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Où en sont les systèmes de transfert de COS

Introduit en France en 1976, le transfert de COS apparaît comme une variante de tentatives menées dans de nombreux pays pour séparer la propriété des droits à bâtir et la propriété des sols. Après avoir fait couler beaucoup d’encre, on n’en parle plus beaucoup, mais il continue à s’appliquer ici. Une évaluation d’ensemble était devenue nécessaire.

Vincent RENARD

1999

Introduit en France par la loi Galley de 1976, le transfert de COS apparaît comme une variante des tentatives menées dans un grand nombre de pays pour séparer la propriété des droits à bâtir de la propriété des sols. Après avoir fait couler beaucoup d’encre il y a vingt ans, on ne parle plus beaucoup du système. Il continue pourtant à s’appliquer ici et là et une évaluation d’ensemble est devenue nécessaire.

L’impact des règles d’urbanisme sur les valeurs foncières a toujours constitué une difficulté importante dans l’application d’un zonage qui est par nature inégalitaire. La constructibilité détermine largement le prix d’un terrain, et l’application du zonage entraîne donc des modifications substantielles de la valeur des patrimoines fonciers.

Parmi les multiples techniques utilisées pour contribuer à résoudre ce problème, la séparation entre le droit de propriété du sol et le droit de construire a ouvert une gamme de solutions. Les unes tendent à la collectivisation, totale ou partielle, du droit de construire (Town and Country Planning Act de 1947 en Grande-Bretagne, plafond légal de densité de 1975 en France, concessione di edificare en Italie en 1977…). Les autres conduisent à l’organisation d’un véritable marché des droits de construire, ce qui permet une distribution égalitaire des droits initialement alloués, les propriétaires achetant ou vendant leurs droits en fonction des contraintes du zonage.

Cette méthode, dite ” transfert de coefficient d’occupation du sol (COS) “, a été introduite en France en 1976 par la loi Galley. Elle s’appliquait déjà dans plusieurs pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis. Son introduction dans la loi a suscité des réactions contrastées, non dépourvues d’idéologie, pas toujours attentives aux aspects économiques, juridiques et techniques de la mise en œuvre.

Droits à polluer et droits sur le sol

La (ré)émergence du thème des droits négociables a repris de la vigueur depuis quelques années, à partir de la question générale du changement climatique, de l’effet de serre et de la pollution atmosphérique qui en est l’un des facteurs.

Une étape importante a été franchie à la fin de l’année 1997, avec le protocole arrêté à la fin de la Conférence de Kyoto en décembre 1997 qui a retenu la possibilité de recourir aux échanges de quotas ou crédits d’émission.

On doit souligner ici une première différence conceptuelle entre la notion de permis négociable telle qu’elle peut s’appliquer aux terrains et celle de quotas négociables d’émissions polluantes. En matière de pollution, il s’agit de négocier un droit à émettre en permanence un flux de pollution, mesurée par exemple en tonnes d’oxyde d’azote rejetées annuellement dans l’atmosphère. Il s’agit donc d’un flux continu, et les quotas correspondants peuvent eux-mêmes être achetés ou vendus de façon permanente.

La notion est tout à fait différente avec les droits négociables attachés au sol, puisque le droit correspondant est vendu une fois pour toutes, ou pour une durée longue. Certes il peut n’être vendu qu’en partie, ou peut être racheté par la suite, mais l’objet de la transaction n’est pas relatif à un flux continu. Ceci emporte évidemment d’importantes conséquences dans l’utilisation de l’outil en matière d’allocation et de conditions de rachat des droits.

Droits négociables

Cette notion renvoie donc au problème du contenu du droit de propriété appliqué à l’espace, et conduit à souligner une différence majeure entre les systèmes juridiques inspirés du droit romain ou du droit anglo-saxon. Les premiers, fondés sur l’unicité et le caractère absolu du droit de propriété sur le sol, s’opposent nettement aux seconds, en particulier le droit nord-américain. Car celui-ci considère à l’inverse que la propriété du sol est un faisceau de droits (a bundle of rights) dont certains éléments peuvent être dissociés, en particulier bien sûr le droit de construire, le droit de survol (air rights), le droit d’exploiter le sous-sol, etc.

Bien entendu, dans les systèmes inspirés du droit romain, des concepts juridiques ont été introduits qui permettent aussi de séparer tel ou tel de ces droits, éventuellement de les vendre isolément. On peut penser au droit de chasse, à divers droits d’usage à portée limitée (droits de passage), ou au droit d’exploiter le sous-sol. Mais ce sont plutôt des entorses à un système que le socle sur lequel il est construit.

Cette différence dans les constructions juridiques et les histoires jurisprudentielles explique certainement en bonne part la difficulté d’accoutumance, dans les pays d’Europe de l’Ouest ou au Japon, à des concepts ou des techniques courantes en Amérique du Nord.

Ceci s’incarne en particulier dans la longue pratique américaine des servitudes environnementales négociables (easements), concept qui, par exemple, ne parvient pas à trouver sa place dans le droit français, avec l’exigence de l’identification d’un ” fonds dominant ” et d’un ” fonds servant ” pour établir une telle relation.

La non-indemnisation des servitudes

Au cœur de la question de la création d’un marché de droits négociables se trouve la question du traitement financier et fiscal des règles d’urbanisme. En milieu urbain ou périurbain, la valeur d’un terrain réside dans les droits qui y sont attachés, déterminés par l’ensemble des règles urbanistiques et environnementales. La fixation de la règle par l’autorité publique exerce un effet déterminant sur la valeur du terrain. Dès lors que le changement de la règle modifie le prix du terrain (à la baisse ou à la hausse) se pose le problème de la correction effectuée par la puissance publique.

Dans le champ de l’espace urbain et périurbain (où le problème se pose avec acuité), les réponses ont été différentes suivant les pays. En schématisant, on peut dire que la plupart des pays d’Europe de l’Ouest ont posé le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme. Par exemple, ce principe, explicite dans le Code de l’urbanisme en France, s’applique à toute restriction ” en matière de voirie, d’hygiène et d’esthétique ou pour d’autres objets et concernant notamment l’utilisation du sol, la hauteur des constructions… l’interdiction de construire dans certaines zones ” (article L. 160-5). Une restriction au droit d’usage d’un terrain n’ouvre droit à indemnisation que s’il en résulte une ” atteinte à des droits acquis ” (par exemple le retrait d’un permis de construire déjà accordé) ou une modification de l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct matériel et certain. On est proche alors de la prise de possession.

La rigueur de ce principe, génératrice d’inégalités entre propriétaires fonciers, s’est bien sûr heurtée à de fortes résistances qui ont donné naissance à des échappatoires de fait, et aussi de droit. En France par exemple, l’introduction en 1976 du transfert de droits de construire entre dans ce registre. Le mécanisme a été fortement attaqué pour atteinte au principe de non-indemnisation des servitudes. C’est essentiellement la flexibilité des règles d’urbanisme, notamment des plans d’occupation des sols, qui joue le rôle d’amortisseur aux inégalités induites par cette règle. Il y a bien une forme de négociation de la règle de droit, mais fort éloignée des hypothèses d’un marché parfait.

Le principe de base est différent aux Etats-Unis. Si la constitutionnalité du zonage est bien établie depuis l’arrêt Euclid de 1926 (Village of Euclid vs Ambler Realty Co, Cour Suprême Fédérale), la ligne de partage entre la contrainte admissible sans indemnisation au nom du police power et la contrainte excessive qui doit donner lieu à indemnisation (taking) ou à expropriation (eminent domain) s’est constamment déplacée. L’expression ” taking “, que l’on peut assimiler à ” prise de possession “, est la traduction contemporaine du 5e amendement de la Constitution américaine (” nor shall private property be taken for public use without compensation ” : ” un bien ne sera pas pris pour un usage public sans indemnisation “).

Si cette clause, introduite dès 1789, est proche parente dans sa rédaction de la Déclaration française des droits de l’homme, sa traduction jurisprudentielle contemporaine est tout à fait différente, et son interprétation extensive par les tribunaux conduit dans les faits à l’interpréter comme le fondement du contrôle de légalité des règles d’urbanisme par les tribunaux.

On remarque, à la lumière de quelques arrêts récents1 et de l’essor du Movement of Private Property rights, que ces développements tendent à limiter l’application des règles et servitudes (en particulier le Clean Air Act et le Endangered Species Act) en jouant systématiquement la carte de la demande d’indemnisation2.

L’histoire de l’évolution de cette jurisprudence est donc dans les faits l’histoire de la modification progressive du contenu du droit de propriété, distinguant ce qui est un bien strictement privé (et qui peut donc être négocié sur un marché) de ce qui est un bien commun.

L’acuité du débat aux Etats-Unis, sur le plan strictement juridique comme sur le plan politique, montre à quel point la question de la définition du bundle of rights est cruciale.

L’hypothèse de l’existence de droits négociables suppose qu’il y a quelque chose à négocier, c’est-à-dire que l’un des partenaires est prêt à se défaire d’un des attributs de sa propriété (le droit de construire par exemple) pour le céder à un autre propriétaire.

A partir d’une situation donnée, le marché ne peut donc fonctionner que s’il s’agit d’un jeu à somme positive et qu’il existe une demande de ces droits. C’est poser le problème de l’allocation initiale de droits. Ici encore, deux conceptions doivent être distinguées selon les modes d’évaluation foncière et immobilière, qui reposent eux-mêmes sur des conceptions de la propriété foncière.

Plus-values et moins-values

Selon la première conception, largement répandue dans les pays d’Europe du Nord, la propriété du sol n’inclut pas le droit à la plus-value résultant du mouvement général d’urbanisation et, concrètement, de la réalisation d’équipements d’infrastructure généralement à la charge partagée des constructeurs et de la collectivité. C’est par exemple le cas en Suède ou aux Pays-Bas : suivant des mécanismes différents (réserves foncières à long terme des villes en Suède, quasi-monopole de fait des villes sur la production de terrain à bâtir aux Pays-Bas), la plus-value d’urbanisation est pour l’essentiel captée par la collectivité.

L’autre conception, qui prévaut par exemple dans plusieurs pays d’Europe du Sud, (il n’existe pas de cas ” pur ” et il est donc difficile d’être plus précis ici), consiste à laisser au propriétaire foncier initial le bénéfice de la plus-value, sous réserve de corrections fiscales, par exemple la taxation des plus-values. Dans de tels systèmes, la définition initiale de règles d’urbanisme ou leur modification apparaîtra généralement comme une restriction des droits antérieurs, si l’on suppose que la propriété initiale présentait un caractère absolu, incluant en particulier le droit de construire.

C’est dans ce contexte qu’on peut concevoir la négociation d’un ” droit ” supposé préexister mais dont l’usage effectif n’est pas autorisé. Ce point est essentiel pour comprendre le caractère crucial de l’allocation initiale des droits et le caractère conventionnel de cette allocation.

Règles unilatérales et droits négociables

Un dernier concept doit être éclairci par rapport à l’idée d’un marché de droits négociables. Nombre de règles qui s’appliquent à l’espace font l’objet de formes variées de négociations entre l’autorité publique qui accorde l’autorisation et le demandeur. C’est le cas lorsqu’un projet de développement urbain, par exemple une zone d’aménagement concerté (planned-unit development) fait l’objet d’une négociation entre la municipalité et le constructeur, négociation qui porte à la fois sur ce qui pourra être construit et sur les participations aux équipements publics que le constructeur s’engage à assurer.

Ce peut être aussi le cas de la fiscalité foncière ” contractuelle ” aux Etats-Unis où le contrat négocié (dans une certaine mesure) prévoit à la fois l’engagement du propriétaire (par exemple de poursuivre l’activité agricole pendant dix ans) et la base sur laquelle son impôt (la property tax) sera assis.

Ces techniques, essentiellement fiscales, qui ont un objet voisin (obtenir, par la compensation des servitudes, une meilleure acceptation par les propriétaires de zonages contraignants), recourent à des procédures unilatérales, par exemple l’abattement de l’assiette fiscale, ou diverses méthodes d’exemption de charges ou d’avantages financiers. En contrepartie, le propriétaire (et/ou exploitant) s’engage à respecter certaines contraintes, comme entretenir, conserver l’état naturel, poursuivre l’activité agricole, pratiquer l’agriculture sous des formes écologiquement avancées, etc.

Les origines de la loi de 1976

On peut trouver une assez abondante littérature (cf. Cohen de Lara et Dron, 1997) sur ces techniques d’incitation fiscale. Elles se distinguent de notre propos en ce qu’il n’y a pas création de mécanismes de marché mais décisions unilatérales de proposer une technique de fiscalité contractuelle.

Il existe d’autres marchés de droits sur le sol. On peut évoquer par exemple le ” marché ” des droits de chasse, qui, quoique marginal, a un certain fonctionnement3. Si le système de droit de l’urbanisme est fondé sur le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme ou, selon la terminologie nord-américaine, par l’extension du police power au détriment du eminent domain, cela pose un évident problème d’équité entre propriétaires fonciers dont les terrains sont affectés de façon différente par le plan d’urbanisme.

Dans le cas français, cette inégalité a posé un problème particulièrement aigu au début des années 1970, avec l’entrée en vigueur de la planification urbaine introduite par la loi d’Orientation Foncière du 31 décembre 1967, qui posait pour la première fois le principe d’un zonage généralisé (les plans d’occupation des sols), auquel il ne pouvait pas être dérogé. Après quelques tentatives avortées et une longue controverse, c’est finalement la loi du 31 décembre 1976, portant réforme de l’urbanisme, qui a posé le principe de la possibilité, dans certaines zones, de transférer des droits de construire d’une sous-zone (émettrice) à une autre sous-zone (réceptrice).

C’est aujourd’hui l’article L. 123-2 du Code de l’urbanisme : ” Dans les zones à protéger en raison de la qualité de leurs paysages […], les plans d’occupation des sols peuvent déterminer les conditions dans lesquelles les possibilités de construction résultant du coefficient d’occupation du sol fixé pour l’ensemble de la zone pourront, avec l’accord de l’autorisation administrative, être transférées en vue de favoriser un regroupement des constructions sur d’autres terrains situés dans un ou plusieurs secteurs de la même zone “.

Le choix qui a été fait comporte une certaine ambiguïté en retenant les zones ” à protéger en raison de la qualité de leurs paysages “. L’intention était donc d’exclure, outre bien sûr les zones constructibles, les zones agricoles productives. Mais peut-on établir nettement cette distinction ? La jurisprudence n’a pas véritablement tranché.

Ce texte a fait l’objet de fortes polémiques, avant, pendant et après son approbation. Trois critiques majeures lui ont été adressées, concernant le lien avec le zonage, l’incompatibilité avec le principe de non-indemnisation des servitudes, et la justice distributive.

Sur le premier point, la difficulté vient de cette caractérisation par la ” qualité ” des paysages, qui semble renvoyer aux zones protégées, où toute construction est interdite. Mais peut-on en exclure les zones agricoles productives, qui constituent souvent des espaces de grande qualité paysagère ? On imagine alors les possibles pressions de propriétaires de terres agricoles pour obtenir de se faire affecter des droits de construire transférables… Cette ambiguïté dans la relation avec le zonage a pesé sur les premières expériences menées en France, par exemple à Lourmarin (Vaucluse).

Sur le deuxième point, c’est le principe même du transfert de droit de construire qui a été mis en cause, dans la mesure même où il correspond implicitement à une indemnisation de servitudes puisqu’il s’applique seulement à des terrains ” protégés en raison de la qualité de leurs paysages “.

Sur le plan de la justice distributive, on doit observer que l’équité du mécanisme repose fondamentalement sur la répartition initiale de la propriété foncière. Dans la mesure où celle-ci serait répartie, dans les zones concernées, de façon assez égalitaire dans l’ensemble de la population, le mécanisme serait neutre en termes de justice distributive.

Mais on est en général très loin de cette situation. C’est alors un transfert de l’ensemble de la population, légitimement ” créancière ” des plus-values d’urbanisation, vers le sous-ensemble des propriétaires situés dans la zone retenue.

L’expérience reste insuffisante

Bien que la loi sur le transfert de coefficient d’occupation des sols s’applique depuis maintenant près de vingt-trois ans, l’expérience en la matière reste limitée, hétérogène et délicate à synthétiser. On trouvera ici quelques données relatives à cinq expériences parmi les plus anciennes, situées dans les Alpes françaises et dans le midi de la France (voir encadrés).

Les expériences en la matière n’ont pas atteint une masse critique qui permette d’en tirer des conclusions statistiquement étayées. De nombreux cas d’application, le plus souvent informels, se jouent entre un tout petit nombre de propriétaires, dans un cadre consensuel, hors formalisation juridique et institutionnelle. Mais ceci, qui fonctionne surtout en milieu urbain, existe depuis toujours sous la forme juridique des servitudes de droit privé.

Par contre, l’utilisation de la méthode sur une vaste zone, selon un mécanisme à portée générale dûment préétabli, est resté limitée. Les exemples présentés et les informations disponibles sur d’autres programmes permettent cependant de donner quelques éléments d’évaluation sur la pratique des droits négociables attachés au sol par rapport aux objectifs, divers, qui lui sont assignés. Après avoir précisé la nature réelle des droits échangés, on conclura sur le caractère crucial du lien entre droits négociables et zonage.

L’observation du fonctionnement de ces marchés de droits et les prix (de marché ?) qu’ils font apparaître conduisent d’autre part à s’interroger sur les conséquences redistributives du système. Enfin on présentera quelques conditions qui paraissent nécessaires au fonctionnement du système.

L’expérience reste limitée et son interprétation délicate en termes généraux. Certes, le mécanisme a globalement fonctionné en zone urbaine à (très) petite échelle pour répartir entre propriétaires voisins des droits de construire. Mais les exemples d’une certaine ampleur, où peut fonctionner un véritable marché, avec des conditions à peu près respectées de transparence et d’atomicité, sont beaucoup plus rares. Chacun d’entre eux a conduit à des résultats substantiels, mais chacun a aussi une histoire propre très spécifique et n’a été rendu possible que par une conjonction de facteurs (économiques, juridiques, institutionnels et urbanistiques) qui ne sont que difficilement reproductibles.

Ceci explique d’ailleurs en partie le caractère un peu anecdotique des expériences présentées. Les objectifs assignés à la plupart des programmes sont généralement de nature environnementales ou architecturales. L’objectif le plus fréquent est celui de la protection de l’espace naturel, ce qui est d’ailleurs le texte même de la loi.

Ce peut aussi être un outil de sécurité juridique pour le planificateur. Quand bien même on ne ferait pas fonctionner le mécanisme, le seul fait d’en avoir prévu l’utilisation permet de prévenir les contentieux en indemnisation des servitudes. Cet objectif joue en Amérique du Nord un rôle important tant sont omniprésents les recours au nom du taking.

Nature juridique des droits transférables

Ce point soulève la question toujours controversée de la nature juridique précise des droits de construire transférables. Aux Etats-Unis, un récent arrêt de la Cour Suprême Fédérale a posé le principe selon lequel le droit de construire, partie intégrante du droit de propriété, ne peut être transféré sur un autre site.

Dans un contexte tout à fait différent, on retrouve le même débat en France, quoiqu’avec un autre point de départ puisque le principe de base est celui de la non-indemnisation des servitudes. Dès la rédaction du projet de loi se sont élevées des voix pour dénoncer les risques inhérents à la création de droits qualifiés de fictifs (Lenôtre-Villecoin, 1975).

C’est, dans la même ligne que l’arrêt Suitum aux Etats-Unis, la critique du principe même de la création de l’objet juridique du ” droit transférable “. Selon les termes de J. Lenôtre-Villecoin, ” La faculté de transférer un droit de construire fictif, c’est la consécration du “jus abutendi”, du droit de disposer, dans un cas où pourtant l’utilité sociale, traduite en règles d’urbanisme, s’opposait à ce que le droit de construire existât tout simplement. […] Peut-être serait-il temps que l’on achève de régler son compte à la trilogie quiritaire (”usus”, “fructus”, “abusus”) qui “abuse” l’opinion des pays latins “.

Zonage et droits négociables

Le lien est évident : la méthode des droits transférables constitue en elle-même un zonage puisqu’elle implique la délimitation de zones émettrices et de zones réceptrices. On peut même être plus précis en soulignant que les zones doivent être très précisément dimensionnées sous peine de faire échouer le système : le bon fonctionnement nécessite que les propriétaires soient correctement incités, dans la zone émettrice comme dans la zone réceptrice, et que ces incitations conduisent à un équilibre correct de l’offre et de la demande de droits de construire.

Du côté des zones réceptrices, la planification classique conserve tous ses droits, le zonage a pour objet de garantir la qualité du développement urbain et ce sont donc des critères de qualité urbanistique qui doivent être pris en compte.

Par contre, une difficulté subsiste, dans la dynamique du processus, pour donner des incitations suffisantes. Aux Etats-Unis, nombre de programmes recourent au système du bonus zoning, c’est-à-dire que la densité autorisée est plus élevée s’il y a achat de droits transférables. La tentation est alors grande pour le planificateur de réduire la densité ” normale ” (sans achat de droits) et d’augmenter la densité ” bonifiée “. Mais une telle politique risque alors de se heurter au principe des droits acquis (vested rights) et de susciter des recours en justice. La pratique du zonage incitatif est donc d’un maniement délicat.

L’autre question délicate est celle de l’éligibilité au statut de zone émettrice, qui donne droit à l’attribution de droits négociables. C’est un débat infini, dont on ne voit pas comment il pourrait être tranché de manière systématique.

Il se pose d’abord avec la terre agricole. Doit-elle, et au nom de quoi, recevoir des droits de construire transférables ? D’une façon générale, on peut considérer que la terre agricole a un prix qui correspond à sa productivité, valeur actualisée nette des rendements futurs. Il y a un paradoxe à conférer des ” droits de construire “, même non utilisables sur le site, à une terre dont la vocation est de rester agricole.

On raisonne souvent (c’est le cas général en France, et dans la plupart des exemples américains) à partir de la richesse paysagère et écologique des sites. Mais c’est alors faire abstraction de l’usage effectif, et placer dans des situations analogues des propriétaires qui ont des rapports à leur terre très différents.

Sans que l’on puisse parvenir à quelque conclusion générale sur l’articulation entre le zonage et les droits transférables, on peut noter le risque de biaiser la délimitation des zones et les règles d’urbanisme de façon à faire fonctionner le marché des droits. Il importe de conserver l’ordre des choses, et la méthode des droits transférables reste un appui à une ” bonne ” planification urbaine, et non une fin en soi.

Comment gérer le mécanisme ?

Les exemples et les remarques qui précèdent rendent manifeste la nécessité d’une gestion fine pour maîtriser cette technique. Sur le plan institutionnel, il importe de dissiper d’emblée un malentendu : la méthode des droits de construire transférables nécessite des institutions fortes et stables pour pouvoir fonctionner convenablement.

Outre la question de la délimitation des zones, déjà évoquée, une autre question difficile est celle de la gestion dans le temps. L’attribution initiale de droits dans les zones émettrices et dans les zones réceptrices doit correspondre à un certain équilibre à un moment donné, de façon à ce que le marché fonctionne, que les vendeurs soient incités à vendre et les acheteurs à acheter.

Mais quelle doit être la dynamique à moyen et long terme du système ? Du côté du vendeur, la parcelle qui a été vidée de son droit de construire est définitivement inconstructible. Alors, au fil du temps, si la demande reste constante ou augmente, une tension va se manifester et le prix des droits s’envoler. Faudra-t-il alors réallouer des droits aux terrains qui en ont été vidés ? Selon quels critères ? Ou alors considérer que l’allocation initiale des droits de construire l’était à titre définitif, au risque de l’envol des prix ? Que faire alors des propriétaires en zone émettrice qui feront de la rétention et spéculeront à la hausse ? Exproprier leurs droits de construire ?

Aucune des expériences analysées ne s’est encore véritablement affrontée à ce problème. Soit que le stock de droits ait été largement dimensionné, soit que la demande ait été surestimée, soit que l’incitation ne soit pas assez forte, soit que le programme soit trop récent, le problème ne s’est pas encore posé de façon aiguë. Il se posera nécessairement, et la réallocation de droits supposera une gestion très fine du mécanisme. En tout état de cause, il importe de définir dès le lancement de l’opération la vision à moyen terme et le processus de réallocation de droits à mettre en œuvre.

Une autre question technique à résoudre est celle de la gestion des droits. Pour que le marché puisse fonctionner, il faut l’intervention d’un organisme qui puisse à tout moment acheter, stocker et vendre des droits. Compte tenu de la spécificité d’un tel marché, des problèmes de discontinuité, il est illusoire de penser qu’il puisse fonctionner d’emblée de manière décentralisée.

Ajoutons pour conclure la nécessité de la pédagogie auprès des propriétaires, émetteurs comme récepteurs. Négocier des droits de construire transférables est une activité qui n’a rien d’évident, elle doit être abondamment expliquée et démontrée pour fonctionner.

Un prix de marché ?

Le prix est-il un prix de marché ? On aimerait pouvoir répondre à la question, en entendant par prix de marché celui qui permet d’ajuster l’offre et la demande dans des conditions d’atomicité, de transparence etc.

Même dans les cas les plus aboutis, le (faible) nombre de transactions et la (courte) durée des séries ne permet pas d’aboutir à des données statistiquement significatives. La seule conclusion ferme que l’on a pu observer est que les prix ont connu une hausse rapide lorsque le mécanisme a commencé à être acclimaté, et une stagnation ou un déclin ensuite. Peut-être le contexte des marchés immobiliers internationaux y est-il pour quelque chose ? Mais aussi le fait que l’acquisition de droits transférables, lorsqu’elle n’est pas obligatoire, constitue une charge et un alourdissement de la procédure que l’on s’efforce d’éviter.

Pour être plus précis sur ce point important, il faudrait être en mesure de faire des analyses fines des marchés locaux pour déterminer le ” prix de marché ” du droit de construire à partir d’un compte à rebours. Partant du prix de marché du produit final, le bâtiment, après déduction des coûts de l’opération, on en déduit le prix maximum qui peut être imputé sur la charge foncière et donc la valeur des droits de construire qui doivent être achetés. On verrait alors probablement que le prix ne s’approche de ce ” prix de marché ” que si l’achat de droits négociables est obligatoire et qu’il n’existe pas d’alternative (zone constructible hors-transfert) à proximité. On retombe donc sur le paradoxe déjà évoqué : ce système de droits négociables ne peut fonctionner convenablement que dans un contexte de planification et de réglementation très strictes de l’usage de l’espace.

On peut enfin aller plus loin sur cette notion de ” vrai prix de marché des droits de construire “. Si cette notion peut avoir un sens à un instant donné, elle apparaît comme un trompe-l’œil dès qu’on en analyse la dynamique : l’allocation des droits de construire résulte d’un mécanisme sociopolitique qui s’impose aux acteurs du marché. Une autorité publique peut fort bien - le cas est fréquent - décider de limiter, voire de geler le développement urbain, avec les conséquences que l’on imagine sur les prix fonciers. A moins d’introduire d’autres mécanismes correctifs, le prix du droit de construire tend alors vers l’infini. Le prix du droit de construire, s’il traduit l’équilibre entre l’offre et la demande à un moment donné, est surdéterminé par la règle d’urbanisme, qui a vocation à évoluer.

Equité et efficacité

Le concept d’équité doit être envisagé à deux niveaux : à l’intérieur du groupe des propriétaires fonciers, et dans l’ensemble de la population d’une zone. Sur le premier point, les droits négociables remplissent une fonction essentielle en l’absence d’un système fiscal adéquat de prélèvement de la plus-value. Le prix d’un terrain étant très dépendant des droits de construire alloués par le zonage, les droits négociables permettent en théorie de corriger l’inégalité induite par le zonage.

Si l’on élargit le concept d’équité à l’ensemble de la population, l’évaluation de la méthode devient problématique, et dépend du concept de droit de propriété retenu et du système fiscal qui permet de le mettre en œuvre. On peut ici opposer deux situations.

Dans certains pays, dont l’Amérique du Nord et l’Europe du Sud-Ouest, il n’existe pas de mécanisme général de récupération des plus-values d’urbanisation et/ou de paiement du droit de construire. La pratique du transfert des droits de construire revient dans un tel cas à répartir la plus-value globale d’urbanisation à l’intérieur du seul groupe des propriétaires fonciers, alors que l’on pourrait imaginer qu’elle revienne à l’ensemble de la collectivité, en particulier lorsque des équipements publics (qui génèrent ces plus-values) sont financés par l’ensemble des contribuables. Introduire les transferts de droits revient donc, en schématisant, à institutionnaliser un transfert des acquéreurs de logements vers les propriétaires fonciers. C’est donc une conception limitée de l’équité, qui peut certes rendre des services dans des cas particuliers, mais qui ne saurait avoir de portée générale dans cette hypothèse. A moins, chose rare, que la propriété foncière ne soit répartie de manière très générale et égale dans l’ensemble de la population.

Les plus-values doivent revenir à la collectivité

Le deuxième type de situation, que l’on rencontre plutôt en Europe du Nord, part du principe que les plus-values d’urbanisation doivent revenir - au moins pour une large part - à la collectivité. Par des méthodes diverses (réserves foncières publiques à long terme en Suède, récupération fiscale au Danemark, monopole des municipalités dans la production, à prix contrôlé, des terrains à bâtir aux Pays-Bas), le mécanisme initial de valorisation du foncier bénéficie pour l’essentiel à la collectivité, pas au propriétaire foncier. La péréquation rendue possible par les droits transférables n’a alors plus lieu d’être.

Nous sommes donc renvoyés une fois encore à la définition et au contenu du droit de propriété, clé du problème. Comme le commente Donald Krueckeberg (Krueckeberg, 1996) ” Property is not just the object of possession or capital in isolation, but a set of relationships between the owner of a thing and everyone’s else claim to the same thing. This understanding of property highlights considerations of distributive justice that are particularly important in light of the issues in the contemporary debate about property rights.

Rights to personal use of property are fundamental to individual and social well being ; rights to profit from property, in contrast, have always been subject to reasonable constraints for the benefit of the entire community and the society. Attempts to establish a contrary case by appealing to natural right, market necessity, liberty, social utility, or just desert all fail to withstand scrutiny. […] These concepts of use rights and profit rights in property are at the heart of the planning question. ”

Quelques conditions

On résumera ici les principales conclusions qui résultent de ce qui précède.

  • La méthode ne peut fonctionner que s’il y a une demande de droits à construire, donc des plus-values à partager, et un plan d’urbanisme autorisant le développement.

  • Des incitations sont nécessaires si le recours au transfert n’est pas obligatoire.

  • Zone(s) réceptrice(s) et zone(s) émettrice(s) doivent être suffisamment vastes pour permettre d’atteindre une masse critique dans le volume des droits à construire échangés.

  • Un organisme ad hoc doit assurer une gestion fine du système, enregistrer les offres et les demandes, suivre leur évolution dans le temps, contrôler l’usage des parcelles devenues inconstructibles, assurer une information transparente sur les prix. Cet organisme doit contribuer à minimiser les coûts de transaction.

  • La collectivité publique (ou un organe ad hoc) doit jouer le rôle de bourse des droits de construire, les stocker, éventuellement en réguler les cours.

  • Le système des droits transférables doit être étroitement harmonisé avec le zonage et ses modifications successives. Ce zonage doit être fermement établi, indépendamment de l’évolution du marché des droits de construire.

  • La mise en route demande de la pédagogie pour un mécanisme qui peut échapper à l’intuition première. La motivation des propriétaires en zone réceptrice est cruciale.

  • La délimitation des zones protégées (zones émettrices) doit être fondée sur des critères clairs et explicites, pour assurer un soutien actif des habitants.

Désenchantement

Tout cela traduit un certain désenchantement par rapport à une méthode dans laquelle certains avaient fondé beaucoup d’espoir. Si, sous certaines conditions, les vertus théoriques de la généralisation des droits de construire négociables paraissent séduisantes, un raisonnement plus précis et les expériences observables paraissent en limiter la portée.

La méthode a permis de résoudre de façon satisfaisante des problèmes particuliers. Le cas le plus adéquat paraît celui de zones très attirantes où les résidents secondaires veulent protéger leur environnement, sans cesser de pouvoir vendre quelques parcelles (ou droits) à bon prix, dans un contexte de forte pression et donc de valorisation foncière. On reconnaîtra par exemple le lac Tahoe en Californie ou le plateau du Praz-de-Lys à Taninges.

Mais la généralisation de cette technique se heurte, outre une série de difficultés techniques et institutionnelles difficiles à résoudre, à des effets redistributifs contestables au plan de l’éthique.

Les seules expériences qui ont véritablement fonctionné sont celles où le mécanisme de droits négociables était étroitement articulé à une planification physique stricte et assez stable dans le temps. Une excessive flexibilité du zonage fait perdre toute sa crédibilité à ce mécanisme.

Pour conclure, nous pouvons laisser la parole à Ann Louise Strong, experte en la matière, qui a manifesté un grand intérêt et un certain optimisme au début de ces programmes. Elle exprime aujourd’hui une position plus réservée : ” Malgré certains résultats encourageants, nous sommes sceptiques sur une utilisation plus générale de cette technique. Elle a conduit à plus de débats que de protection effective. Son application soulève des problèmes juridiques et pratiques. […] Les auteurs soulignent que les exemples “réussis” l’ont été grâce à la réglementation, les transferts de COS ne jouant qu’un rôle d’appoint ” (Strong, Mandelker et Kelly, 1996).

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*Cet article est basé sur des éléments d’une étude effectuée pour l’OCDE dans le cadre de l’atelier ” Les systèmes de permis négociables nationaux pour la gestion de l’environnement : questions et défis “. Le texte qui sera publié par l’OCDE inclut des données relatives aux Etats-Unis et à la Nouvelle-Zélande.

1. cf. Callies, D. (1996) op. cit.

2. cf. Jacobs Harvey M. (1997), Etudes foncières, n° 77, déc. 97.

3. Cf. Charlez in Droits de propriété et environnemnent, Max Falque et Michel Massenet, Dalloz, 1997.

Résultats modestes à Lourmarin

Lourmarin est une charmante commune du Vaucluse, où le ” mitage ” était déjà bien entamé, tant par les résidences principales que par les résidences secondaires. Initié dès la fin des années 1970, le processus, impulsé par la municipalité, a inclus des zones agricoles dans les zones émettrices, ouvrant un conflit durable avec l’administration de l’urbanisme toujours réticente vis-à-vis de cette méthode.

Celle-ci a pourtant fonctionné correctement, sous l’impulsion résolue de la municipalité, qui a initié et constamment fait vivre le ” marché ” des droits de construire… Une ” bourse ” des droits de construire s’est mise en place, animée par la mairie et le notaire de Lourmarin. A ce jour, environ les trois quarts de la densité prévue pour la zone réceptrice ont été utilisés. Mais le prix apparu pour les droits transférables s’est à peu près stabilisé à une valeur de 15 000 F à 20 000 F pour 50 m2 de surface constructible.

Sachant que la densité allouée en zone émettrice s’élève à 50 m2 à l’hectare, le ” prix du droit de construire ” vaut ainsi de 1,5 à 2 F le m2 de surface constructible. On est donc très loin d’avoir compensé l’écart entre prix de la terre agricole et prix du terrain à bâtir, mais ceci a permis, selon l’expression du maire, d’offrir un ” bol d’air ” aux propriétaires de la zone protégée, réputée définitivement inconstructible. Compte tenu de la complexité de la gestion du système et de ses résultats modestes, la municipalité a l’intention de s’en tenir là.

Le Grand-Bornand

Cette station de sports d’hiver, proche de la ville d’Annecy, utilise depuis maintenant dix-huit ans la technique du transfert de COS, qui s’applique systématiquement dans une seule zone, la vallée du Bouchet, sans poser de problème particulier.

Pour inciter à une pleine utilisation des COS autorisés en zone réceptrice, le règlement du POS a introduit récemment l’obligation de transférer, quel que soit le projet, au moins 50 % du total des droits de construire susceptibles d’être utilisés dans la zone. C’est non seulement une incitation à urbaniser d’une façon qui corresponde à la conception du POS, mais aussi une façon de ” stocker ” des droits de construire sur le terrain récepteur de façon à ne pas obliger à recommencer la procédure en cas d’extension ultérieure du projet. Le nombre annuel de transactions portant sur des droits de construire n’a jamais dépassé la demi-douzaine.

La commune s’est beaucoup impliquée à Taninges

Dans ce cas assez ” pur “, il s’agissait d’organiser l’urbanisation du plateau du Praz de Lys, situé à des altitudes comprises entre 1 600 et 2 000 mètres, où le développement des sports d’hiver, en particulier du ski de fond, allait résulter mécaniquement de la construction d’une route rendant ce plateau accessible en voiture.

Pour parer au risque de développement anarchique des constructions, a été élaboré, dès avant la construction de la route, un plan d’urbanisme. Celui-ci déterminait sur l’ensemble du plateau (zone ” protégée en raison de la qualité des paysages “) des zones émettrices de droits de construire (en général dotées d’un droit transférable de 0,035), et des zones réceptrices, effectivement constructibles, avec des droits de construire variant entre 0,10 et 0,30, que les propriétaires peuvent effectivement construire à condition d’avoir acquis des droits complémentaires auprès de propriétaires situés en zone émettrice. On notera que la commune, propriétaire en zone émettrice, s’y est dotée d’un COS transférable de 0,10.

Par exemple, le propriétaire d’une parcelle de 7 000 m2 dans la zone réceptrice à densité 0,2 dispose initialement, avec son droit de 0,035, d’une surface constructible de 7 000 x 0,035, soit 245 ” points “. Pour construire à la densité autorisée de 0,2, il lui faut 7 000 x 0,2 soit 1 400 ” points “. Il doit donc acheter 1 155 points, qui seront prélevés sur 1 155 : 0,035 soit 33 000 m2 de terrain qui deviennent alors définitivement inconstructibles.

Si le système a fonctionné de façon assez convenable, c’est que la commune s’y est beaucoup impliquée, et a amorcé le mouvement en procédant elle-même au premier transfert entre deux terrains communaux, situés respectivement en zone émettrice et en zone réceptrice. Le marché privé s’est ensuite développé, faisant apparaître des prix compris entre 300 F et 500 F par m2 de plancher hors-œuvre. Le montant de l’indemnisation reçu par les propriétaires en zone émettrice, dont les terrains deviennent définitivement inconstructibles, s’élève donc à 10-17 F le m2. Sans être négligeable, ce montant ne représente qu’une part mineure de la valeur des terrains à bâtir dans cette zone. Cette valeur a d’autre part stagné - voire décliné - depuis maintenant quatre ans.

Complexité croissante à La Clusaz

La Clusaz est une station de sports d’hiver de bonne qualité, d’où une pression importante sur le marché foncier et des prix fonciers et immobiliers élevés. Le transfert de droits de construire y a été mis en place en 1983, dans une partie de la commune soumise à forte pression et où un certain développement était envisagé.

Le plan d’urbanisme a attribué un droit de construire de 0,08 sur l’ensemble de la zone. Les propriétaires de terrains situés en zone réceptrice, pour pouvoir construire, doivent posséder un terrain de plus de 700 m2 et acheter des droits de construire à des propriétaires en zone émettrice pour une quantité comprise entre 0,14 et 0,22.

Si on prend l’exemple d’un terrain à bâtir de 800 m2, le droit de construire existant est de 800 x 0,08 = 64 m2 de surface de plancher. Acquisition minimale : 800 x 0,14 = 112 m2 de surface de plancher. Le constructeur doit donc ” vider ” de son droit de construire un terrain de 112 / 0,08, soit 1 400 m2 situé en zone émettrice. Superficies et coefficients ont été déterminés de façon à ce que la capacité émettrice totale soit égale à la capacité réceptrice.

Le mécanisme a fonctionné. Il a permis de faire accepter par les propriétaires des règles d’urbanisme très contrastées. Il a posé par contre des problèmes juridiques épineux. Des recours successifs devant les tribunaux ont pesé sur le développement du système. Et les prix observés n’ont pas correspondu aux attentes, maintenant une différence très importante suivant la constructibilité effective.

Cet exemple manifeste, comme celui des Gets, une grande complexité dans la gestion, avec la multiplication des zones émettrices et des zones réceptrices, et la maintenance du système est très délicate.

Les Gets : une expérience menée depuis vingt ans

La caractéristique de cette expérience, dans une petite commune de montagne, est d’avoir été poursuivie depuis vingt ans, dans des conditions jugées satisfaisantes par la commune. Le plan d’urbanisme a prévu d’assez nombreuses zones émettrices, dotées d’un droit de construire correspondant à une densité de 0,05, avec un rapport des droits de construire d’un tiers en provenance de la zone réceptrice et deux tiers venant de la zone émettrice.

L’amorçage du processus a été lent. Souvent le transfert n’était pas suivi d’effet (projet de construction abandonné). Le nombre de transactions est resté modeste (10 à 20 par an) mais représentait près de 50 % du marché total.

Le ” prix ” des droits de construire, après avoir connu une ascension assez rapide (jusqu’à 50 F par m2 de sol dans la zone émettrice), tend à stagner, voire à régresser depuis quelques années. Son montant reste en toute hypothèse faible par rapport au prix du terrain constructible (250 à 400 F le m2).

L’exemple de la commune des Gets suscite deux commentaires. En premier lieu, l’amorçage du processus a été difficile pour ajuster les offres et les demandes de droits de construire (discontinuités). La solution trouvée a été pragmatique : les notaires ont accepté de jouer le rôle ” d’organisateurs du marché des droits de construire “. Intermédiaires obligés de toutes les transactions, ils font circuler l’information entre vendeurs de droits de construire et demandeurs. Ils ont un rôle clé dans le fonctionnement du système.

La deuxième caractéristique réside dans la perception du mécanisme par les propriétaires fonciers : la pratique est déjà ancienne (vingt ans) et elle a accoutumé les propriétaires de terrains inconstructibles à considérer que leurs terrains ” possédaient ” du droit de construire, quel que soit le sort réservé en définitive à leur développement. Il introduit donc une rigidité, un effet ” cliquet ” dans le zonage.

Enfin la commune a introduit une incitation rendant obligatoire l’acquisition de droits de construire dans la plus grande partie - et la plus attractive - des zones vouées au développement urbain. On retrouve dans cet exemple (qui fonctionne à la satisfaction générale) l’importance du lien entre le zonage et le mécanisme de transfert de droits. Une faible part seulement des droits transférables ayant déjà été utilisée, le problème de la réallocation de nouveaux droits n’est pas encore posé.

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Droit de l’urbanisme en milieu urbain.

Source

Vincent Renard, Etudes foncières, 1999

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