Un bateau-mère, c’est le nom donné au Sénégal à un navire de pêche, battant pavillon étranger, généralement européen (portugais) ou asiatique (coréen) qui embarque un certain nombre de pêcheurs avec leurs pirogues. Un bateau-mère également appelé bateau-ramasseur, peut embarquer une quarantaine de pirogues et environ 250 pêcheurs à la fois, sans compter la trentaine de matelots et la dizaine de membres d’équipage.
La pratique des bateaux-ramasseurs est monnaie courante surtout à St Louis au Nord du Sénégal. Les pêcheurs de cette localité du pays sont réputés pour leur expertise, raison pour laquelle ils sont recherchés. On peut aussi évoquer une autre raison qui encourage cette pratique, il s’agit du manque de ressource qui se fait de plus en plus sentir, ce qui oblige les pêcheurs professionnels à scruter d’autres horizons. En effet, les bateaux-mères ont la spécialité de ne pas pêcher dans les eaux sénégalaises mais plutôt dans des eaux lointaines telles que celles de l’Angola, du Gabon etc.
Les embarquements varient de 45 à 90 jours selon le bateau. Cette durée de la marée constitue un long calvaire pour les pêcheurs.
En effet, les conditions de travail et de vie sur les bateaux ramasseurs sont des plus difficiles. Le travail est en général sans répit. 12 à 16 heures sinon 18 heures par jour. Ils commencent à pêcher à 5 h ou 6 h du matin. Ils rentrent au bateau lorsque la pirogue est remplie et retournent pratiquement aussitôt. Ils terminent la journée soit à 17 h, soit à 19 h, voire 20 h sinon au-delà. Mais c’est relatif parce que lié à la quantité de poisson capturée. Plus la moisson est abondante et plus vite les pêcheurs rentrent au bateau. Le travail est en fait lié à la quantité car c’est le poisson capturé qui est vendu au bateau. Il est vendu à 375 f cfa le kilo. Donc plus le pêcheur aura capturé de poisson et plus il gagnera. Il faut signaler que seuls les poissons nobles sont capturés.
Au niveau des conditions de vie, les huttes qui servent d’habitations aux pêcheurs sont tellement exiguës que les pêcheurs ne peuvent pas s’y tenir debout. Ils dorment sur des cartons qui leur servent de lits. La nourriture est de qualité et de quantité insuffisantes. Au point où les pêcheurs sont obligés d’embarquer avec des caisses personnelles de produits (biscuits, beignets, couscous…), pour essayer de compenser difficilement le déficit. La ration journalière en eau varie de 12 à 15 litres par pirogue de 6 à 7 personnes. Les pêcheurs en fait ne se lavent qu’une fois tous les 9 jours. Dans ces conditions, on devine aisément les causes des maladies qui affectent les professionnels de la pêche qui travaillent sur ces bateaux. Et pourtant sur la même embarcation, d’autres tels que les membres d’équipage et autres responsables sont traités autrement et vivent dans de meilleures conditions de vie et d’hygiène. Malgré cette situation sanitaire difficile, il n’existe pas en général de médecins, ni de paramédicaux et même quelques fois pas de boîte à pharmacie digne de ce nom et adaptée à la situation sanitaire précaire des bateaux. Pourtant selon M. Ngagne Sarr, un habitué des bateaux ramasseurs, chaque pêcheur paie à l’embarcation, des frais d’assurance qui dans la réalité ne les couvrent en rien du tout. Car lorsqu’il est malade, il est livré à lui-même.
Et ce n’est pas tout. Les pêcheurs sont obligés en plus de supporter les caprices de leurs responsables arnaqueurs. Ces derniers, pourtant chargés de la défense de leurs intérêts, vivent sur leur dos en leur revendant à double prix les hameçons et les lignes. Ils leur vendent aussi les shampoings et autres briquets qui leur sont offerts gratuitement par les capitaines des bateaux.
Il faut ajouter à tout cela le fait que les bateaux ramasseurs sont comme des pirates et n’ont pas de licence de pêche, ce qui constitue un risque pour les pêcheurs qui en pêchant peuvent rentrer par mégarde dans les eaux territoriales des pays. Heureusement pour eux que ces eaux ne sont pas toujours bien gardées.
Face à cette situation plus que difficile, les responsables des bateaux ne connaissent que le langage du rendement et n’entretiennent aucune relation humaine avec les pêcheurs.
Quant aux pêcheurs eux-mêmes, ils sont tous conscients de leurs conditions d’existence sur ces bateaux, mais cela ne les empêche pas d’embarquer. Car avec ce qu’ils gagnent, ils peuvent au moins acheter du matériel de pêche ou construire une maison. Une marée de 3 mois rapporte en moyenne 350.000 f cfa à un pêcheur ; ce qu’il ne peut gagner en période normale. Il faut reconnaître que parmi ceux qui participent à ce genre de pêche nombreux n’ont pas de pirogues à eux. C’est donc une situation qui les arrange malgré tout.
La situation difficile que vivent les pêcheurs à bord des bateaux ramasseurs est connue de tous les acteurs de la pêche du Sénégal y compris l’administration. Le problème est que la ressource manque de plus en plus dans les eaux territoriales sénégalaises et que le matériel de pêche coûte de plus en plus cher. L’administration est impuissante devant la situation parce que ne pouvant trouver une solution aux deux raisons principales qui poussent les pêcheurs à s’adonner à cette pratique à savoir la ressource et l’argent. Le phénomène des bateaux ramasseurs apparaît donc comme un mal nécessaire sur lequel tout le monde ferme les yeux. Dans ce cas, ce qui reste à faire aux pêcheurs, c’est la mise en place d’un minimum d’organisation pour la défense de leurs intérêts.
fisherman, working conditions
, Senegal
La pêche artisanale en Afrique de l’Ouest
Lucie Attikpa-Tetegan : Je suis journaliste. J’ai occupé le poste de responsable de la communication pendant 6 ans au Secrétariat Technique de l’ADEPA. Cette association ouest régionale africaine a géré pendant cette période, le Programme Régional de Valorisation des Captures de la Pêche Artisanale en Afrique de l’Ouest. Depuis juillet 2000, je suis chargée de l’appui pédagogique, du genre et de la communication. Pour avoir occupé ces deux postes, j’ai toujours été intéressée à tout ce qui touche aux préoccupations et aux intérêts des pêcheurs. Je voudrais partager avec vous ici les aventures et malheurs des pêcheurs des bateaux-mères.
Revue « Gaal-Gui » n° 7 de juin 1998
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