L’intérêt de ces formules, qui était à l’origine de faire l’économie de l’acquisition du terrain, a bien évolué. Et les façons de les utiliser sont devenues multiples
1999
Bail à construction, bail emphytéotique, il n’y a pratiquement aucune différence entre ces deux contrats qui permettent de louer un terrain pour construire. L’intérêt de ces formules, qui était à l’origine de faire l’économie de l’acquisition du terrain, a bien évolué. Et les façons de les utiliser sont multiples.
Cet article est issu d’une étude réalisée pour la Direction de l’habitat et de la construction. Elle a été conduite par l’auteur et un groupe de travail (formé d’un notaire, un propriétaire institutionnel, un promoteur, un avocat, et des représentants de l’administration et d’un organisme HLM) qui se réunit depuis un an à l’ADEF. L’étude sera disponible à la fin de l’année.
Depuis que l’essentiel de l’urbanisation est de la réurbanisation, il n’est plus possible d’acquérir à bas prix des terrains urbains à aménager. Pour éviter qu’une part trop grande des capacités d’investissement soit mobilisée (certains diront stérilisée) dans le seul financement de la charge foncière, le constructeur peut tenter de louer le terrain au lieu de l’acheter.
La propriété des constructions sera alors dissociée de la propriété des terrains. Ce système, assez banal dans beaucoup de pays, pas seulement européens, est resté longtemps exceptionnel en France. Il y a deux siècles, le Code civil, en réaction contre le système de l’Ancien Régime qui superposait de multiples droits sur le même sol, a favorisé le regroupement de tous les droits entre les mains d’un même propriétaire. C’est pourquoi il n’interdit pas de louer un terrain, mais au même titre que n’importe quel autre bien, sans prévoir de règle spécifique.
En dehors de quelques survivances, c’est assez récemment, surtout depuis les années 1960, que la France a redécouvert les vertus de la concession d’usage des sols (dont le bail emphytéotique et le bail à construction sont deux formes parmi d’autres). Des textes nouveaux ont été élaborés, multipliant les montages juridiques possibles, sans doute à l’excès : on ne compte plus les utilisations qui en sont faites, surtout dans la sphère publique et parapublique.
En France, le bail emphytéotique et le bail à construction (voir encadrés) sont les deux procédés les plus communément utilisés. Le législateur a reproduit avec le bail à construction le modèle emphytéotique, l’un et l’autre étant des baux à long terme conférant au preneur un droit réel immobilier.
Du pareil au même
A l’origine, le bail emphytéotique (du grec phuteuo signifiant ”je plante“) devait permettre de défricher et de planter les terres incultes. Aujourd’hui, ce mécanisme de louage foncier en milieu rural a pratiquement disparu compte tenu de la législation sur les baux agricoles. Son utilité porte sur la construction d’immeubles urbains. Le bail à construction n’est finalement qu’une variété particulière d’emphytéose.
Rien ne distingue significativement les deux formules, sinon que la réalisation d’une construction est une clause essentielle du bail à construction alors qu’elle ne constitue qu’une clause optionnelle du bail emphytéotique.
L’existence du bail à construction ne résulterait que de contingences politiques. Dans les années 1960, on a voulu, en prenant exemple sur la Suède, lancer une politique de maintien, en portefeuille public, des terrains difficilement acquis pour l’urbanisation nouvelle. On pensait que la réurbanisation serait ainsi plus facile pour les générations futures. Et comme, en France, dès qu’on lance une politique nouvelle, on vote une loi, on a inventé, en 1964, le ”bail à construction“. En réalité celui-ci n’est rien de plus qu’un bail emphytéotique auquel on ajouterait les clauses nécessaires, et sa suppression pure et simple n’enlèverait rien à l’arsenal juridique.
La seule démarcation entre ces deux types de contrats ne réside en fait que dans les avantages fiscaux mineurs du bail à construction : exonération pour le preneur de la taxe de publicité foncière (0,60 % de la valeur du terrain) et, pour les baux de plus de trente ans, non-imposition pour le bailleur de la valeur résiduelle des constructions.
Autre subtilité de la loi : dans le cas de l’emphytéose, en fin de bail, les constructions reviennent sans indemnité au propriétaire-bailleur sauf convention contraire, alors que des contreparties financières peuvent être prévues dans un bail à construction. Mais cette possibilité est rarement utilisée.
En fait, s’il y a une distinction à faire, c’est plus entre les intentions des textes juridiques et les pratiques qu’entre les outils eux-mêmes. A l’origine, ces formules répondaient à trois objectifs. Le premier, pour les collectivités locales, était de récupérer des plus-values dans un contexte de progression rapide des valeurs foncières. En même temps, elles conservaient la propriété, donc la maîtrise de la gestion des sols. Le troisième objectif, purement économique, intéressant aussi les promoteurs, est apparu ensuite : louer le terrain permet d’alléger le montant de l’investissement nécessaire à la construction, souvent dans le cadre d’une politique de logement social.
L’écart entre la pratique et les intentions juridiques est évident lorsqu’on tente de situer les rapports socio-économiques des acteurs de l’opération immobilière qui conditionnent l’application de tel ou tel montage. La diversité des comportements des propriétaires, maîtres d’ouvrage, collectivités locales, usagers, ou gestionnaires conduit à observer une série de paramètres, en particulier dans le mode de financement de l’opération. Cela permet de définir une typologie basée sur les enjeux auxquels l’opération cherche à répondre.
On observera les motivations des bailleurs et la nature des terrains d’emprise faisant l’objet de baux. Pour intéresser des promoteurs, les propriétaires sont parfois amenés à consentir à leurs preneurs des avantages divers : la durée du bail, le mode de paiement de la redevance, la possibilité de capitaliser le loyer, les conditions d’expiration des baux…
Intérêt économique
Pour le bailleur comme pour le preneur, l’enjeu peut d’abord être économique. Le système limite l’investissement à la construction, le terrain étant loué. Cela permet d’allonger la durée du financement en offrant la propriété du terrain au bailleur-prêteur comme garantie jusqu’à son total remboursement. En outre, l’aménageur garde la propriété du terrain parce qu’il croit que celui-ci va prendre de la valeur, tandis que le constructeur ne s’intéresse qu’à la rentabilisation immédiate de son investissement, et n’a aucune prise sur la valorisation future du site.
Le système vise à reporter sur le bailleur l’incertitude qui pèse sur le prix du foncier. C’est un moyen de se mettre d’accord sur un prix en laissant les risques du long terme au propriétaire du terrain (le loyer est calé sur le futur chiffre d’affaires du constructeur-locataire).
Parfois, le propriétaire du terrain cherche simplement à se constituer un revenu régulier et garanti sur le long terme. Le bail à construction offre ici des avantages à la personne publique propriétaire-bailleur : il permet de récupérer à l’issue du bail un bien ”amélioré“, sans avoir eu à financer la construction. Il permet aussi de toucher un loyer important, parfois supérieur à ce que le terrain aurait coûté à l’achat. Mais le système repose souvent sur l’inégal accès au crédit des deux cocontractants.
Se constituer un patrimoine
Pour une institution, le choix de monter des opérations par bail peut répondre aussi à la simple volonté de se constituer un patrimoine : choix d’un faible rendement contre une valorisation à long terme du bien immobilier. Ainsi, la ville de Strasbourg, familiarisée depuis longtemps avec la concession des sols, s’est constitué un patrimoine foncier important qu’elle loue par bail emphytéotique. Les baux en vigueur servent le plus souvent à la construction de logements sociaux, ou à l’implantation d’activités. A l’échéance du bail, les terrains et les constructions reviennent à la commune, sans qu’elle ait à verser d’indemnité. Les baux des locataires de logements sociaux et des commerçants sont maintenus. Ces derniers doivent néanmoins payer à la commune un pas-de-porte lors de l’octroi d’un nouveau bail commercial à l’échéance du bail emphytéotique.
La concession d’usage du sol peut aussi permettre de maintenir l’affectation définie initialement. Par exemple, si les constructions projetées ont un caractère social, le bailleur ne cherche pas à tirer profit de son patrimoine immobilier, il se borne à louer les terrains à un prix symbolique afin de maîtriser contractuellement l’affectation des sols, l’attribution des logements, donc le peuplement du quartier. Les motivations annoncées par les bailleurs ne sont pas toujours clairement affichées dans les contrats. Néanmoins, ils sont nombreux à vouloir maintenir ou contrôler l’usage du sol. C’est en effet un des principaux avantages pour le bailleur, car il est en mesure de choisir l’utilisateur qui offrira les meilleures garanties pour la réalisation de ses objectifs.
L’usage du terrain ainsi concédé reste provisoire : à l’expiration du bail, le propriétaire du terrain retrouve la propriété pleine et entière de son bien, ce qui permet d’éviter la création de droits acquis, dont la collectivité devrait par la suite tenir compte, au détriment parfois des exigences d’une bonne organisation de l’urbanisation.
Les baux à long terme sont aussi un moyen de recycler le sol. Le bail permet de conserver la maîtrise foncière, donc de procéder à des remodelages de tissu urbain, sans faire appel à des procédures de rachat difficiles et onéreuses. C’est pourquoi les baux sont généralement utilisés par des personnes publiques qui souhaitent récupérer à terme la maîtrise foncière d’un bien, mais n’ont pas les moyens d’exploiter les équipements dont elles ont besoin.
Maîtriser le foncier
En fait, l’emploi du bail pour faire réaliser un équipement nécessaire au fonctionnement d’un service public à caractère social ou commercial, offre certains avantages à la collectivité par rapport à d’autres modes de réalisation, tels que la maîtrise d’ouvrage ou la concession de service public. Elle peut ainsi se décharger sur un professionnel de tout l’aspect fonctionnement de l’équipement (travaux, entretien, gestion…). Ce sont des tâches lourdes pour lesquelles elle n’a pas forcément les capacités ou les compétences requises, et qu’elle doit assumer lorsqu’elle intervient en maîtrise directe. En même temps, la collectivité n’est pas dessaisie du fonctionnement du service car elle garde le contrôle sur l’affectation, la maintenance et l’exploitation du bien.
Subventionner le preneur
Enfin, le système a pour objet implicite de subventionner le preneur. Par exemple, le bailleur utilise ses terrains pour loger son personnel (c’est le cas des établissements publics), ou favoriser la commercialisation d’une zone d’activité. Une commune qui donne à bail un terrain le fait souvent pour choisir et subventionner le preneur sans référence directe possible avec un prix de marché.
Autre exemple, pour la construction d’un restaurant inter-entreprises dans la ville nouvelle de Cergy, un loyer symbolique a été demandé au preneur pour toute la durée du bail (cinquante ans). Ici, la cession du bail a une rentabilité nulle pour l’établissement public d’aménagement (le bailleur). Il s’agit plutôt de subventionner un service pour faciliter la commercialisation des terrains industriels disponibles. Et, pour un constructeur privé, le but est d’immobiliser le moins possible de capitaux. Si c’est un industriel, il garde sa mobilité et considère que le bâtiment aura une valeur de récupération pratiquement nulle.
Ainsi, le bail emphytéotique conclu entre un particulier et le Pact-Arim 93 pour la réhabilitation d’un ensemble immobilier à Saint-Denis, montre que le contrat est la garantie que les crédits de réhabilitation bénéficieront aux occupants.
De même, les baux qui lient la commune de Montfermeil et le Pact-Arim 93, prévoient que le bailleur (ici la commune), devient propriétaire dans cinquante ans de logements à valeur incertaine. La rentabilité économique de l’opération est pratiquement nulle pour les collectivités publiques. Les seuls bénéficiaires sont les propriétaires initiaux à qui on a racheté leur logement et qui ont été relogés.
Intérêt juridique
Le bail répond à des problèmes juridiques posés par des opérations immobilières complexes ou par le classement du sol dans le domaine public (certaines difficultés de gestion domaniale sont dues au statut attaché au domaine public considéré très souvent comme inadapté au regard des objectifs de la collectivité publique (1)).
Par exemple, de nombreux bâtiments de l’opération Beaugrenelle, réalisée dans les années 60, sont fondés sur un sol artificiel. Le parti architectural retenu pour le secteur ” Front de Seine ” a été de réaliser un ouvrage-dalle. Tous les bâtiments construits sur la dalle ont été concédés et parmi les ouvrages sur sol naturel, deux ont fait l’objet de baux : l’hôtel Nikko, des bâtiments de services et des parkings.
Le montage peut aussi chercher à tirer profit du système fiscal. Mais les enjeux fiscaux sont parfois délicats à mettre en évidence. Ils n’apparaissent ni à la lecture des contrats de baux eux-mêmes ni dans les intentions affichées par les acteurs de l’opération.
La fin du bail
La fin de l’emphytéose survient en principe à la date prévue au contrat. Ce contrat ne peut pas se prolonger tacitement (article L. 451-1 al. 2), mais rien n’empêche son renouvellement exprès par une nouvelle convention. En fin de contrat, le bien retourne alors intégralement au bailleur avec les améliorations et constructions réalisées par ” l’emphytéote “. Aucune indemnité ne lui est en principe due à ce titre (sauf convention contraire). L’économie du contrat implique normalement que sur sa durée, il ait amorti le coût de la construction. Il en va de même pour le bail à construction.
Il arrive que le propriétaire-bailleur soit redevable au preneur d’une indemnité. Par exemple, si les baux ne sont pas renouvelés, les locataires des terrains de la Cité internationale de Lyon seront indemnisés par la ville en fonction de la valeur résiduelle du bâti. De même, il a été prévu pour l’opération ” Front de Seine ” à Paris, que les locataires des terrains seraient indemnisés en fonction de la valeur résiduelle des constructions et des aménagements (2). En outre, la possibilité d’une reconduction du bail a été adoptée sur le secteur Beaugrenelle. Bien que cela aille à l’encontre de l’esprit de la concession des sols, on voit bien qu’il s’agit d’un élément essentiel pour le preneur. Par ailleurs, le renouvellement des baux ne peut s’effectuer sans l’approbation de la Ville de Paris. Les nouveaux contrats signés doivent stipuler que les loyers seront versés intégralement à la ville pour couvrir les frais d’entretien.
Dans les baux portant sur des constructions à caractère commercial, il est souvent prévu que le preneur pourra exiger du bailleur qu’il lui octroie un bail commercial sur le même bien à l’issue du contrat. Dans le même esprit, à Strasbourg, le bail emphytéotique du bâtiment du Conseil de l’Europe a été converti en location ordinaire. Par ailleurs, si la ville de Strasbourg souhaitait vendre le bâtiment, le preneur aurait un ”droit de préemption” sur la vente. De même, à Saint-Quentin-en-Yvelines, un bail à construction de soixante-dix ans pour la construction d’un immeuble à usage de bureaux stipule que le preneur serait préféré au cas où le bailleur décidait de vendre ses biens. On retrouve ces mêmes clauses dans le bail conclu entre une SEM d’aménagement marseillaise et des sociétés d’hôtellerie ; elles ont en effet un droit de préférence à la location ou à la vente cinq ans avant l’échéance du contrat. De même, une clause de préférence à l’achat a été insérée dans le bail entre l’OPAC de Rouen et l’établissement public de la Basse-Seine (EPBS).
On rencontre aussi des jeux à trois. Un bail à construction conclu récemment entre une SA d’HLM et l’EPBS, stipule qu’au terme du bail, l’EPBS cèdera le terrain à la commune, et que celle-ci revendra ensuite le terrain au preneur, l’acte de vente ne pouvant s’effectuer qu’après transfert de propriété à la commune.
Quelques baux font figure d’exception. Ceux des Hospices civils de Lyon prévoient qu’à la fin du contrat, les terrains doivent être remis nus au bailleur ; les preneurs (les promoteurs) ne recouvrent aucune indemnité alors qu’ils sont tenus d’indemniser les locataires des logements à démolir. Un bail conclu pour la construction d’une clinique en Seine-Saint-Denis comprend une clause tout à fait singulière : le preneur a l’obligation au terme du bail d’acquérir le terrain loué ; à défaut, il est tenu de payer au bailleur une indemnité forfaitaire.
Ces exemples ne donnent qu’une idée de la pratique de la location des sols urbains en France. Mais aucune source ne permet de saisir le phénomène de manière exhaustive.
Le contentieux est faible du fait de la durée très longue des contrats (soixante ans en moyenne) et de la date récente de la loi les instituant (loi du 16 décembre 1964 pour le bail à construction).
Dans une opération de logements sociaux, les acteurs font souvent l’impasse sur la question de l’issue du bail, perspective très lointaine au moment de la signature. En pratique, la fin du bail s’approchant, le preneur risque de ne plus entretenir la construction, car il va bientôt perdre la propriété de la construction. Le maintien en état des bâtiments suppose que le bailleur ait un moyen de pression sur le preneur. Le secteur social est un cas particulier et l’on ne peut pas dissocier la valeur du bâti de son occupation. Les organismes sociaux eux-mêmes peuvent être tentés, pour se débarrasser de ce souci, de concentrer le maximum de familles à problèmes dans les immeubles sous bail à construction qui arrivent à échéance. Le propriétaire du terrain ne récupère alors que des charges. En outre, ce système ne joue que pour des baux ” parapublics “, et exclut les baux conclus selon une logique de marché. Pour ce dernier cas, la question de savoir si le preneur va entretenir les bâtiments jusqu’au bout reste entière. Le bail offrirait plus d’intérêt si une clause prévoyait que le preneur garde la propriété de la construction.
Difficultés
En pratique, s’agissant des logements, la formule du bail à construction soulève des difficultés de commercialisation. Peu d’acheteurs acceptent la perspective d’une propriété limitée dans le temps.
Pour des locaux d’activités, la cession des droits de construire en bail à construction est relativement bien acceptée. Les preneurs peuvent faire un calcul de rentabilité de leur activité, compte tenu du coût des loyers, tout en établissant un plan d’amortissement pour l’immeuble. Le même raisonnement est parfois tenu par les promoteurs de logements locatifs.
En revanche, un problème se pose dès qu’il s’agit de logements en accession à la propriété. Les futurs acheteurs souhaitent transmettre leur appartement à leurs enfants, sans penser qu’une construction n’est pas éternelle. Pour qu’un tel rejet psychologique disparaisse, il faudrait des baux qui prévoient l’appropriation du terrain par le propriétaire de la construction en fin de bail.
Les difficultés financières ont conduit à dénaturer le régime de la loi de 1964. Dès qu’un aménageur doit recourir à l’emprunt pour acheter les terrains et les équiper, il lui est financièrement impossible de s’équilibrer en les cédant à bail, sauf à dénaturer le principe du bail en exigeant du preneur, dès la signature, le versement de tous les loyers capitalisés, ce qui correspond à la valeur vénale du terrain. Le bail n’est plus alors qu’une vente à durée limitée. La redevance capitalisée peut aussi consister en la réalisation de travaux d’aménagement.
Par contre, il est rare que la redevance comprenne à la fois un versement initial et un loyer annuel. De tels cas existent cependant en ville nouvelle, pour des locaux commerciaux. Les sommes exigées peuvent même être assez élevées car elles ne représentent pas seulement la location du terrain mais la vente d’une clientèle.
Dans certains pays étrangers, ce versement initial est une pratique courante et correspond à un droit au bail. Au Japon, il varie, en fonction de la destination des constructions et de la durée du bail, de 10 % à 50 % de la valeur vénale du terrain.
Améliorer le système
Il ressort de l’application actuelle de la concession des sols que les caractéristiques du bail doivent être plus clairement définies pour apporter des réponses aux préoccupations des propriétaires fonciers et des investisseurs. Le bail peut alors marier la logique patrimoniale du propriétaire (une rentabilité garantie de son terrain même à un faible taux) à la logique commerciale ou industrielle de l’investisseur (minimiser son immobilisation en capital, ne financer au départ que la construction).
La logique patrimoniale du propriétaire n’implique pas nécessairement le retour des constructions dans son patrimoine en fin de bail, ce qui semble être la règle en France. Elle exige surtout que les constructions soient correctement entretenues pendant la durée du bail, ce qui est difficile à imposer sans moyen de pression sur le preneur. A cet égard, dans certains pays étrangers, le preneur est indemnisé en fin de bail par le bailleur de la valeur résiduelle de la construction (3), ce qui l’amène à conserver le bâti en bon état.
Quant à la logique de l’investisseur, elle nécessite par contre que le loyer du bail à construction soit annuel et non capitalisé, pour diminuer le coût de son investissement.
Qui peut avoir aujourd’hui une politique patrimoniale, si ce n’est les compagnies d’assurance et les caisses de retraite ? Les collectivités publiques ne peuvent l’envisager que si elles disposent déjà d’un patrimoine foncier. On pourrait aussi envisager qu’un établissement public foncier acquière des terrains et les loue systématiquement. Mais créer de tels établissements alourdirait la fiscalité locale et, en définitive, stériliserait la capacité d’investissement public en la détournant vers des placements fonciers.
Faire le ménage dans les textes
Pour améliorer le système, le premier travail serait de faire un vaste ménage des textes juridiques sur les diverses formes de concession d’usage des sols. Ceux-ci se sont en effet multipliés en trente ans, formant des doublons, sources de confusion. Le choix d’une formule plutôt qu’une autre n’est souvent que le fruit du hasard.
Ensuite, des mesures fiscales incitatives pourraient encourager les bailleurs publics et privés et les preneurs à s’intéresser au bail à construction qui diminue le prix de l’investissement foncier et immobilier. En France, il n’y a pas actuellement d’allégement des droits d’enregistrement pour la cession de terrains sous bail. En Belgique (4) par contre, le régime fiscal des droits de mutation du bail emphytéotique est dérogatoire et très favorable aux utilisateurs : le taux y est de 2 ‰ alors que pour les mutations en pleine propriété, il atteint 12,5 %.
Par ailleurs, la plupart des montages font l’impasse sur les problèmes qui ne manqueront pas de surgir en fin de bail, lorsque le terrain devra retourner à la construction, ou la construction au terrain. La plupart de ces montages étant relativement récents (années 60), la France n’a encore qu’une faible expérience mais certains réveils seront sans doute difficiles.
Enfin, la concession d’usage des sols sert plus souvent à maquiller les problèmes fonciers qu’à les résoudre. Elle habille une simple subvention du preneur par le bailleur ou, au contraire, une ponction du preneur par le bailleur (par exemple, un habillage financier qui se greffe sur la location du terrain correspondant à la vente d’une clientèle).
Une solution pour les ZAC plantées ?
Le point commun à toutes ces pratiques n’est-il pas justement de comptabiliser la valeur du foncier très au dessus ou très en dessous de sa valeur de marché, sans que cela n’apparaisse en terme nominal ? Ceci conduirait à proposer la dissociation de la propriété du sol et de la construction pour résoudre la fameuse question des ZAC plantées en Ile-de-France.
Beaucoup de communes se sont en effet lancées dans les opérations d’aménagement au plus fort de la bulle spéculative, en misant sur la commercialisation des charges foncières élevées. Après le retournement des marchés, ces communes ont préféré continuer à afficher des prix de vente élevés au lieu de reconnaître s’être trompées. Dans les faits, cette attente alourdit considérablement les frais financiers liés au portage foncier et supportés par les aménageurs et les collectivités, et indirectement les contribuables. Le système de concession des sols permettrait de faire baisser la valeur du terrain sans obliger les communes à admettre leurs erreurs. Le bail à construction serait un moyen de se mettre d’accord sur un prix, par exemple en calant le loyer sur le futur chiffre d’affaires du constructeur-locataire. Quant aux élus locaux, ils n’auraient pas à reconnaître directement l’échec de leur zone d’aménagement, et pourraient en même temps maîtriser contractuellement l’affectation des sols.
Le bail emphythéotique
Le bail emphytéotique* est un bail de longue durée (18 à99 ans) par lequel le propriétaire d’un bien immobilier consent à un preneur à bail un droit réel immobilier susceptible d’hypothèque. Il peut porter sur un terrain à bâtir ou sur un immeuble bâti quel qu’en soit l’usage. Le preneur est généralement tenu d’améliorer le fonds loué ou de construire dessus, de ne pas opérer de changement dans l’immeuble qui en diminuerait la valeur, de ne pas réclamer d’indemnité pour les améliorations ou les constructions qu’il aura réalisées, d’exploiter le bien pris à bail, en particulier en le louant et de payer la redevance (loyer) prévue. Le montant du loyer est laissé à l’appréciation des parties. Mais, les travaux d’amélioration, d’entretien ou de construction réalisés par le preneur peuvent être considérés comme un apport en nature et compenser la modicité du loyer, voire son absence. C’est donc au preneur qu’incombe le financement des travaux de construction à réaliser dans le cadre du bail. A l’expiration du bail, l’immeuble redevient sans indemnité la propriété du propriétaire-bailleur.
* Textes de référence : loi du 25 juin 1902 ; Code rural, art. L. 451-1 à L. 451-13 ; Code de la construction et de l’habitation : art. R. 251-1 et R. 353-90 ; loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 : art. 13.
Le bail à construction
Le bail à construction* est le contrat par lequel le preneur s’engage à bâtir sur le terrain du bailleur et à conserver les constructions en bon état pendant toute la durée du bail (de 18 à 99 ans). Il peut porter sur un terrain à bâtir ou sur un immeuble qui nécessite des travaux (agrandissement, rénovation, surélévation ou transformation d’usage). Le prix du bail peut correspondre à la remise au bailleur d’immeubles ou de fractions d’immeubles, ou au paiement d’un loyer, en une seule fois ou de façon périodique. Le plus souvent la révision du loyer est calculée à partir de l’indice du coût de la construction. On peut convenir d’exécuter les réparations de toute nature sur les constructions existant au moment du bail et sur celles qui auront été réalisées. A l’échéance du contrat, le bailleur reçoit les constructions réalisées par le preneur, sans verser d’indemnité. Toutefois, le contrat peut prévoir une indemnité pour le preneur. Il peut aussi spécifier le maintien du droit de propriété du preneur sur une partie des ouvrages qu’il a réalisés : on aura donc en fin de bail une copropriété ou une superposition de volumes. Enfin, il peut aussi maintenir le droit de propriété sur les constructions réalisées par le preneur, et proposer l’acquisition de l’immeuble initial en contrepartie d’un loyer généralement augmenté lors des dernières années du bail.
Textes de référence : loi n° 64-1249 du 16 décembre 1964 (JO du 18 déc.) modifiée puis codifiée ; Code de la construction : art. L. 251-1 à L. 251-9, R. 251-1 à R. 251-3 et R. 353-90.
Droit foncier - La pluralité des droits privés sur le sol et leur interférence
Article issu de Etudes foncières