La Révolution verte a détourné l’attention de l’agriculture indienne de la biodiversité vers une productivité accrue. Avec la modernisation de l’agriculture, les pratiques agricoles et les cultures ont changé, entraînant une perte de la diversité génétique. Pourtant ces variétés étaient par essence plus adaptées aux conditions agricoles locales, plus pratiques économiquement et durables écologiquement que les variétés à haut rendement utilisées aujourd’hui. Elles étaient aussi plus résistantes aux insectes nuisibles, aux maladies, aux sécheresses et aux inondations.
La disponibilité des semences appropriées est extrêmement importante pour l’agriculture car sans semence viable, la survie des foyers ruraux est compromise. La manière dont les agriculteurs obtiennent leurs semences est aussi vieille que l’agriculture et la plupart des petits paysans conservent leurs semences d’une récolte à l’autre. A une époque, l’Inde possédait 200.000 variétés de paddy (riz poussant dans les champs inondés) adaptées aux terres sèches, aux terres humides ou aux eaux plus profondes, tandis que les millets parfumés étaient une culture très répandue, car résistante à la sécheresse, très nourrissante et pouvant être cultivée sur des sols pauvres.
Pourtant, ces systèmes communautaires d’approvisionnement en semences font face à de fortes pressions :
1. Des facteurs tels que les sécheresses, les mauvaises récoltes, les conflits, les conditions difficiles de stockage et la pauvreté rognent les quantités de semences et le nombre de variétés de plantes disponibles pour les agriculteurs.
2. La modernisation de l’agriculture incite les agriculteurs à acheter toujours plus de semences qui remplacent les variétés anciennes locales, lesquelles deviennent de moins en moins accessibles dans de nombreuses communautés.
C’est pourquoi les actions visant à renforcer les systèmes informels d’approvisionnement en semences, la culture et la multiplication des semences sont de plus en plus populaires chez les organisations non gouvernementales (ONG) et les institutions publiques travaillant dans ce domaine. Les banques de semences communautaires sont une des méthodes importantes qui assurent la sécurité des semences et préservent l’agro-biodiversité. Elles représentent aussi une protection contre la pollution et l’épuisement de l’eau, la monoculture et l’endettement des paysans, principaux effets négatifs des variétés à haut rendement obtenues par génie génétique et exigeant de fortes doses de pesticides.
Fonctionnement des banques de semences communautaires
Les banques de semences communautaires stockent généralement les semences d’un large éventail d’individus, de groupes informels et d’ONG qui les partagent entre eux. Les semences proviennent principalement de la production des participants sans contrôle de qualité formel, mais avec un processus de sélection individuel et des compétences en maniement. Plus récemment, des banques de semences communautaires ont été mises en place en partenariat avec le secteur formel, principalement des instituts de recherche.
Les banques de semences sont une forme de stockage et de diversification qui améliore la capacité des agriculteurs à faire face aux pressions économiques et environnementales en cultivant plusieurs variétés adaptées à diverses conditions environnementales. Elles facilitent l’accès des paysans aux marchés et leur donne plus de choix dans leurs cultures. Les banques de semences permettent aux villages tribaux d’être moins dépendants des variétés à haut rendement et des intrants coûteux tels que les engrais et les pesticides.
Traditionnellement, la conservation des semences revient aux femmes, qui disposent d’un grand savoir sur les semences et jouent un rôle important dans la préservation de la diversité au niveau de l’exploitation : elles décident de la quantité de semences à stocker, de la sélection des variétés et des diverses manières de les conserver.
La plupart des semences stockées dans les banques communautaires sont génératrices, mais on trouve aussi des semences végétatives telles que la pomme de terre, la patate douce, l’igname et le manioc. Le transfert des semences entre les individus, les foyers et la banque implique de nombreux mécanismes d’échange principalement informels comme la foire aux semences, les prêts de semence, le troc et les transferts fondés sur des obligations sociales, mais aussi l’achat et la vente monétaires.
Les systèmes de savoir indigènes
Les populations indigènes et les communautés locales détiennent un savoir traditionnel sur l’utilisation de la biodiversité pour la sécurité alimentaire et la santé communautaire. Le développement et l’adaptation des plantes et des cultures à différentes conditions écologiques telles que les sols, les précipitations, les températures, l’altitude et la satisfaction des besoins spécifiques aux communautés en matière nutritionnelle, médicale, culturelle et spirituelle sont le produit du savoir traditionnel. Ce savoir mobilise des observations sophistiquées et complexes et une compréhension des propriétés des organismes vivants et de leurs interactions avec tous les éléments des écosystèmes locaux.
Les populations indigènes, les communautés locales et les paysans pratiquent et conservent le savoir traditionnel à travers des pratiques dynamiques de stockage et d’échange des semences, qui permettent une innovation constante dans la culture des plantes. Les paysans sont riches de nombreuses informations. Plutôt que d’imposer des méthodes, connaissances et informations aux agriculteurs, il est important de les écouter. Dans les exploitations des paysans, les scientifiques découvrent un laboratoire vivant et dynamique de l’immense diversité biologiques.
Afin d’exploiter le savoir indigène, les ONG ont introduit des programmes de gestion participative de l’agro-biodiversité qui prennent en compte ce savoir dans les activités de préservation. Deux organisations du Sud de l’Inde, la Green Foundation (Fondation verte) et la Deccan Development Society (Société pour le Développement du Deccan) ont fait un travail remarquable sur les banques de semences communautaires.
La Green Foundation
La Green Foundation est une organisation communautaire qui travaille depuis les années 90 avec environ 4.200 foyers de petits paysans sur 109 villages dans le bloc de Thally (district de Dharmapuri au Tamil Nadu) et dans le taluk de Kanakpura (district de Ramanagara au Karnataka). Elle vise à préserver et promouvoir l’agro-biodiversité dans ces régions en conservant les semences des variétés indigènes des plantes. La fondation a introduit le concept de banques de semences communautaires en partenariat avec d’autres organisations travaillant sur le terrain avec les communautés de petits agriculteurs où ils ont pu conserver, emprunter, prêter et multiplier leurs semences.
D’après le Dr. Vanaja RAMPRASAD, la banque de semences n’est pas une simple remise où les semences sont conservées pour être distribuées ou commercialisées ou un lieu de stockage sophistiqué dont la température et l’humidité sont contrôlés. C’est une stratégie d’auto-assistance importante pour maintenir la diversité génétique des cultures et des espèces dans les exploitations agricoles. C’est aussi un système dans le processus de l’agriculture communautaire qui inclut des infrastructures au niveau villageois et un jardin ou un champ où les variétés traditionnelles sont préservées. Grâce à ce système, les agriculteurs jouent un rôle clé dans la création, le maintien et la promotion de la diversité génétique. Ils ont développé un savoir–faire pour répondre à des besoins spécifiques comme la qualité des semences, la résistance aux insectes ravageurs et aux maladies, l’adaptabilité aux sols, aux précipitations, au climat, etc. Ils ont établi leur propre réseau de semences afin de faciliter l’approvisionnement des familles et des marchés locaux.
Les semences sont données gratuitement aux membres des banques. Toute personne de la communauté peut devenir membre en payant une taxe annuelle nominale. Ils sèment les semences, font la récolte puis redonnent aux banques le double de la quantité de semences reçues afin de réapprovisionner les stocks. La banque de semence travaille sur le traitement des semences, leur sélection, le maintien des enregistrements des besoins, et la planification pour la saison prochaine.
Les banques de semences sont gérées par les groupes de femmes qui disposent des compétences pour sélectionner les semences, les stocker et maintenir la germination à un niveau qui améliore leurs performances. Le travail des femmes implique la cartographie des semences qui consiste à réunir les informations sur les variétés en voie d’extinction ou tombées dans l’oubli et à en collecter de petites quantités. La fondation les multiplie en les faisant pousser sur de petites parcelles et en mettant en place des banques de semences.
Parmi les diverses méthodes adoptées par la Green Foundation, la conservation in situ implique la distribution contrôlée de diverses semences aux paysans en utilisant des cartes qui sont collectées après la saison. Le registre des banques de semences, les cartes de contrôle et la liste des paysans font partie de l’activité de conservation. Le paysan est encouragé à mettre de côté une partie de son approvisionnement en semences pour le semis, les échanges entre paysans et la vente sur le marché.
La Green Foundation organise aussi des foires, des « voyages de semences », et des expositions où les agriculteurs interagissent, prennent conscience de la nécessité de conserver l’agro-biodiversité et échangent des semences.
La Deccan Development Society
La Deccan Development Society (société de développement du Deccan, DDS) travaille avec des associations de volontaires de femmes, principalement des travailleuses agricoles intouchables de 60 villages pauvres du district de Medak en Andhra Pradesh. Le projet de banque de gènes communautaires initié par la société considère que le commerce de semences offrira à ces femmes l’occasion d’entrer sur le marché une fois qu’elles produiront de bonnes semences. DDS compte sur l’émergence d’un nouveau contexte où les produits agricoles biologiques (non hybrides) seront très demandés. Cela se fera au bénéfice des femmes qui cultivent des plantes traditionnelles sans produits chimiques.
Trois initiatives principales ont été entreprises par la société dans le cadre de ce projet : un système de distribution public alternatif ou « Fonds de Grains Communautaires » ; le développement à grande échelle des terres à l’abandon ; et la culture de semences traditionnelles avec l’établissement de banques de semences décentralisées au niveau des villages appelées « Fonds de Gènes Communautaire ».
Le projet de fonds de gènes communautaire identifie 12 hectares de terres par village pour cultiver des plantes traditionnelles en vue d’en faire des semences. Les terres sont sélectionnées par l’assemblée villageoise (sangam) selon les critères suivants :
• le niveau de pauvreté des femmes qui possèdent la terre et leur engagement à cultiver des plantes traditionnelles
• l’adaptabilité de la terre pour la culture de plantes traditionnelles comme semences
Une fois que les terres ont été sélectionnées, un montant de 2.500 roupies est accordé à chaque paysan pour couvrir ses dépenses pour le labourage, l’achat et l’application de fumier, le paillage et la récolte. C’est un investissement d’une seule fois qui est couvert par les semences qui seront stockées dans le village. Elles serviront de banque de gènes in situ afin d’aider les autres paysans à faire pousser des cultures traditionnelles.
Le projet de banque de gènes communautaire vise à :
promouvoir la biodiversité des cultures dans une région
créer une banque de gènes in situ
développer un réseau de distribution de semences pour les variétés locales et assurer la réémergence de ces variétés
assurer un filet de sécurité aux femmes qui dépendent de l’agriculture de subsistance et leur donner les moyens de réclamer leurs terres non productives
permettre aux groupes de femmes de développer leur savoir-faire, leurs capacités de gestion, de devenir des entrepreneurs de semences et d’entrer dans l’agro-business.
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, India
L’agriculture paysanne en Inde
L’original en anglais: Community Seed Banks in India
A lire:
« Community gene banking and on-farm conservation in India », Farmers’ Rights
P.V. SATHEESH, « Genes, gender and biodiversity: Deccan Development Society’s community genebanks », The International Development Research Centre
Original text
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