2008
Il faut démystifier la propagande sur les supposés avantages des agrocombustibles. Le concept d’énergie « renouvelable » doit être débattu à partir d’une vision plus large qui prend en considération les effets négatifs de ces sources.
La production d’éthanol à partir de la canne à sucre et du maïs
Dans le cas de l’éthanol produit à partir de la canne à sucre, la culture et le traitement de la canne polluent le sol et les sources d’eau potable, car ils utilisent une grande quantité de produits chimiques. Chaque litre d’éthanol produit dans l’usine, en circuit fermé, consomme près de 12 litres d’eau. Cette quantité n’inclut pas l’eau utilisée dans la culture dont la consommation est plus importante pour les monocultures irriguées. La production d’agroénergie représente donc un risque d’insuffisance importante des sources naturelles et terrains aquifères.
Le processus de distillation de l’éthanol produit un résidu appelé vinasse. Pour chaque litre d’éthanol produit, 10 à 13 litres de vinasse sont obtenus. Une partie de la vinasse peut être utilisée comme engrais, si on la dilue dans l’eau. Toutefois, des chercheurs nous mettent en garde sur le fait que cette substance contamine les rivières et les sources d’eau souterraines. Si la production annuelle d’éthanol au Brésil est de 17 milliards de litres, cela signifie qu’au moins 170 milliards de litres de vinasse sont déposés dans les régions des cannaies.
Le brûlage de la canne sert à faciliter le travail de la récolte, et bien sûr, lorsque la canne brûlée est coupée, la main d’œuvre est moins chère. Toutefois, cette pratique détruit une grande partie des microorganismes du sol, elle pollue l’air et entraîne des maladies respiratoires. Le traitement de la canne dans les usines pollue également l’air avec le brûlage du marc, qui produit de la suie et une épaisse fumée. L’institut national de Recherches spatiales a décrété l’état d’alerte dans la région des cannaies à São Paulo (plus grand producteur de canne à sucre du pays) car les brûlages ont entraîné une chute de l’humidité dans l’air qui se situe entre 13 et 15 %.
Outre la dégradation environnementale et l’utilisation inappropriée des ressources naturelles, la monoculture de la canne à sucre prédomine sur quelques-unes des meilleures terres cultivables au Brésil. L’expansion de cette monoculture mènera à la substitution de terres productrices d’aliments au profit de la production d’énergie, en visant tout particulièrement le profit. Au Brésil, la production de canne à sucre a envahi des zones concernées par l’accord de la Réforme agraire, de communautés traditionnelles et d’autres secteurs de l’agrobusiness, comme celui de l’élevage.
Dans le cas de la production d’éthanol à partir de maïs, le problème principal réside dans le risque que ce projet représente pour la souveraineté alimentaire. La différence par rapport à d’autres cultures repose sur le fait que le maïs est une des principales graines formant la base de l’alimentation de l’homme et son utilisation comme combustible va conduire à une augmentation du prix de plusieurs produits.
Récemment, le gouvernement des États-Unis a annoncé qu’il souhaitait remplacer 20 % de la consommation d’essence par de l’éthanol. Actuellement, le maïs est la base de la production d’éthanol aux États-Unis. Le but du gouvernement Bush est d’atteindre une production annuelle de 132 milliards de litres d’éthanol d’ici à 2017. Pour cela, les États-Unis (plus grand producteur de maïs au monde) devraient utiliser toute leur production actuelle (268 millions de tonnes de maïs) et devraient encore importer près de 110 millions de tonnes, ce qui équivaut au total de la production annuelle de maïs au Brésil.
En 2006, le prix du maïs sur le marché mondial a subi une augmentation de 80 %. Au Mexique, l’augmentation des exportations de maïs pour approvisionner le marché d’éthanol aux États-Unis a entraîné une augmentation de 100 % sur le prix des tortillas, qui représentent la principale source d’alimentation de la population. En Chine, pour se protéger des problèmes d’approvisionnement, le gouvernement a interdit la production d’éthanol à partir du maïs.
Dans l’édition de mars 2007 de la revue Globo Rural, on peut lire dans un article que : « Au niveau mondial, la culture du maïs devra s’étendre sur les terres du soja, du blé et du coton, ce qui entraînera une hausse importante du prix de ces produits avec un véritable effet domino. Les prix du blé et du riz ont déjà augmenté, car la demande de ces céréales augmente dans la mesure où la population recherche des alternatives pour remplacer le maïs.
Le prix élevé du maïs va également affecter le coût de l’élevage des volailles, des bovins et des cochons, car il représente 75 % de toutes les graines utilisées pour nourrir les animaux. Cela pourrait entraîner une augmentation du prix des produits dérivés comme le lait, les œufs, le fromage et le beurre, etc. Selon le directeur de l’Union brésilienne de l’aviculture, Clóvis Puperi, « aucune céréale ne pourrait remplacer rapidement le maïs sans causer un séisme sur le marché ».
La quantité élevée d’eau utilisée dans la production de maïs représente une autre menace. Selon le professeur Pimentel, de l’Université de Cornell à New York, pour chaque kilo de maïs produit, 1 500 litres d’eau sont utilisés. Et pour produire un litre d’éthanol à base de maïs, il faut 1 200 à 3 600 litres d’eau. De plus, les usines fonctionnement au charbon ou au gaz, ce qui entraîne une plus grande émission de gaz carbonique dans l’atmosphère.
La production de diesel végétal à partir de soja et d’huile de palme
Pour ce qui est du soja, les estimations les plus optimistes indiquent que le solde d’énergie renouvelable produit pour chaque unité d’énergie fossile dépensé en culture est de 0,4 unités. Cela est dû à la grande consommation de pétrole utilisé dans les engrais et dans les machines agricoles. Outre cela, l’expansion du soja a causé d’énormes dégâts dans les forêts et le Cerrado (ou savanes), en détruisant la biodiversité dans plusieurs pays, y compris le Brésil.
Malgré tout, le soja est présenté par le gouvernent brésilien comme la principale culture pour l’agrodiesel, le Brésil étant un des plus grands producteurs au monde. « La culture du soja est le joyau de la couronne de l’agrobusiness brésilien. Le soja peut être considéré comme le garant de l’ouverture de marchés des biocombustibles », affirment les chercheurs de la Embrapa – Entreprise brésilienne de recherche agronomique.
Le gouvernement estime que plus de 90 millions d’hectares de terres brésiliennes pourraient être utilisés pour produire des agrocombustibles. Rien qu’en Amazonie, il serait possible de cultiver 70 millions d’hectares de palmiers à huile (huile de palme). Ce produit est connu comme étant le « carburant de la déforestation ». Sa production a déjà causé de graves dégâts dans les grandes étendues de forêts en Colombie, en Équateur et en Indonésie. En Malaisie, plus grand producteur au monde d’huile de palme, 87 % des forêts ont été dévastées. En Indonésie, le gouvernement veut étendre la production d’huile de palme sur 16,5 millions d’hectares, ce qui peut conduire à la destruction de 98 % des forêts. Plusieurs organisations environnementales nous alertent sur le fait que l’expansion des monocultures dans des zones de forêts représente un risque beaucoup plus important pour le réchauffement climatique que les émissions de gaz carbonique provenant des combustibles fossiles.
Outre la destruction des terres agricoles et des forêts, d’autres effets polluants sont à prendre en considération dans ce processus, telle que la construction de l’infrastructure du transport et de l’armement, qui demandent une grande quantité d’énergie. Il faudrait également augmenter l’utilisation des machines agricoles, des intrants (engrais et pesticides) et l’irrigation afin de garantir l’augmentation de la production. Dans le cas de l’huile de palme, une étude de l’institut Delft Hydraulics a mis au jour que chaque tonne produite représentait 33 tonnes en émissions de dioxyde de carbone. Ce combustible végétal pollue donc 10 fois plus que le diesel classique.
La production de biodiesel à partir du ricin et du Jatropha curcas
Le Programme brésilien de biodiesel inclut le ricin et le Jatropha curcas comme de possibles cultures pour la production d’agroénergie, en faisant appel principalement à de petits agriculteurs. Toutefois, il y a de sérieux doutes quant à la viabilité de ces projets. Selon des analystes, le ricin est économiquement plus viable pour d’autres fins, comme la production d’huile lubrifiante pour le secteur de l’aviation et pour les voitures hautement performantes.
Concernant le Jatropha curcas, des chercheurs de la Embrapa nous alertent sur le fait qu’il n’existe aucune connaissance technique fiable qui garantisse la viabilité de la production de cette culture en volume suffisant pour le Programme de biodiesel. Ils affirment qu’une « grande partie des informations divulguées sur la culture provient de sources peu fiables, principalement d’Internet et de sites d’entreprises privées, où les avantages de la plante sont mis en valeur ». Et d’ajouter qu’il « n’existe pas de cultures assez bien établies (avec au moins cinq ans) qui puissent confirmer leur productivité et leur rentabilité. Que ce soit au Brésil ou dans d’autres pays, aucun rapport d’expériences avec validité scientifique de longue durée n’a été trouvé ».
La production de biomasse à partir de matériel cellulosique
De nouvelles recherches veulent introduire sur le marché mondial la dénommée « seconde génération » d’agrocombustibles, développée à partir de matériel cellulosique, qui serait disponible dans environ 10 ans. Pour cela, l’on fait croire que les agrocombustibles produits à partir de sources d’aliment seraient substitués rapidement, en éloignant le risque d’impact sur la sécurité et la souveraineté alimentaire. Toutefois, si l’actuel rythme d’expansion des cultures de maïs, de canne à sucre, de soja et de palme (qui actuellement sont les matières premières principales pour les agrocombustibles) se maintient, dans 10 ans l’impact sera significatif.
Selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (International Food Policy research institute), le prix des aliments peut augmenter de 20 à 33 % d’ici à 2010 et de 26 à 135 % d’ici à 2020, si l’expansion actuelle de la production des agrocombustibles se maintient. Selon la FAO, aujourd’hui, près de 824 millions de personnes n’ont pas accès à une bonne alimentation. Ce nombre peut atteindre 1,2 milliard à cause de l’augmentation du prix des denrées alimentaires.
Autre mythe concernant les agrocombustibles cellulosiques : ceux-ci n’utiliseraient pas de terres agricoles et les résidus organiques des propres cultures de maïs, de canne, etc., seraient mis à profit. Tout d’abord, ce que l’on appelle communément résidus organiques, ce sont les engrais naturels qui servent à nourrir et protéger le sol. Si cette matière est utilisée à d’autres fins, il faudrait utiliser des engrais chimiques à base de pétrole, ce qui annulerait les effets positifs sur le réchauffement climatique.
La biomasse à partir de matériel cellulosique est développée principalement à travers des espèces génétiquement modifiées d’arbres, qui représentent un risque important de contamination d’autres cultures, car il est pratiquement impossible de contrôler leur pollinisation, outre le risque d’extension de ces cultures dans les forêts.
Agrocombustibles transgéniques
Les entreprises d’organismes génétiquement modifiés, ou transgéniques, ont développé des types de cultures non comestibles, uniquement pour la production d’agroénergie. Comme il n’existe aucun moyen d’éviter la contamination par transgéniques des cultures endémiques, cette pratique met en péril la production d’aliments et peut aggraver le problème de la faim dans le monde.
Aux États-Unis, la production d’éthanol est déjà faite à partir d’un type de maïs transgénique, non comestible. Les agriculteurs eux-mêmes admettent qu’il n’existe aucun moyen de contrôler la contamination. Ils cultivent en même temps du maïs pour éthanol et pour la consommation humaine.
L’expansion de la production d’agroénergie est importante pour les entreprises d’organismes génétiquement modifiés comme Monsanto, Syngenta, Dupont, Dow, Basf et Bayer, qui espèrent être mieux acceptés par le public s’ils présentent les produits transgéniques comme des sources d’énergie « propre ».
Au Brésil, le groupe Votorantin a mis au point une technologie pour la production de canne transgénique pour la production d’éthanol, par le biais de deux entreprises, Alellyx et CanaVialis, qui ont récemment signé un contrat de partenariat avec Monsanto. Cet accord permettra à Alellyx et à CanaVialis d’avoir accès à des gênes de soja et de coton transgéniques développés par Monsanto, pour appliquer cette technologie aux recherches sur la canne à sucre transgénique.
agrofuel, agriculture and environment, soils pollution, energy production, food sovereignty
L’agroénergie : mythes et impacts en Amérique latine
Traduit en français par Elisabeth Teixeira (babethteixeira (at) yahoo.fr)
Les textes de ce dossier sont le résultat du séminaire sur l’expansion de l’industrie de la canne à sucre en Amérique Latine, qui a eu lieu à São Paulo, au Brésil, du 26 au 28 février 2007.
Ce dossier est aussi disponible en anglais, espagnol et portugais.
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