Un projet de développement social dans l’agglomération grenobloise
Jean-Luc GRAVEN, Pascaline BONNET, Anne-Catherine BERNE
02 / 2010
« On ne peut pas transformer une situation sociale si on ne rend pas les personnes qui la vivent, des actrices de cette transformation. » C’est sur ce constat que se fonde Cause Commune, un projet du Secours Catholique lancé en 2001, à Grenoble, par une équipe de trois animateurs. Son objectif est de susciter et d’accompagner des actions collectives d’habitants dans des quartiers populaires afin qu’ils fassent valoir leurs droits et qu’ils améliorent la vie de leur quartier. Leur projet se concrétise aujourd’hui dans quatre quartiers de l’agglomération grenobloise : Abry et Capuche à Grenoble, Champberton à Saint Martin d’Hères, et le Grand Trou au Péage de Vizille.
Plus généralement, Cause Commune repose sur le pari que le principal moteur de transformation sociale est de faire des habitants des quartiers populaires les acteurs de transformations de leurs conditions d’existence. En effet, concernés directement par les problèmes de leurs quartiers, ils sont les premiers à pouvoir les résoudre. En outre, en suscitant l’expression publique et l’auto-organisation des personnes les plus éloignées des institutions et des prises de décisions politiques, la démarche de Cause Commune reconnaît des compétences chez tous les Hommes et leur égale dignité et contribue à la mise en Ĺ“uvre d’une démocratie effective.
L’équipe n’élabore donc aucun projet de sa propre initiative et ne se pose pas en experte vis-à-vis des habitants. Au contraire, au cours de longs mois, voire de longues années, de contacts de rue, elle tente d’« aller vers » eux, de se faire accueillir et de leur faire prendre conscience de la possibilité qu’ils ont de transformer eux-mêmes leurs conditions d’existence en agissant en lien avec leur environnement. Petit à petit, elle crée des brèches dans la résignation et la peur, très prégnantes dans certains quartiers. Elle suscite l’envie des habitants de se mobiliser, de se regrouper et d’agir ensemble, en se souciant particulièrement de ceux qui sont éloignés de la participation à la vie publique. Elle les aide à identifier leurs problèmes et les motifs de leurs colères (questions de logements ou d’équipements, conflits entre habitants, problèmes de propreté, mauvaises conditions de vie etc.), elle suscite la création de collectifs ou d’associations d’habitants, puis elle les accompagne dans leurs luttes et leurs projets, en privilégiant un mode d’action non violent. Par ailleurs, les animateurs du projet Cause Commune veillent à ne pas se substituer au travail mené par les autres institutions (Centres sociaux, MJC, écoles, associations…). Bien au contraire, ils cherchent à travailler en partenariat avec elles.
Cause Commune est en effet convaincue que l’organisation collective est plus efficace et plus pérenne que l’action individuelle, et qu’elle est nécessaire, notamment dans les quartiers les plus délaissés par les institutions publiques.
Par ailleurs, au-delà des petites victoires et des actions concrètes qu’elle suscite (l’installation de bancs ou de jeux pour les enfants, l’organisation d’une campagne d’affichages pour sensibiliser à la propreté du quartier, l’aménagement d’une placette ou le nettoyage de toutes les montées d’escaliers, la réalisation d’un couscous pour 200 personnes, l’organisation d’une sortie ou d’une fête de quartier, la négociation avec le bailleur pour la réfection de salles de bain vétustes, l’organisation d’un cours pour apprendre le français…), la démarche de développement social permet aux personnes de résister au délitement du lien social, de dialoguer avec leurs élus, de dépasser leurs préjugés, de reprendre confiance en elles, d’apprendre à s’organiser collectivement et au final, d’être plus autonomes et de s’émanciper.
Exemple de l’action menée dans le quartier du Grand Trou
Mais donnons dès maintenant l’exemple du travail de Cause Commune dans un quartier : le Grand Trou. Après cinq années de contacts de rue, Cause Commune a suscité la création d’une association d’habitants : « Ensemble au Grand Trou ». En 2009, cette association s’est donné un premier objectif de travail : l’aménagement des espaces communs extérieurs du quartier par l’auto-construction. La démarche engagée depuis quelques mois a requis une étroite collaboration entre l’association et l’animatrice pour :
Rechercher des adhérents à l’intérieur et à l’extérieur du quartier (plus de 90 personnes ont versé une cotisation, y compris des personnes extérieures au quartier !).
Rechercher des architectes intéressés pour soutenir le projet sur le plan de la conception et de la technique puis animer des temps de concertation entre habitants et architectes pour établir le cahier des charges du projet.
Rencontrer les partenaires institutionnels et politiques pour les informer sur le projet et chercher à obtenir des appuis pour sa réalisation.
Ouvrir l’action de l’association « Ensemble au Grand Trou » vers l’extérieur du quartier, notamment en organisant la fête de la musique en étroite collaboration avec la mairie et d’autres associations, et en s’associant au travail de la marie concernant l’aménagement d’un parc municipal pour mobiliser des jeunes et des mamans, discuter avec les parents lors des sorties d’écoles, participer aux réunions…
Le rôle de Cause Commune au Grand Trou a aussi été de l’ordre de l’aide à la stratégie d’action et de la formation, notamment de la formation des membres du bureau pour rédiger des comptes-rendus, concevoir des affiches et des invitations, mobiliser d’autres habitants, trouver l’appui d’autres partenaires et mettre en place des projets en dehors du quartier.
Par ailleurs, après l’arrêt, faute de participantes régulières, des cours de français qui s’étaient mis en place en 2007, des femmes turques du quartier ont renouvelé leur demande. Cette demande montre leur désir réaffirmé de s’ouvrir vers l’extérieur, désir qui peut être attribué à la présence de certaines femmes leaders désireuses de s’émanciper en travaillant et à la persévérance de l’animatrice pour réveiller leur envie d’agir. Cette démarche va pouvoir être menée grâce à l’apport et la compétence d’une nouvelle bénévole venue rejoindre l’équipe de Cause Commune.
Au sein d’une association telle que le Secours Catholique qui a l’habitude de travailler à partir des besoins des individus en leur apportant une aide matérielle ou une assistance morale, la démarche de Cause Commune est singulière. Parce que ces deux méthodes sont complémentaires, le Secours Catholique souhaiterait que se multiplient les démarches proches de celle de Cause Commune. C’est pourquoi les trois animateurs de Cause Commune organisent des formations au « développement social » et aux méthodes d’animation non formelles auprès d’autres délégations du Secours Catholique et d’autres organisations en France. Enfin, ils travaillent en réseau avec des structures grenobloises et nationales qui mènent le même type de démarches, afin d’échanger sur leurs pratiques et de mener des projets ensemble.
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, France, Grenoble
Cette expérience de huit années de terrain, nourrie par des réflexions théoriques a permis aux trois animateurs, Jean-Luc GRAVEN, Anne-Catherine BERNE, et Pascaline NOVE-JOSSERAND, d’écrire un livre Pédagogie du développement social, faire cause commune, Chronique Sociale, Lyon, 2008, 232 pages.
Original text
Cause Commune (Cause Commune est un projet du Secours Catholique lancé en 2001, à Grenoble, par une équipe de trois animateurs. Son objectif est de susciter et d’accompagner des actions collectives d’habitants dans des quartiers populaires afin qu’ils fassent valoir leurs droits et qu’ils améliorent la vie de leur quartier.) - France - devt-social (@) secours-catholique.9pass.net