L’érosion de la diversité biologique (la diversité des espèces, des gènes et des écosystèmes) est devenue, sous le nom de biodiversité, un problème d’environnement global. L’hypothèse d’une disparition au niveau mondial de 50 % des espèces avant 2100, compromettant les potentiels d’évolution et d’adaptation du monde vivant, est aujourd’hui sérieusement envisagée. Mais la biodiversité ne se réduit pas aux listes d’espèces établies par les naturalistes. L’adoption de la notion de biodiversité implique de choisir l’écosystème comme niveau de gestion pertinent, avec la promotion de la conservation in situ par les populations locales et avec la valorisation des ressources génétiques. Cette association est déterminante pour la notion de biodiversité car elle implique de lourds engagements et d’importants impacts économiques et sociaux. Elle oblige en effet à aborder les questions du développement, du commerce, de l’équité. Elle introduit ainsi des thèmes nouveaux pour la conservation : les droits de propriété intellectuelle, les droits collectifs et indigènes, les ressources génétiques.
Au-delà de la nécessité de répondre à la menace d’une “sixième extinction de masse” et de multiplier les aires protégées, la décision de négocier une convention relative à la biodiversité témoigne donc surtout de conflits d’intérêts sur fond de grande incertitude scientifique.
La question centrale concerne l’accès aux ressources génétiques et la brevetabilité du vivant. Avec les progrès du génie moléculaire dans les années 1980, le vivant est devenu un enjeu économique et les ressources génétiques d’un pays sont perçues comme des gisements de biomolécules normalement soumis aux lois de l’offre et de la demande : d’un côté, les pays du Sud disposent d’une riche biodiversité en accès libre et, de l’autre, les pays du Nord possèdent des techniques et des produits industriels permettant de l’exploiter.
Parallèlement, une grande effervescence législative marque la mondialisation des échanges qui s’accompagne d’une diffusion des normes et pratiques commerciales issues des pays industrialisés. Le contrôle de l’information et des savoirs est devenu un enjeu économique majeur. On assiste alors à un développement généralisé des droits de propriété intellectuelle, en particulier des brevets. Cette tendance gagne un secteur relativement protégé jusqu’alors, celui du vivant, grâce à la reconnaissance du séquençage d’un gène comme innovation par l’Office américain des brevets. Les start-up fleurissent dans le secteur des biotechnologies, lesquelles déposent de nombreux brevets.
La représentation d’une molécule, encore inconnue et menacée au fond de la forêt tropicale, qui pourrait guérir toutes les maladies ou améliorer les plantes cultivées, est alors mise en avant pour justifier la conservation de la biodiversité dans son ensemble. Les dénonciations de “biopiraterie” portées par les pays du Sud et les ONG protestant contre des dépôts de brevets sur des ressources biologiques et des savoir-faire locaux sans que les populations concernées ne soient informées et n’en tirent de bénéfices, se multiplient.
Les négociations sur la biodiversité au Sommet de la Terre portent sur l’élaboration de compromis entre :
les partisans d’une biodiversité patrimoine de l’humanité et les partisans d’une biodiversité sous souveraineté des États, des populations locales, voire relevant de la propriété privée ;
les tenants d’une conservation stricte de la nature pour elle-même et les tenants d’une biodiversité, à usage durable, au service de l’homme ;
des pays du Nord caractérisés par leurs responsabilités passées, leurs intérêts industriels et leur sensibilité écologique et des pays du Sud riches en biodiversité et soucieux d’accéder au développement grâce à leurs ressources naturelles, aux transferts de technologie et à l’aide internationale ;
les industriels des biotechnologies et les détenteurs de ressources génétiques ;
une approche scientifique occidentale et des savoirs indigènes ne dissociant pas nature et culture, ou du moins ne partageant pas les mêmes références.
La Convention sur la diversité biologique a été conçue pour que tous les pays signataires partagent à la fois les efforts et les bénéfices de la conservation des biens et services fournis par la biosphère. Pour cela, le principal but de la CDB a été de produire, d’une part une uniformité de représentations de la biodiversité et d’autre part un intérêt commun de tous les pays pour sa protection. On comprend ainsi que les pays du Sud aient obtenu en contrepartie des deux premiers objectifs - la conservation et l’usage durable - un troisième objectif concernant l’accès et le partage équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques.
On comprend aussi que certains aient pu présenter la CDB comme une tentative d’imposer un cadre légal pour la biopiraterie en procédant à une distribution de droits. C’est ainsi que la prise en considération du nécessaire rattrapage économique des pays du Sud et la reconnaissance des revendications des peuples autochtones ont pu être conciliées avec la marchandisation du vivant, portée par les progrès des biotechnologies et la généralisation des droits de propriété intellectuelle.
La Convention sur la diversité biologique (CDB) signée sous l’égide des Nations Unies au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992 propose d’abandonner la notion de patrimoine mondial de l’humanité au profit de la reconnaissance de la souveraineté des États, mais sans financement adéquat. Elle définit des droits d’usage et d’accès, avec la généralisation des droits de propriété intellectuelle sur le vivant qui deviennent des outils de conservation de la biodiversité : d’une part, les droits de propriété intellectuelle (brevets) des industries du vivant (pharmacie, cosmétique) doivent être reconnus, d’autre part, les droits (à définir) des populations locales et indigènes sur leurs ressources et leurs savoirs doivent être affirmés.
En définissant ces droits, la CDB encourage une politique contractuelle d’accès à la biodiversité, plus précisément l’établissement de contrats bilatéraux de bioprospection. Ce terme recouvre ici l’exploitation, l’extraction et le criblage ou le tri de la diversité biologique et des connaissances indigènes pour découvrir des ressources génétiques ou biochimiques ayant une valeur commerciale. Ces contrats de droit privé entre industriels et communautés sont ainsi supposés financer la conservation et rémunérer les communautés locales détentrices de ressources ou de savoirs potentiellement intéressants pour l’industrie du vivant.
La CDB a logiquement été présentée comme la première convention mettant en oeuvre le développement durable. Dans son article premier, avec la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des revenus tirés des avantages des ressources génétiques, elle associe en effet objectif environnemental, objectif économique et objectif social. Au nom de la biodiversité, la CDB ne vise rien de moins qu’un nouvel ordre international avec une redistribution des pouvoirs.
L’initiative de la rédaction de la CDB émanant des pays industrialisés, sa conception ne pouvait être indépendante de la forme dominante de régulation des conflits des sociétés industrielles, c’est-à-dire de la régulation marchande, même si d’autres référents, comme la justice intergénérationnelle, s’imposaient également. Par ailleurs, la CDB se devait de postuler une uniformité des représentations et un intérêt commun de tous les pays pour la protection de la biodiversité. Cet énoncé performatif ne pouvait manquer d’être source de graves malentendus.
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Cet article de Catherine Aubertin, publié pour l’Encyclopédie du Développement Durable, fait une analyse très précise de l’émergence du droit de la biodiversité dans les années 1980 et aux débuts des années 1990. L’auteur met cette émergence en relation avec le développement des biotechnologies et des activités de bioprospection d’entreprises du Nord. Un cadre législatif favorable à la multiplication de brevets sur le vivant nait à la même époque, qui stimule ces activités. La Convention sur la Biodiversité, signée lors du Sommet de la Terre de 1992 ne remet pas en cause ces développements, mais cherche à établir un équilibre et des alliances entre les industriels oeuvrant dans les biotechnologies et les communautés rurales autochtones des pays du Sud.
Catherine AUBERTIN est directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Économiste, elle dirige le groupe “Politiques de l’environnement” de l’UR 168 et coordonne plusieurs groupes de recherche sur les questions du développement durable et de la biodiversité. Elle a coordonné l’ouvrage Représenter la nature ? ONG et biodiversité (Ed.de l’IRD, 2005) et publié, avec F-D.Vivien, Le développement durable, enjeux politiques économiques et sociaux (La Documentation française, Ed de l’IRD, 2006). Elle est membre du comité de rédaction de la revue Natures, Sciences, Sociétés.
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