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Le droit à l’alimentation dans le contexte de la crise alimentaire

Ester WOLF

12 / 2009

Qui souffre de la faim?

Contrairement à l’opinion généralement répandue selon laquelle la plupart des personnes qui meurent des suites de la faim sont victimes de catastrophes environnementales ou de conflits armés, la majorité des personnes concernées souffre en fait de malnutrition et de sous-alimentation chroniques. Ces dernières provoquent des maladies entraînant fréquemment la mort ou des lésions à long terme. Les mauvaises conditions d’hygiène et les soins de santé insuffisants aggravent cette situation. La majorité des personnes souffrant des conséquences de la faim et de la sous-alimentation vivent dans les régions rurales. Elles travaillent souvent dans des petites exploitations agricoles ou dans des grandes plantations où elles perçoivent des salaires de misère. Bon nombre d’entre elles n’ont pas un accès suffisant à la terre, à l’eau et aux semences. Elles sont d’ailleurs souvent victimes d’expulsions forcées. Les communautés de pêcheurs et les peuples nomades sont également très vulnérables aux violations de leur droit à alimentation. Environ 20% des personnes qui souffrent de la faim et la malnutrition vivent dans les quartiers pauvres des villes. Parmi les groupes vulnérables, ce sont les femmes et filles qui sont les plus souvent touchées par la faim et la sous-alimentation. Ce sont l’exclusion sociale, la corruption et les violations des droits humains qui comptent parmi les causes principales de la faim.

Quels sont les causes de la crise alimentaire de 2008 ?

La crise alimentaire du printemps 2008 n’est pas née d’une pénurie alimentaire soudaine. Elle résulte surtout de mauvaises politiques agricoles et commerciales internationales. Le contrôle des ressources de production et du commerce par une poignée d’entreprises fait souvent obstacle à la réalisation du droit à l’alimentation. Lorsque des entreprises internationales privilégient leurs propres gains aux dépens des droits humains, elles contribuent à alimenter la crise. Autrement dit, le problème n’est pas l’insuffisance de l’offre des aliments, car, depuis 1961, la production céréalière mondiale a triplé alors que la population a « seulement » doublé. L’année 2007 a atteint un record en matière de production de céréales (2,3 milliards de tonnes). Cela représente une hausse de 4% par rapport à l’année précédente. Ce sont les prix élevés qui posent problème : le prix du blé sur les marchés mondiaux a augmenté de 130% entre 2007 et 2008, tandis que le prix du riz a déjà doublé au cours des trois premiers mois de 2008. Environ un milliard de personnes ne sont plus en mesure d’acheter les denrées alimentaires disponibles (1). Alors que de nombreuses personnes ne mangent pas à leur faim, les fonds d’investissement, les grandes entreprises de transformation d’aliments ainsi que les multinationales de semences ou d’engrais chimiques profitent des prix alimentaires à la hausse dans le monde entier. Ainsi, l’entreprise alimentaire internationale Cargill a affiché une croissance des bénéfices de 86% au cours du premier trimestre 2008. Les céréales font désormais l’objet de spéculations. Cela démontre qu’une simple augmentation de la production alimentaire, la « deuxième révolution verte » réclamée par certains, ne représente pas une solution à la crise.

Le concept de révolution verte se base sur l’augmentation de la production grâce à des engrais chimiques, une irrigation abondante, et généralement l’utilisation de semences génétiquement modifiées. Étant donné que ces dernières sont protégées par des brevets, les paysannes et paysans n’ont pas le droit de les réutiliser l’année suivante. Ils sont donc forcés d’acheter de nouvelles semences chaque année. Ainsi, ils deviennent dépendants des entreprises de production de semences et sont menacés de s’endetter. Les graines hybrides comportent des dangers similaires puisqu’elles ne peuvent pas être plantées plus d’une fois. Là aussi, les paysans doivent acheter de nouvelles semences chaque année. Les petites exploitations familiales ne peuvent d’ailleurs pas se permettre d’acheter les engrais chimiques coûteux.

L’exemple de l’Inde

En Inde, la révolution verte n’a pas permis d’éradiquer la faim. Depuis les années 80, ce pays arrive certes à produire un excédent alimentaire et à constituer des réserves nationales d’aliments, mais cela n’empêche pas 221 millions d’Indiens d’être victimes de la faim ou de sous-alimentation (2). Aujourd’hui, en Inde, la faim n’est pas due à une pénurie alimentaire. En 2001, alors que la nourriture pourrissait dans les greniers nationaux de l’État du Rajasthan, des personnes sont mortes de faim dans les régions environnantes. La Cour suprême indienne a reconnu que le droit à l’alimentation s’insère dans le droit à la vie et que les victimes en question ont été privées de ce dernier. Par conséquent, le gouvernement a été obligé de mettre en Ĺ“uvre des programmes concrets (comme par exemple un programme de repas scolaires (3)).

Plusieurs études prouvent que les méthodes de production biologiques des petits paysans et paysannes peuvent être très efficaces et tout à fait adaptées à la lutte contre la faim et la pauvreté dans le monde. Par exemple, une étude menée par l’université du Michigan démontre que l’agriculture écologique permet de produire suffisamment d’aliments pour nourrir la population mondiale (4).

La libéralisation internationale du commerce menace la réalisation du droit à l’alimentation

La mondialisation accorde une influence croissante aux grandes puissances économiques (en particulier aux États-Unis, à l’Union européenne et au Japon), ainsi qu’aux institutions financières internationales et aux entreprises multinationales. Bon nombre de pays industrialisés riches subventionnent leurs agriculteurs, leur permettant de produire leurs aliments à des coûts inférieurs aux coûts de production réels et de les vendre à bas prix sur le marché mondial. En raison de ces importations bon marché de l’étranger, de nombreux petits agriculteurs des pays en développement et des pays seuils n’ont plus la possibilité de vendre leurs produits sur les marchés locaux. En effet, ils ne sont pas en mesure de concurrencer les « prix de dumping », et de nombreuses familles voient leurs moyens de subsistance détruits. Alors que les pays riches protègent leurs propres marchés, ils exercent depuis des années des pressions sur les pays pauvres pour les forcer à ouvrir leurs marchés. Ils s’appuient sur le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale ainsi que les accords bilatéraux et les règles contraignantes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour s’assurer un accès illimité à ces marchés. L’endettement élevé des pays en développement et des pays seuils leur sert de moyen de pression pour arracher à ces pays des concessions en matière de politique commerciale. Par exemple, la Banque mondiale et le FMI poussent les États à mener des programmes d’ajustements structurels. Ces derniers forcent de nombreux pays à supprimer leurs réserves alimentaires, à cultiver des produits destinés à l’exportation et à ouvrir leurs marchés. Dans de nombreux pays en développement, le nombre d’importations de denrées alimentaires est monté en flèche et a partiellement remplacé les produits locaux au cours des dernières années (5). Par conséquent, en temps de crise, les pénuries alimentaires et l’augmentation des prix touchent surtout les pays dépendant des importations.

Que fait la communauté internationale pour lutter contre la faim ?

Lors du Sommet alimentaire mondial en 1996, la communauté internationale a déclaré vouloir réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici à 2015. Or, dans la Déclaration du Millénaire, les gouvernements ont déjà fait un pas en arrière en affirmant vouloir seulement réduire de moitié le pourcentage des personnes touchées. Cela leur semblait plus réaliste au vu de la croissance de la population mondiale. Ils sont pourtant bien loin d’atteindre même ce nouvel objectif. Le nombre de personnes souffrant des conséquences de la faim et de la sous-alimentation a de nouveau augmenté : alors qu’en 2006, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estimait que le nombre de personnes concernées s’élevait à 854 millions, elle le chiffre à 923 millions pour 2007 et estime que la crise alimentaire de 2008 a entraîné une nouvelle augmentation de 40 millions de personnes supplémentaires. Ce sont donc certainement 963 millions de personnes qui sont actuellement sous-alimentées dans le monde, ou même plus puisque la crise économique et financière actuelle a également des conséquences négatives pour les gens les plus démunis de la planète (6).

A l’occasion du Sommet alimentaire mondial organisé par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) en juin 2008, les représentantes et représentants de 181 pays, dont 43 chefs d’État et 100 ministres, se sont rencontrés à Rome pour examiner la crise alimentaire. L’industrie agro-alimentaire a également pu participer activement au sommet. Par contre, les personnes directement touchées par la pénurie alimentaire n’ont pas eu voix au chapitre. Les participants à la conférence de la FAO n’ont pas été en mesure d’adopter des solutions durables. Au contraire, leur appel à une ouverture plus grande des marchés des pays du Sud, à la subvention des importations dans les pays en développement, à la privatisation des greniers de céréales ainsi qu’à une nouvelle révolution verte menace d’exacerber la crise à l’avenir. De leur côté, les organisations non gouvernementales (ONG), les mouvements de paysans et d’autres parties prenantes se sont exprimés à Rome lors du sommet parallèle de la société civile. Dans leur déclaration finale, ils ont mis en garde contre la répétition des erreurs du passé et ont exigé des gouvernements qu’ils assument leurs responsabilités dans la lutte contre la faim et qu’ils réalisent le droit à l’alimentation et garantissent la souveraineté alimentaire des populations.

Selon M. Hafez Ghanem, sous-directeur général de la FAO, « il faudrait un effort mondial considérable et une détermination sans faille ainsi que des actions concrètes pour réduire de 500 millions le nombre de sous-alimentés à l’horizon 2015 » (7). Cela reste douteux, vu le peu d’efforts que la communauté internationale a fait jusqu’à aujourd’hui pour lutter contre les causes de la faim.

1M. Baumann, « Le business meurtrier de la faim », dans Global+ (no. 29), Alliance Sud, été 2008.
2UN Millennium Project 2005. Halving Hunger: It Can Be Done. Task Force on Hunger.
3C. Golay, M. Özden, Le droit à l’alimentation, CETIM 2006, p. 25.
4C. Badgley, J.K. Moghtader, E. Quintero, E. Zakem, M.J. Chappell, K.R. Avilés Vásquez, A. Samulon, and I. Perfecto. 2007. Organic agriculture and the global food supply. Renewable Agriculture and Food Systems 22(2): pp. 86-108.
5A. Paasch (Herausgeber), F. Garbers und T. Hirsch (FIAN), Trade policies and hunger: The impact of trade liberalisation on the Right to Food of rice farming communities in Ghana, Honduras and Indonesia, 2007 Ecumenical Advocacy Alliance, p. 111 ss.
6FAO, Salle de presse, Rome, décembre 2008.
7Ibid.

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