Coopératives et logement communal
2008
Le logement social allemand est né au XIXème siècle d’initiatives privées, qui ont été à l’origine de la création d’un statut d’utilité publique. Ce statut a englobé plus tard les sociétés de logement communal.
Retour sur l’histoire de ce secteur particulier, qui fait peut-être l’originalité de l’Allemagne en matière de logement social.
Schématiquement, on peut considérer qu’il existe trois grandes branches constituantes d’un secteur du logement social en Allemagne, c’est à dire en réalité d’un logement abordable pour la majorité de la population, mais dont l’accès n’est pas réellement contrôlé par les pouvoirs publics.
Historiquement, le logement social a été tout d’abord pris en charge par des acteurs privés à vocation humaniste, paternaliste ou d’auto-organisation : les fondations, les sociétés patronales et les coopératives. Ces structures se sont données des règles spécifiques qui ont été à l’origine de la création d’un statut d’utilité publique (1).
Ce même statut a englobé, à partir des années 1920, la seconde branche du logement social allemand moderne : les sociétés de logement communal.
Ces deux types de structures d’utilité publique ont été à la base du développement d’une politique du logement social en Allemagne.
L’ « utilisation sociale temporaire » de logements privés (voir l’article « Le marché au cœur de la politique allemande du logement) est venue compléter le secteur du logement social à partir de 1956, sans toutefois s’intégrer au secteur de l’utilité publique.
Les coopératives de logement et les fondations philanthropiques
Le logement social en Allemagne n’est pas né d’une volonté bienfaisante des pouvoirs publics, mais bien d’une réaction tardive à la misère des logements disponibles dans les villes du XIXème siècle en pleine industrialisation. Berlin, capitale de la Prusse, puis capitale de l’Empire allemand à partir de 1871, est l’un des plus grands centres industriels de l’Europe continentale à la fin du XIXème siècle.
Entre 1850 et 1890, seules des initiatives disparates voient le jour en matière de logement, qui tentent de pallier le manque d’habitat salubre disponible. On voit apparaître des initiatives philanthropiques de certains patrons d’entreprise, qui font construire de petite cités pour leurs ouvriers. Quelques fondations émergent aussi à coté d’initiatives d’auto-organisation : ces dernières s’inspirent des expériences anglaises de coopératives, initiées par les pionniers de Rochedale.
Les coopératives de logements sont encore marginales jusque dans les années 1880-90 : le capital dont elles disposent jusqu’alors pour mener à bien des constructions nouvelles est encore très limité. Seules les classes moyennes peuvent se permettre de s’investir financièrement dans de tels projets collectifs, alors que les ouvriers les plus pauvres vivent soient dans des logements insalubres, soit dans les logements mis à disposition par leurs employeurs.
La loi de 1889 et le développement des coopératives
Bismarck crée le cadre législatif qui permet aux projets coopératifs de se développer. Alors qu’il a institué les premières lois sur la protection sociale quelques années auparavant (2), deux textes adoptés en 1889 apportent un élan dans la construction.
L’un institue la responsabilité limitée des coopérateurs lorsqu’ils se lancent dans un projet collectif.
L’autre permet aux organismes d’utilité publique de disposer pour la construction de logements des fonds collectés au titre de l’assurance vieillesse (3), sous forme de prêts hypothécaires. Un millier de coopératives sont ainsi créées à cette époque, et sont encore actives aujourd’hui pour une bonne part d’entre elles.
Il n’existe à ce moment-là pas de statut coopératif contraignant. Les coopératives adoptent les mêmes règles de fonctionnement que les sociétés philanthropiques, qui seront plus tard à la base de la création du « statut d’utilité publique » (Gemeinnützigkeit), que partageront longtemps à la fois les fondations, les coopératives et les sociétés publiques de logement (communales et nationales).
1890-1914 : « De la lumière, de l’air, du soleil ! »
Selon les plans de Hobrecht (4), chargé dans les années 1870 de planifier le développement de Berlin pour les cent années à venir, la ville est parcellisée de manière à réduire au maximum les coûts de construction des rues : les terrains à bâtir sont des îlots de 300-400 m de largeur sur 200 m de profondeur.
De gros immeubles, les fameuses « casernes locatives » (Mietkaserne) s’y édifient avec leur structure particulière. Il s’agit d’immeubles à quatre « ailes » avec une cour intérieure (Berliner Hinterhof). La partie qui donne sur la rue est réservée aux familles bourgeoises : les appartements sont grands et éclairés de chaque coté par de grandes fenêtres. Seule la « pièce berlinoise » (Berliner Zimmer), qui se trouve dans l’angle de l’immeuble, est peu appréciée car elle est trop grande et éclairée seulement par une petite ouverture dans le coin de la cour.
Les trois autres ailes du bâtiment donnent sur la cour intérieure : les appartements sont divisés en unités beaucoup plus petites et disposent de peu d’ouvertures puisque, de chaque coté, leurs façades sont mitoyennes d’autres immeubles. La seule source de lumière est la cour intérieure. Ils sont occupés par les familles plus modestes de travailleurs de l’industrie.
Les architectes progressistes qui se lancent dans la construction de nouvelles cités, notamment coopératives, à partir des années 1890 cherchent à transformer ce modèle : dans les centres-villes ou dans les quartiers périphériques, ils construisent des cités plus denses, mais dans lesquelles tous les appartements disposent d’un accès à la lumière du jour.
Le mot d’ordre est « De la lumière, de l’air, du soleil ! ». Certaines cités-jardins sont construites sur le modèle anglais, dans les zones périphériques de Berlin mais aussi dans la ville.
Les coopératives parviennent à construire à Berlin 5000 logements par an entre 1890 et 1915 : ça reste pourtant une goutte d’eau dans l’océan de la crise du logement de l’époque…
Mais si leur contribution est quantitativement limitée, c’est surtout l’apport qualitatif des coopératives et de leurs architectes à la réflexion sur le logement collectif et à la réalisation de projets innovants qui est remarquable : elles apportent une réponse critique et progressiste à la misère des « casernes locatives » berlinoises.
1918-1933 : la naissance du logement social soutenu par des moyens publics
Jusqu’en 1918 la participation publique au logement est limitée : elle ne monte en puissance qu’après la première guerre mondiale. Sous la République de Weimar, il n’est plus question de s’interroger sur l’opportunité d’une prise en charge publique de la question du logement : la question est plutôt celle de la mise en œuvre d’une telle politique, qui s’inscrit dans le cadre général de l’Etat social en construction.
La République de Weimar définit dans sa constitution l’approvisionnement en logement comme une compétence de l’Etat central. Face au manque de logements (2 millions en 1919), l’Etat développe un système de subventions et de crédit.
L’Allemagne connaît au début des années 1920 une période d’hyper-inflation. Les crédits les hypothèques contractées avant la guerre pour l’achat de logements individuels sont donc extrêmement aisément remboursables. Pour stabiliser la situation, un impôt national sur les intérêts hypothécaires est introduit en 1924 : le Hauszinssteuer.
Les sommes récoltées au titre de cet impôt sont affectées à la construction de logements neufs, sous forme de prêts à taux d’intérêts bas (2 %) à destination de structures d’utilité publique (Gemeinnützigkeit).
C’est le premier pas significatif dans la constitution d’un budget national dédié à une politique du logement.
Le statut d’utilité publique
Le statut d’utilité publique dans le secteur du logement n’a été formulé dans la loi qu’à l’initiative du régime nazi, alors qu’il était déjà pratiqué par de nombreuses fondations et coopératives. Les trois règles importantes de ce statut sont :
la limitation du champ d’activité de la société au domaine du logement et de la construction de cités d’habitat
la limitation du prix des loyers et des services attachés à l’entretien des logements à la stricte couverture des coûts
la limitation des dividendes annuels des coopérateurs à 4 % de leur apport financier.
l’obligation de réinvestissement des profits réalisés par la société dans l’amélioration du bâti et de l’habitat
En contrepartie du respect de ces règles, les sociétés de logement d’utilité publique sont exemptées de certains impôts et taxes.
L’apparition de nouveaux acteurs du logement social
Grâce à ce nouveau soutien financier, d’autres acteurs du logement, qui étaient restés marginaux jusqu’alors, se développent très largement durant l’entre-deux-guerres et contribuent à la diversification du paysage du logement social : aux côtés des traditionnelles coopératives, on voit émerger les sociétés communales (5), mais aussi des sociétés privées appartenant à des syndicats, à des grands patrons d’entreprises ou à des églises. L’orientation idéologique de ces sociétés se lit dans les formes d’habitat qui sont proposées : les cités construites ne sont pas seulement destinées à loger les personnes. Ce sont de véritables lieux de vie commune, avec de nombreux espaces collectifs (espaces verts, jardins, bibliothèques, écoles, cafés, petits commerces, ateliers etc.).
Les acteurs socio-économiques s’emparent ainsi du domaine du logement, riche en potentielles innovations sociales, et tendent peu à peu à réduire le poids des coopératives dans le secteur, alors que celles-ci avaient été à l’origine de la constitution d’un secteur du logement collectif abordable.
Les sociétés communales se développent surtout dans la seconde moitié des années 1920 : elles sont, comme les coopératives, à l’origine de la construction de cités originales et socialement innovantes. Leur gestion répond aux principes du statut d’utilité publique.
A Berlin, les nouvelles constructions sont surtout réalisées dans des quartiers périphériques de la ville, loin des zones très denses des « casernes locatives ».
La nature des logements est variée : des petits logements de rez-de-chaussée aux grands appartements pour des familles, tous possèdent les éléments du confort moderne (chauffage central, cuisine individuelle, sanitaires, balcon etc.).
Des espaces verts communs, mais aussi individuels, sont aménagés, ainsi que des lieux de vie collective : écoles, jardins d’enfants, laveries, bars, cafés, petits commerces…
La desserte en transports en communs est particulièrement développée : ces cités périphériques sont non seulement largement reliées au centre de la ville, mais aussi aux nombreux parcs et lacs, qui doivent assurer « la bonne santé du peuple ».
Les sociétés municipales de logement possèdent une grande autonomie vis-à-vis du pouvoir politique, notamment pour le choix des architectes, des ingénieurs, des urbanistes ou des plans de leurs cités en construction.
A l’arrivée des Nazis au pouvoir, cette autonomie est remise en cause. A Berlin par exemple, les huit sociétés municipales qui existent à l’époque sont regroupées en une seule, la GSW. Cela doit permettre une rationalisation de leur gestion, mais assurer aussi la disparition de tout projet politico-social : toutes les « têtes » du secteur sont mises de côté, évincées, ou bien s’exilent d’elles-mêmes.
Les sociétés municipales se développent à nouveau après la Seconde guerre mondiale : elles sont à l’origine de la construction de nombreux bâtiments et cités dans les années 1950-1960.
En 1996, on évaluait qu’à Berlin 27 % des logements appartenaient aux différentes sociétés municipales. Mais ce pourcentage a largement décru à partir du début des années 2000. Dix ans plus tard, il était estimé à 17 % seulement.
Concrètement, entre 1993 et 2007, 200 000 des 480 000 logements municipaux berlinois ont été vendus, en particulier à des investisseurs institutionnels (6).
L’Etat allemand fournit donc à partir des années 1920 (7) un effort financier important pour développer la construction sociale : en revanche, il ne limite pas ses crédits au soutien de structures publiques municipales, subventionnant aussi en grande partie des sociétés privées.
On voit déjà apparaître en filigrane l’une des spécificités du logement social allemand : ni public, ni limité au secteur locatif, c’est un secteur qui mobilise des acteurs diversifiés.
Le soutien public au logement social s’appuie donc à cette époque très largement sur des structures privées possédant le statut d’utilité publique : l’Etat leur impose des limitations de loyers et réglemente strictement l’ampleur de leurs bénéfices.
Les logements privés « à usage social temporaire »
Le troisième pilier qui compose le logement social allemand est l’ « utilisation sociale temporaire » de logements privés. Ce système original prévoit depuis la loi de 1956 que les porteurs d’un projet de construction qui souhaitent bénéficier de prêts publics s’engagent à mettre à disposition le logement ainsi construit pour des locataires désignés par la commune. Le système est en réalité très peu contraignant : le propriétaire, lorsqu’il loue le logement, exige de la part de son locataire une attestation de la mairie, indiquant que ses ressources ne sont pas supérieures à celles des 80 % de la population les plus modestes.
Le niveau des loyers et leur augmentation sont par ailleurs réglementés dans ce secteur : ils sont soumis à la législation sur le loyer économique (Kostenmiete).
Le loyer économique est fixé sur la base d’un calcul de rentabilité. Le loyer payé par les locataires ne peut dépasser le montant des intérêts liés à l’emprunt de capital pour la construction.
Jusque dans les années 1970, l’Etat apportant son aide à la construction sous la forme de prêt à taux d’intérêts zéro ou bien très faible, il ne reste à payer pour le locataire que le coût du capital extérieur, emprunté auprès des banques pour compléter l’opération immobilière. Les loyers sont donc très faibles.
Les choses ont changé depuis lors, et ce logement social en utilisation temporaire est devenu parfois beaucoup plus cher que le logement privé dans le bâti ancien.
Pour en savoir plus, consultez l’article « Pourquoi le logement social en Allemagne est-il devenu plus cher que le logement privé ? ».
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, Germany
Lucie Lechevalier-Hurard a participé au programme de mobilité d’Echanges & partenariats (http://emi-cfd.com/echanges-partenariats7/…) avec comme partenaires l’AITEC et BMG.
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