Guédiawaye, ou la face cachée de Dakar
Une zone urbaine en expansion et au maillage administratif complexe
Contrairement à ce que l’on croit de prime d’abord, Dakar n’est pas que la capitale du Sénégal. Suite aux différentes lois sur le découpage administratif et la décentralisation, Dakar est aujourd’hui une région divisée en 3 départements (Dakar, Pikine et Rufisque), 4 villes (Dakar, Pikine, Guédiawaye et Rufisque), 43 communes d’arrondissement et 2 communautés rurales.
La région de Dakar occupe 0,3% du territoire national mais héberge 22% de la population totale du pays, soit 2,2 millions d’habitants. Des 4 villes, c’est Guédiawaye qui a la plus forte densité de population avec 20.029 habitants par km². Depuis les années 1970, Guédiawaye a été le point de chute des populations pauvres évincées du centre ville de Dakar.
Un terrain d’expérimentation pour des programmes de développement
Le Sénégal, et plus particulièrement Dakar, sont très prisés des bailleurs de fonds et des divers acteurs du développement. Ainsi, ONU-Habitat, le programme des Nations Unies spécialisé sur les établissements humains, a choisi le Sénégal et six autres pays comme pilotes pour son action de promotion des Agendas 21 locaux. Guédiawaye a été choisie car le programme s’adressait à des villes moyennes, délaissées à la fois par les investissements nationaux et internationaux.
Une vitalité associative à vocation développementaliste hors du commun
Pas moins de 180 associations étaient répertoriées dans le Bottin social de Guédiawaye en 2005 (60 groupements féminins, 51 associations de développement, 58 groupements d’intérêt économique, 8 associations socio-culturelles, 3 associations d’handicapés) pour 280.000 habitants, soit une association pour 1.500 habitants. A titre comparatif, la France compte 1,1 million d’associations pour 60 millions habitants, soit une association pour 45 habitants, mais principalement dans le secteur des loisirs.
Deux années de concertation…
Voici, en quelques dates, le déroulement de l’agenda 21 de Guédiawaye :
Juin 2004 :Atelier de lancement des agenda 21 locaux à Dakar
Septembre 2004 : Lancement Agenda 21 Local Guediawaye
Séances de travail avec le Comité Partenarial de Développement, sorte de Comité 21 de ville
Travail en ateliers : Contexte socio-économique et environnement ; ressources naturelles et problèmes environnementaux ; rôle des acteurs dans la gestion de l’environnement
Création des Comités 21 d’arrondissement : profil environnementaux d’arrondissement
Enquêtes, entretiens et organisation de groupes de discussions auprès des services techniques des services déconcentrés, des agences locales, des municipalités, des ONG et des Organisations Communautaires de Base.
Mars 2005 : Profil Environnemental
Identification de deux problèmes majeurs :
Atteintes environnementales sur la bande littorale (extraction du sable marin, déboisement, rejet d’ordures non contrôlés), qui affectent tout particulièrement les cités et quartiers planifiés de classes moyennes installés le long du littoral et détruisent peu à peu la forêt de filaos ;
Inondations, qui frappent essentiellement les quartiers plus anciens installés irrégulièrement dans des zones de bas fonds impropres à l’urbanisation.
Juillet 2005 : Consultation de ville
3 jours, 300 participants, choix des priorités et signature du Pacte urbain
Novembre 2005 : Mise en place des Groupes de travail pluri-acteurs ‘Gestion du littoral’ et ‘Inondation des quartiers irréguliers’
Mars 2006 : Mini Forums Stratégie
1 sur le Littoral, 1 sur Inondations et Quartiers irréguliers. Discussion des stratégies d’intervention, identification des pistes de projets d’action
Décembre 2006 : Mini Forums Plans d’Action
1 sur le Littoral, 1 sur Inondations et Quartiers irréguliers. Définition des plans d’action pour des projets démonstratifs
Institutionnalisation comme service municipal (fin 2007)
Projets démonstratifs (en souffrance depuis 2007)
Table Ronde avec les partenaires au développement (en projet depuis 2007)
Les résultats
L’Agenda 21 local, un plan d’action suivi d’actions ?
Il est essentiel de rappeler ici le sens du terme anglophone « agenda » qui signifie plan d’action. L’Agenda 21 local de Guédiawaye a débouché sur la formulation de deux projets dits de démonstration (dans le langage de ONU-Habitat pour qui la priorité n’est pas l’action mais l’aide à l’émergence de politiques publiques innovantes dans le développement urbain) :
Une campagne de nettoyage du littoral, l’aménagement d’une esplanade de loisirs, l’installation d’un pépinière et de jardins pilotes, le tout chiffré à 12.000 US$ (contribution d’ONU Habitat) et 4.000 US$ (contribution de la municipalité). Ce projet n’a pas eu lieu mais un projet alternatif a été financé par la coopération canadienne dans la commune d’arrondissement voisine à hauteur de 12.000 US$.
La mise en place d’un système communautaire de collecte et d’évacuation des ordures ménagères par charrette, dans un quartier de 500 familles environ, à hauteur de 7.500 US$ (contribution d’ONU Habitat) et 4.120 US$ (contribution de la municipalité). Ce projet a été repris par une ONG locale qui a obtenu un financement de la coopération française.
L’agenda 21 local, enfin de la cohérence ou bien un cadre programmatique de plus ?
L’agenda 21 local est supposé être un dispositif global permettant un dialogue pluri-acteurs autour des enjeux de long terme et, surtout, un outil de mise en cohérence des dispositifs existants. Est-ce que cela a été le cas à Guédiawaye ? Il est permis d’en douter, la commune comptant, au moment du lancement de l’Agenda 21, pas moins de trois dispositifs de planification :
Projet de Ville de 1994 : l’ONG Enda / Ville/ Coopération décentralisée / AFVP (Association Française des Volontaires du Progrès). Un agenda 21 local avant l’heure, suivi de réalisation concrètes.
Audit urbain de 1999 et Contrat de ville : ADM (Agence de Développement Municipal du Sénégal / Ville/ PAC (Programme d’Appui aux Communes) / Banque Mondiale/ Une approche centrée sur les infrastructures menée par un bureau d’études.
Plan Local de Développement de 1997 : l’ONG Enda / Comité de Développement Local / Communes d’Arrondissement/USAID. A un niveau territorial proche des populations et porté par les habitants, organisés en Comités de Développement Local.
En outre, l’Agenda 21 se superpose avec des dispositifs de planification répondant aux doux noms de PTIP, PRDI, SRAT, SDAU, PDU, PUR, PUD, PIC et autres PLD, sans parler des programmes sectoriels comme le PPIS, PEDEF, PEDIS, PNAE, PAQPUD, PEPAM, PELT…
Toutefois, on peut noter comme acquis du programme qu’un poste de responsable d’Agenda 21 local a été institutionnalisé au niveau de la commune.
L’Agenda 21 local, enfin de la participation ?
La principale valeur ajoutée de l’Agenda 21 local par rapport aux autres dispositifs de planification locale serait sa démarche participative. A Guédiawaye, cette démarche a été assez réussie du point de vue de la mobilisation : près de 300 personnes lors de la consultation de ville qui a duré trois jours, une trentaine de participants au Comité 21 ville, une cinquantaine par mini-forum et une quinzaine par groupe de travail. La représentation des différentes catégories (élus locaux, associations, services publics, individus) a été assez équilibrée. En revanche, les femmes ont été très minoritaires dans les instances « réduites » de participation que sont les groupes de travail où se dessinent pourtant les stratégies et plans d’actions.
Par ailleurs, la population dans son ensemble a été peu informée du processus, dont les résultats n’ont pas non plus été restitués en fin de programme. Elle n’en a pas non plus constaté d’effets visibles, les projets de « démonstration » ayant eu une portée très limitée.
L’Agenda 21 local, la clé vers les financements internationaux ?
Il est bien connu que cela rassure les bailleurs de fonds d’être en présence d’acteurs locaux disposant de plans de développement locaux cohérents. Mais il n’y a pas pour autant une relation directe de cause à effet entre la conception d’un Agenda 21 local et l’obtention de financements internationaux.
En outre, la capacité de planification est tout à fait distincte de celle de mise en œuvre des actions, avec tout ce qu’implique le recours à des financements externes : obligation de rendre compte selon des canevas et un mode de comptabilité contraignants, procédures, etc.
Ainsi, des besoins en renforcement de capacités et en accompagnement existent encore dans ce domaine.
Quelles leçons pour l’avenir ?
Les processus participatifs du type Agenda 21 sont indispensables pour maintenir un dialogue constant avec la population et rappeler aux décideurs quels sont les enjeux locaux. L’agenda 21 de Guédiawaye a ainsi fait ressortir, lors de débats très animés, l’action des « charretiers » qui viennent prélever du sable sur le littoral, zone écologiquement fragile. Cela montre que l’économie populaire ne peut être comprise du point de vue des stratégies décidées dans les enceintes internationales, que ce soit de la part des chantres de l’économie libérale ou de la part des militants du développement durable et de la participation. Chercher à placer tous ces acteurs dans le cadre formel (déclaration des petits commerces, imposition, respect des normes…) ou les convertir en défenseurs de l’environnement et de la démocratie locale sont, l’un comme l’autre, deux objectifs utopiques si l’on ne prend pas suffisamment le temps de comprendre les mécanismes et les contraintes locales dans lesquels s’insèrent ces acteurs de l’économie populaire.
sustainable development, participation of inhabitants, agenda 21
, Senegal, Guediawaye
Territoires et développement durable : Agendas 21 dans les pays francophones
Les Agendas 21 des villes dans le monde
Enda Europe est une association française représentant l’ONG internationale Enda Tiers Monde (environnement, développement, action) basée au Sénégal qui agit depuis 1972 en Afrique, en Asie et en Amérique Latine pour « Un monde solidaire et en paix, respectueux des droits et de la dignité humaine, de la justice sociale et de la diversité culturelle, où les différentes ressources sont réparties équitablement et gérées dans l’intérêt des générations actuelles et futures ».
La présente fiche est une synthèse d’un document d’analyse très fourni basé sur plusieurs enquêtes de terrain :
Projet de recherche : La petite fabrique locale du développement urbain durable. De la construction programmatique à la mise en œuvre de projets labellisés, une comparaison Nord-Sud des enjeux de la mobilisation dans quatre métropoles : Berlin, Dakar, Marrakech et Toulouse - RAPPORT FINAL - Monographie Guediawaye (Dakar)» dans le cadre du programme D2RT 2005.
Politiques territoriales et développement durable sous la direction de Jean-Jacques GUIBBERT, géographe LISST/CIEU, Université Toulouse Le Mirail, Toulouse, et de Mohamadou ABDOUL, historien, ENDA Diapol, Dakar, 2008, 137 pages.
4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable) - Cité européenne des Récollets, 150 – 154 rue du Faubourg St Martin, 75010 Paris, FRANCE - Tél. : 01 44 64 74 94 - Fax : 01 44 64 72 76 - France - www.association4d.org - contact (@) association4d.org