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Les étoiles ne prédisent plus le temps

Les Sayadri font l’expérience du changement climatique depuis 40 ans.

Aparna PALLAVI

12 / 2009

« Ovni zali ka? » (« As-tu transplanté ton paddy ? ») : voici la dernière plaisanterie chez les populations tribales Mahadeo Koli qui vivent dans la région de Bhimashankar du district de Pune (Etat du Maharashtra). Dans la chaîne pluvieuse des Sahyadri (ou Ghâts occidentaux) où la principale culture est le paddy, les pluies, inhabituelles en cette saison, apportées par le cyclone Phyan fin novembre ont entraîné la germination du paddy parfumé Raibhog qui venait d’être récolté. Les récoltes de villages entiers sont devenues impropres à la consommation ou impossibles à utiliser comme semence. Face à la faim et à la perte des stocks de semences, les habitants ne peuvent pas faire grand chose si ce n’est recourir à l’humour.

Comme ailleurs, le changement climatique faisant des ravages parmi les agriculteurs n’a rien de nouveau. Ces 20 dernières années, les résidents d’environ 10 villages Kolis des montagnes occidentales du tehsil d’Ambegaon ont fait l’expérience du changement des conditions climatiques et de son impact. Avec l’aide de l’organisation non gouvernementale Shashwat, les populations tribales de ces villages ont appris à noter leurs observations et à utiliser des termes comme « changement climatique ». Elles disent que de telles notions sont utiles pour donner sens à leur situation difficile.

« Jusque dans les années 70 les précipitations dans la région pouvaient être prévues comme les mouvements d’une horloge », affirme Dhondabai Asawle, la matriarche octogénaire révérée à la fois pour sa profonde connaissance des phénomènes climatiques et pour sa capacité à exprimer ses observations dans la langue de la ville : « Nous planifions nos activités agricoles en fonction du calendrier des nakshatras (étoiles) et jusque mes 40 ans environ, je ne me souviens pas que le calendrier nous aie fait défaut ». Les 27 nakshatra de l’astro-météorologie védique indiquent le temps général pour l’année.

Le vent souffle fort sur les montagnes arides

D’après Dhondabai les précipitations ont commencé à changer suite à des coupures massives d’arbres sur les montagnes par des entrepreneurs de charbon de bois au début des années 70. « Pendant près d’une décennie, ces entrepreneurs ont défriché de larges pans de montagne et fait du charbon à partir du bois dans de grands fourneaux », dit-elle. « Des feux brûlaient nuit et jour sur les montagnes pendant plusieurs mois chaque année ». La déforestation a cessé lorsque, dans les années 90, cinquante villages soutenus par Shashwat ont lancé un mouvement de lutte pour sauver leurs forêts sacrées (devra). Dhawdaji Gawari du village Pimpargani se souvient que deux phénomènes sont apparus immédiatement après que les montagnes aient été dénudées : « Les températures ont grimpé et des vents violents ont commencé à souffler ; les deux étaient mauvais pour nos cultures. »

Peu de temps après, des perturbations dans le cycle des précipitations ont commencé à être ressenties. La communauté en a conservé les enregistrements détaillés. Dhondabai se souvient que pendant toute son enfance et sa jeunesse, les millets étaient semés à Akshaya Tritiya. Ce jour propice du calendrier védique tombant en avril-mai arrivait peu après les petites averses de Kritika Nakshatra. « Les pluies légères mais régulières commençant avec Rohini Nakshatra suivaient peu après. », ajoute-t-elle. « Après le début des pluies, les semis de paddy étaient préparés et transplantés au début de Mruga Nakshatra quand les pluies s’intensifiaient ».

Les anciens disent que c’était comme si le cycle entier des précipitations était fait sur mesure pour les besoins des cultures. Zaoji Gawari explique que les étoiles décrivant les précipitations précoces étaient caractéristiques d’une faible pluie, juste suffisante pour les semis. Alors, les précipitations fortes et régulières arrivaient, nécessaires à la croissance rapide des semis désormais vigoureux, les dernières étoiles prévoyaient la pluie intermittente bonne pour les cultures au moment de la formation des semences. « A Diwali, quand les cultures étaient prêtes pour la récolte, les pluies cessaient d’une coup pour ne plus revenir avant l’année suivante », dit-il.

Après la déforestation, ce cycle a commencé à changer petit à petit : « Chaque année, le début des pluies était retardé d’un jour ou deux. Au milieu des années 80, les pluies de Rohini avaient pratiquement complètement disparues, et nous avons fait les semailles au début de Mruga », dit Dhondabai. « Jusqu’à la fin des années 90 les pluies de Mruga sont restées plus ou moins stables. Puis elles ont aussi commencé à vaciller. »

Sanjay, le fils de Dhondabai qui a reçu une éducation formelle, raconte : « Cette dernière décennie, les pluies ont rapidement reculé. Au début de la décennie, les pluies de Mruga étaient rares. Cette année, le retard phénoménal d’un mois des semailles n’est, pour nous, rien d’autre que l’étape suivante d’un processus en cours depuis 40 ans. » Dhawdaji ajoute : « Ces quatre à cinq dernières années, la mousson a été coupée en deux. Les pluies disparaissent pendant des semaines, parfois un mois entier, après la première averse et reviennent plus tard, continuant souvent pendant la période des récoltes ».

Le changement du cycle des précipitations signifie que chaque année la région reçoit moins d’eau. Les enregistrements des observatoires de Bhimashankar et Dimbhe du département de météorologie confirment ce que les villageois ont noté au fil des décennies. Les précipitations ont diminué de 2.000 mm par an, passant respectivement de 7.000 et 2.500 mm au début des années 90 à 5.000 et 1.500 mm aujourd’hui. Cela a entraîné d’autres changements. « Jusqu’à il y a environ 40 ans, les étés étaient agréablement chauds et les hivers étaient très froids. Maintenant nous avons des étés extrêmement chauds et l’hiver arrive tardivement à la fin du mois de novembre. », dit Goin Pardhi du village Dimbhe.

« Auparavant, l’hiver arrivait peu après la fin de la mousson, mais maintenant il fait à nouveau chaud entre la mousson et le mois de novembre. », ajoute Pardhi. Ce second été a des effets néfastes sur la santé, entraînant des maladies infectieuses jamais vues dans la région, en particulier les infections virales et gastriques. « L’hiver a perdu de son mordant, le brouillard et la rosée diminuant progressivement. », dit Dhondabai.

Moins de rosée signifie moins de nourriture

Le changement dans le cycle des précipitations et la disparition de la rosée, qui maintenait l’humidité du sol en hiver, ont réduit les sources d’alimentation. Les produits alimentaires ont diminué de moitié et des mauvaises récoltes à répétition ont secoué une économie fragile. Les Kolis Mahadeo dépendent traditionnellement d’un ensemble de produits non cultivés, légumineuses, fruits, crabes, poissons et de grandes quantités de lait de leur bétail. Tout cela a aujourd’hui pratiquement disparu.

« Plusieurs variétés de légumineuses comme Chava et Bhokri ont disparu des forêts », dit Dhondabai. « Nous avions l’habitude de récolter des quantités importantes de fruits d’été comme les mangues, le jamun, et toran (karonde, carissa carandus) que nous mangions et vendions, mais nous en trouvons de moins en moins chaque année. Cette année, nous n’avons eu ni fruits ni hirda. » L’herbe médicinale hirda (haritaki, chebulic myroblan) est leur principale source de revenus monétaires.

« Il y a trois ans, quand les pluies ont manqué, de grandes quantités d’herbes ont disparu des forêts », dit Dhondabai. « Une variété dure et épineuse pousse désormais à leur place, mais le bétail ne peut pas s’en nourrir. » La crise du fourrage qui date de plusieurs années a entraîné une vague de morts parmi le bétail. « Les familles qui possédaient 50 à 100 têtes de bétail il y a 30 ans n’ont plus maintenant qu’entre 1 et 5 bêtes », dit-elle.

L’eau est une autre victime. Les innombrables courants pérennes qui étaient ré-alimentés par la rosée post-mousson se sont asséchés rapidement alors que la rosée a disparu des forêts. Les plus âgés parmi les populations tribales disent qu’ils se sentent impuissants face à tous ces changements. « Rien ne va jamais bien », dit Dhondabai, « Auparavant, nous aurions appelé cela la colère des dieux. »

« Ce n’est pas comme si les habitants n’avaient rien fait », affirme Kusum Kamik, militant pour les droits de la forêt et directeur de Shashwat. « Ils se sont battus pour protéger leurs arbustes et les forêts environnantes sacrées, ils ont fait des travaux pour la conservation de l’eau et ont refusé les semences hybrides. La seule chose qui fait défaut, je suppose, est qu’ils soient entendus dans de plus grands forums et que leurs points de vue soient pris au sérieux ».

Key words

climate change, agriculture, influence of climate on agriculture, traditional farming


, India

Notes

Lire l’original en anglais: Stars don’t foretell any more

Traduction: Valérie FERNANDO

Source

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Aparna PALLAVI, « Stars don’t foretell anymore », in Down To Earth, 31 Déc. 2009

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