mais avec une densité d’habitants vingt fois plus importante pour la première, met en évidence des différences de conception urbanistique considérables, avec des conséquences importantes en termes d’infrastructures de transports. A Atlanta une faible densité de construction, très peu d’immeubles collectifs, des réseaux autoroutiers urbains, des centres commerciaux déconcentrés, une circulation à 95 % automobile. A Barcelone un centre-ville piétonnier, de nombreux immeubles collectifs et des transports en commun, un trafic routier bien moindre en proportion.

Bien évidemment, cela induit un écart majeur dans les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Sous l’effet combiné de plus grandes distances à parcourir et de l’emploi presque unique de la voiture en absence de transports en commun, un habitant d’Atlanta consomme sept fois plus d’énergie pour effectuer ses trajets quotidiens qu’un habitant de Barcelone qui parcourt des distances moins importantes, beaucoup plus souvent à pied ou dans des transports en commun moins dispendieux en énergie que la voiture individuelle.

Les exemples de ce genre abondent. Les besoins d’énergie d’une mère de famille emmenant ses enfants à l’école dans son 4x4 climatisé au milieu des encombrements du matin pour leur éviter d’être écrasés (par une autre mère de famille conduisant également ses enfants en voiture pour les mêmes raisons ?) et ceux de celle qui les conduit à pied ou en métro à l’école voisine sont aussi dans un rapport de 10 à l’infini. Les dépenses énergétiques de transport d’un ménage habitant un pavillon moderne bien isolé en grande banlieue et travaillant en centre ville ou dans une autre banlieue (de l’ordre de 1,6 tep par an (1)) dépassent aujourd’hui bien souvent l’ensemble de celles liées au confort domestique (moins d’une tep par an).

L’histoire et les politiques économiques

L’histoire du développement modèle la nature des infrastructures de transport des différents pays. Aux États-Unis, où la conquête de l’Ouest et le réseau ferroviaire sont étroitement liés, s’est maintenue une très forte tradition de transport ferroviaire de marchandises qui représente encore aujourd’hui, malgré le développement de l’infrastructure routière et l’explosion du fret aérien, une part importante du trafic interne de marchandises. C’est très différent au Brésil ou au Mexique, des pays aux dimensions comparables, où la pénétration vers l’Ouest n’a pas reposé sur le train, et dont les trafics ferroviaires restent marginaux par rapport à la route.

De même, des politiques publiques, a priori sans rapport avec la question des transports peuvent se révéler très structurantes en termes de transport. C’est le cas par exemple des politiques très décentralisées d’emploi local telles qu’il s’en développe aujourd’hui dans tous les villages de France qui tentent d’attirer dans des zones industrielles ou artisanales des petites et moyennes entreprises. Ces politiques imposent en fait un quasi monopole du transport routier de marchandises, car les quantités de marchandises livrées annuellement à chacune de ces zones sont généralement très insuffisantes pour rentabiliser un terminal ferroviaire.

Au delà des choix individuels, l’aménagement et l’organisation de la ville, le type d’organisation internationale, régionale et locale de production, de commerce et de distribution des produits de consommation et les habitudes sociales jouent un rôle prépondérant dans le développement des transports et les dépenses énergétiques qui y sont associées. Pourtant nous avons spontanément tendance à attribuer l’essentiel des écarts de dépenses énergétiques de transport à la plus ou moins grande efficacité énergétique des outils que nous employons. Dans le cas de la comparaison Barcelone/Atlanta, la différence pourtant très significative des performances moyennes des véhicules (7,7 litres aux cent km en Europe contre 11,6 aux Etats-Unis (2)) ne contribue qu’à 20 % de la différence des performances globales.

Infrastructures de transport et inertie des dépenses énergétiques

Les infrastructures de transport se caractérisent dans la plupart des cas par des coûts initiaux élevés et des durées de vie importantes, souvent supérieures au siècle, très rarement inférieures au demi-siècle. C’est en particulier le cas pour les transports ferroviaires, les installations portuaires et les grands axes autoroutiers, mais un peu moins pour les réseaux routiers dont la constitution s’effectue souvent par étapes successives, depuis les chemins vicinaux ou les pistes non asphaltées d’intérêt local ou régional, jusqu’aux routes à grand débit d’intérêt national. Cette progressivité est un élément important de l’attrait du réseau routier puisque les véhicules (camions, voitures, mais aussi deux roues motorisées ou non) tolèrent relativement aisément de passer sans rupture de routes modernes et bitumées à des pistes ou chemins en plus ou moins bon état, ce qui est totalement exclu pour les transports guidés.

Mais, dans tous les cas, ces infrastructures engendrent des inerties considérables dans les usages de transport et se révèlent très structurantes pour l’urbanisme, pour les modes de production et de distribution des biens et des produits, pour l’activité sociale. Une autoroute avec une bretelle tous les 20 km a des conséquences très différentes sur les futures implantations humaines de celles d’un Train à Grande Vitesse avec des arrêts tous les 200 km, ou d’un train régional desservant tous les gros bourgs, y compris en termes d’emplois. Cette très grande inertie rend d’autant plus importante une attention particulière aux dépenses énergétiques unitaires des trafics effectués à partir de ces différents modes de transport.

Infrastructures de transport de passagers

C’est l’objet du tableau 1.

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Ce tableau tient compte de taux d’occupation moyens de chacun des modes de transport. Ces taux, très différents selon les modes, faibles pour les véhicules particuliers en ville (souvent inférieurs à 30 %) et un peu plus élevés sur autoroute (jusqu’à 50 %), nettement plus élevés pour les trains à grande vitesse, le métro ou l’avion (70 à 80 %), varient eux-mêmes fortement selon les pays et les politiques publiques mises en œuvre (ex. covoiturage). Notons que les consommations unitaires de ce tableau sont données en énergie finale. Dans le cas des transports guidés consommateurs d’électricité, la consommation d’énergie primaire peut être multipliée par un facteur de 1 à 3,5 (3) qui dépend de la nature de la filière de production d’électricité.

Infrastructures de transport de marchandises

C’est l’objet du tableau 2.

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Il tient compte également de taux d’occupation moyens de chacun des modes de transport.

Les écarts sont considérables : la voiture en ville consomme dix fois plus d’énergie finale que le tramway (3 fois plus d’énergie primaire environ) et, de plus, sous forme de pétrole. Quant au fret aérien, il est 100 fois plus dispendieux en énergie finale (et plus de trente fois en énergie primaire) que le transport par train entier électrique.

Bien entendu les ordres de grandeur cités sont susceptibles de varier sensiblement selon les régions. En Amérique du Nord par exemple, où les consommations unitaires des véhicules particuliers sont en moyenne 50 % plus élevées et le taux d’occupation de ces véhicules plus faibles qu’en Europe, les consommations spécifiques des véhicules urbains par passager sont 60 % plus élevées. En Afrique, au contraire, on peut penser que malgré des consommations spécifiques également élevées, le taux d’occupation plus élevé des véhicules (covoiturage, taxi brousse etc.) permet de maintenir des valeurs plus proches de celles de l’Europe.

Infrastructures de transport et émissions de gaz à effet de serre

Les émissions de gaz à effet de serre des différents moyens de transport sont également très diverses puisque les moyens de transports guidés, qui peuvent être alimentés à partir d’électricité (pourtant souvent produite avec des rendements médiocres) peuvent échapper en partie à la contrainte d’emploi des énergies fossiles. Elles font l’objet des deux tableaux suivants :

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Le tramway en ville émet 8 fois moins de CO2 que la voiture et les trains à grande vitesse, (malgré la dégradation des performances d’efficacité qu’entraîne cette grande vitesse (4)), sont 6 à 7 fois moins émetteurs de CO2 que l’avion et 3,5 moins que la voiture en Europe.

Le tableau fait encore apparaître des différences considérables d’émission de CO2 pour les transports sur longue distance : un rapport de l’ordre de 80 entre les émissions du transport aérien et « train entier » électrique (et encore de 40 pour un wagon isolé) d’une tonne de fret entre Paris et Berlin par exemple.

Les coûts d’investissement.

Les capacités d’écoulement de trafic des infrastructures de transports sont très variables : elles peuvent atteindre 30 000 à 60 000 passagers par heure pour un métro ou un réseau express régional comme celui de la région parisienne, contre 9 000 passagers au maximum (6 000 voitures) pour une autoroute urbaine deux fois trois voies.

Les coûts d’investissement des infrastructures, très divers selon les modes de transport dépendent beaucoup, pour un mode donné, des conditions locales (montagne ou plaine, densité de construction, etc). La fourchette des coûts d’investissement de chacun est donc large.

Le tableau suivant donne quelques indications sur les ordres de grandeur des coûts d’investissement au km et les surfaces de terrain artificialisées des infrastructures les plus lourdes.

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En ville l’écoulement des pointes de trafic par métro ou RER est beaucoup plus efficace, à la fois en termes de capacité, d’espace artificialisé et d’économie d’investissement par passager de ointe que l’autoroute urbaine ou le tramway. En rase campagne, l’autoroute s’avère plus efficace et moins chère en infrastructure pour écouler les pointes de circulation, mais elle consomme 4 à 5 fois plus d’espace. De plus l’autoroute reporte une part considérable de l’investissement à la charge directe de l’usager. (5)

L’ensemble de ces éléments met en évidence la très forte dépendance des consommations de transport (en nature et en quantité d’énergie) à l’aménagement du territoire et aux choix initiaux d’infrastructure de transport. Ces choix, bien souvent exercés au titre de considérations dans lesquelles le transport n’est pas le paramètre dominant, introduisent de très fortes inerties, souvent supérieures au siècle, dans les comportements de mobilité et induisent des phénomènes d’exclusion qui rendent très difficiles un retour en arrière par rapport aux choix initiaux. La prise de conscience de l’importance de ces phénomènes est donc cruciale dans la conduite de politiques de transport économes en énergie et peu émetteurs de gaz à effet de serre au service du développement économique et social.

 

1 - Sur la base de deux travailleurs effectuant chaque jour ouvrable 50 km de trajet domicile travail avec un véhicule consommant 8 litres aux 100 km.
2 - Source : AIE « World energy outlook 2006, The alternative policy scenario »
3 - Typiquement 1 pour l’hydraulique, le photovoltaïque et l’éolien, 2 pour l’électricité ex gaz naturel, 2,8 pour l’électricité ex charbon, 3,5 pour l’électricité nucléaire.
4 - Cahiers du CLIP- Transports à l’horizon 2030 p 54 -55 Carine Barbier et al
5 - A ce propos on pourra noter que le transport en train à grande vitesse d’un passager en Europe entraîne l’investissement de 6 à 12 k W de motrice, le transport automobile 40 à 100 kW de moteur, le transport aérien en avion de ligne moderne de 35 à 130 kW de réacteur.

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