La vision simpliste d’un territoire constitué d’une juxtaposition de terrains appartenant chacun à un propriétaire ayant « le droit d’en jouir et d’en disposer de la manière la plus absolue », est très éloignée de la réalité.
2010
Lorsque, pour déterminer la valeur d’un terrain, on examine les droits qui s’y exercent, on découvre que le droit du propriétaire y est en compétition avec de nombreux autres droits, sans parler des situations de plus en plus fréquentes où la propriété elle-même est éclatée entre plusieurs droits ayant des titulaires différents.
Le « c’est à moi, c’est pas à toi » appartient aux toutes premières acquisitions conceptuelles de l’enfant, il participe de façon quasi constitutive à son organisation mentale. La vraie question de la propriété foncière n’est pas là, elle est de savoir à partir de quand et dans quel contexte historique, une portion d’espace a pu être assimilée à un ours en peluche.
Loin d’être universelle, l’idée qu’un espace puisse être la propriété d’un individu, au même titre que n’importe quel objet, est une idée toute récente à l’échelle historique. Les anthropologues nous expliquent que la notion d’appropriation d’un coin de terre est liée à l’apparition du jardinage féminin. Dans des sociétés du Pacifique qui étaient au stade néolithique du développement, on a pu observer l’existence d’enclos individuels appartenant à des femmes qui le transmettaient à leurs filles pour y cultiver quelques légumes.
Dans l’histoire de la France elle-même, la propriété du sol est tellement liée à l’activité agricole que lors de la rédaction des coutumes, le droit de propriété y apparaît encore comme un droit saisonnier, allant de la date des semailles à celle de la récolte. En hivers et durant les années de jachère, la terre redevient commune.
Certes, nous ne sommes plus au Moyen Age. Nous avons appris à l’école que depuis 1789 la propriété est un droit inviolable et sacré (ce qui d’ailleurs est faux, historiquement parlant (1) mais c’est une autre histoire). Pourtant lorsqu’on y regarde de plus près, l’entrelacement des droits sur le sol y est d’année en année plus complexe.
Outre les classiques démembrements du droit de propriété (usufruit, nue propriété) et superpositions de droits de propriété différents sur le même espace (division de propriété en volume ; propriété de la construction disjointe de la propriété du terrain ; propriété commerciale), est apparue une série de droits concurrents qui ont chacun un impact bien réel sur la valeur du sol, même s’il ne s’agit pas de « droits de propriété » proprement dits.
11 Voir « L’impossible propriété absolue », Joseph Comby, in « Un droit inviolable et sacré », Adef, 360 pages, 1991 Il s’agit bien sûr en premier lieu de la prolifération des servitudes, en particulier les servitudes de droit public. Car si les terrains sont très majoritairement des « propriétés privées », le territoire auquel appartiennent ces terrains est « le patrimoine commun de la nation », laquelle est donc en droit de l’aménager et d’y édicter des règles. Il ne se passe pratiquement plus d’année sans qu’il n’en apparaisse de nouvelles. Les changements d’énoncés des règles de droit public sont devenus la principale cause de valorisation ou de dévalorisation des terrains privés. Mais pas seulement.
Les droits du propriétaire se heurtent également aux droits des occupants (les locataires en titre, mais aussi les squatteurs) ; à ceux des voisins, des chasseurs, des promeneurs, etc.
Certains de ces droits ou plutôt de ces prérogatives concurrentes ne résultent même pas toujours d’une règle juridique, mais de pratiques sociales, éventuellement en contradiction formelle avec la règle de droit. L’exemple de la « quasi-propriété » dont bénéficie le fermier titulaire d’un bail rural est particulièrement significatif.
Bref, il existe peu de concept où l’écart soit si grand entre la réalité et sa représentation.
Droit foncier - La pluralité des droits privés sur le sol et leur interférence