Un district du Maharashtra fait revivre d’anciennes pratiques agricoles et fait face à la sécheresse.
11 / 2009
« Lorsque j’étais enfant, à chaque fois que je disparaissais, ma mère venait me chercher dans le pata », dit Lalitabai Meshram en riant aux éclats. « Mes amis et moi-même jouions dans l’enchevêtrement des vignes pendant des heures, confectionnant des poupée avec l’enveloppe et les fibres du maïs, mangeant des cacahouètes, des haricots et du melon waluk. Parfois je m’endormais là », se souvient Meshram, aujourd’hui âgée de plus de 50 ans.
L’année dernière, près de quarante ans plus tard, elle a aménagé un pata dans son exploitation familiale de 4 acres (1,6 hectares), dans le village de Mendhala du district Yavatmal au Maharashtra. Il forme comme une oasis au milieu des exploitations de coton et de soja : les feuilles de vigne aux longs haricots (barbati) grimpant le long des hautes plantes de sorgho, parsemées d’okra, les clochettes rose pâle des fleurs de sésame et les melons waluk suspendus exhalant leur arôme musqué. Le pata remplit désormais le panier de la ménagère de la famille Meshram.
La petite parcelle de légumes a redonné la joie qui avait disparu de l’activité agricole, dit Meshram. L’agriculture dans la région du Vidarbha au Maharashtra est devenue synonyme de mauvaises récoltes à répétition, d’attaques d’insectes ravageurs, de prêts en cascade et de suicides. Meshram est l’une des 4.000 femmes paysannes qui se sont réunies pour faire renaître la pratique du pata à Yavatmal, au cœur de la crise agricole du Vidarbha.
Traditionnellement, le pata correspond à l’espace réservé aux femmes dans l’exploitation agricole. Les femmes cultivaient entre les cultures principales telles que le blé, le sorgho et les pois de petites bandes de terre avec des légumes, des fruits et des épices. Elles les entretenaient et les récoltaient en fonction des besoins de la famille.
« A midi ou le soir, avant de rentrer à la maison, ma mère allait au pata et cueillait les légumes pour le prochain repas ou prenait quelque chose en guise d’en-cas », se souvient Punjabai Bhagat, une soixantenaire du village de Godhani. Les personnes travaillant dans les champs pouvaient toujours dénicher quelque chose à grignoter dans le pata. Généralement, ajoute-t-elle, le pata remplissait les plats familiaux de fruits et de légumes frais pendant huit mois de l’année, et de légumes sec et graines oléagineuses pendant toute l’année. Les récoltes dépendaient des saisons. Le pata assurait la diversité nutritionnelle, dit Bhagat.
C’était il y a des décennies. « La pratique a disparu avec la Révolution verte et la commercialisation de l’agriculture », dit Vijaya Tulsiwar dont l’organisation non gouvernemental Dilasa se concentre sur la renaissance du savoir et des pratiques agricoles traditionnelles à Yavatmal. Une étude de Dilasa de 2005 montre que seules 15 familles du district pratiquaient encore la culture du pata.
« Trois des 260 foyers de mon village et du village voisin de Lalguda avaient des pata », dit Satibai Kumre de Mahadpur, un village tribal. « Ils s’en sont toujours bien sortis malgré la sécheresse ou l’augmentation des prix de l’alimentation. Cela nous a incité à créer notre propre pata. » Les femmes des villages de Lalguda et de Mahadapur ont été les premières à faire revivre la pratique dans la région.
« Nous n’avions pas de semences. Les trois familles réunies, nous avions sept variétés de semences, contre les 16 à 18 variétés que les femmes semaient dans leur pata », dit Kumre. Et il y avait un autre problème, le manque de terres.
La monoculture commerciale des dernières décennies a usurpé l’espace traditionnel réservé aux femmes dans l’agriculture. « La plupart des agriculteurs de cette région, avec une exploitation moyenne de deux acres, refusaient de réserver des parcelles aux pata par crainte de perdre des revenus monétaires », ajoute Kumre.
Tulsiwar a organisé des réunions avec des femmes paysannes dans 31 villages du tehsil de Jhari Jamni. Les femmes ont mis en commun les réserves de semences disponibles, que l’ONG de Tulsiwar a acheté et multiplié en 2006-07 en les plantant sur des pata existant et sur les 5 acres de sa pépinière.
Pour répondre au manque de terres, les femmes ont conclu des accords avec les hommes de leurs familles : trois sillons sur des exploitations de deux acres étaient considérés comme une taille idéale pour un pata. « Trois sillons représentent 2-3% d’une exploitation de 2 acres. Les agriculteurs n’ont plus d’inquiétude sur le fait de perdre des revenus », dit Tulsiwar. Après beaucoup de préparation, 750 femmes de ce village ont planté 11 variétés de cultures sur leur pata lors de la saison kharif l’année dernière. Meshram était l’une d’elles.
Les pata ont produit en quantité
Initialement, l’expérience n’inspirait pas une grande confiance aux femmes. « Les pata semblaient trop petits pour subvenir aux besoins de la famille même pour un mois », dit Tusiwar. Mais le résultat a été spectaculaire.
« Nous n’avons rien dépensé en légumes entre les mois de juillet et novembre », dit Sugandha Atram de Lalguda. « Nous avons mangé plus de légumes pendant ces quatre mois que pendant des années », dit-elle. En plus de l’okra, de la courge amère, de la courge serpent et des haricots, Atram a récolté 15 kg de lentilles moong, 11 kg de lentilles urad, et 6 kg de lentilles moth. Kumre a récolté un poids record de 50 kg de moong, 30 kg de pois « pigeon » et 350 épis de maïs.
La renaissance des pata a permis aux femmes de faire revivre des mets traditionnels comme les til ka laddu, fait de graines de sésame, et le jowar lahya, fait de graines de sorgho. Avec l’évolution des pratiques agricoles, la culture du sésame, riche source de calcium, avait décliné et les variétés indigènes de sorgho, moti-tura, avaient pratiquement disparu. Leur consommation était réservée aux rituels festifs en raison de leur coût exorbitant. Mais l’année dernière, presque toutes les familles du village ont récolté 4 à 5 kilos de graines de sésame et de sorgho, dit Atram. « Nous avons fait durer les laddu tout l’hiver », dit-elle.
Les femmes de Lalguda et de Mahadapur estiment que les pata les ont aidé à économiser 3.000 à 5.000 roupies l’année dernière. Plus que cela, ils leur ont offert une alimentation et une nutrition variées. « Il y a du bonheur quand il y a à manger en abondance », commente Atram.
Et la production principale n’a pas été affectée par la diversion des terres pour les pata, dit Maroti Marekar du village Godhani. « Ce que l’on a perdu en surface a été un gain en termes de réduction des insectes ravageurs », dit-il. Maroti et sa femme Ujjwala ont planté des soucis sur leurs pata : la plante agit comme un piège à insectes. « Cela nous fournit aussi de l’engrais et du compost ».
Suite à cette réussite initiale, Tulsiwar a distribué 4.000 paquets d’un mélange de semences dans 180 villages en juillet pour la saison kharif. Près de 8.000 pata ont été cultivés à travers le district. L’insuffisance des précipitations en début de saison a abîmé la récolte de légumineuses mais les femmes ont récolté de bonnes quantités de légumes. Les récoltes de sorgho, maïs et sésame ont également été bonnes.
Ceux qui ont aménagé des pata l’année dernière les ont agrandi cette année. Satibai, par exemple, a planté trois pata cette année, avec le soutien total de son mari qui s’était inquiété pendant la période d’essai.
« Cela fait du bien », dit-il. « Cela procure de l’ombre à l’exploitation et il y a suffisamment de légumes à manger. Ma fille et ses amis vont désormais jouer dans le pata. Cela apporte de la joie ».
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, India
Lire l’original en anglais : Women grow food basket
Traduction : Valérie FERNANDO
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Aparna PALLAVI,« Women grow food basket », Down To Earth, 30 Nov 2009
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