La lutte d’un peuple pour conserver ses terres et sa culture
09 / 2005
Le mouvement mapuche autonome lutte pour la reconstruction d’un peuple indigène historiquement spolié, pillé et détruit. Aujourd’hui, ils ne demandent pas seulement de récupérer leur terre usurpée par le gouvernement chilien et les transnationales, ils revendiquent aussi les meilleurs éléments d’une culture qui va en disparaissant en même temps qu’ils perdent leur territoire : la langue, les valeurs, l’organisation ancestrale, les traditions, les relations humaines, le « ser mapuche » (l’« être mapuche »). La reconstruction du peuple-nation mapuche est fondamentalement une lutte anticapitaliste qui essaye de construire un futur différent de celui que projette le gouvernement chilien pour les peuples indigènes. Il s’agit d’une lutte historique, expliquent les prisonniers politiques mapuches de la prison d’Angol, « pour notre droit à exister dans la dignité, à récupérer notre terre, à défendre et protéger nos ressources naturelles. C’est aussi une lutte pour l’autonomie, la libre détermination du peuple mapuche et la récupération de notre tissu politique, économique et culturel ».
Les Mapuches et l’histoire
Pour comprendre la lutte actuelle du peuple mapuche, il est nécessaire de rappeler des éléments importants de leur histoire. Les spécialistes s’accordent sur le fait qu’avant l’arrivée des premiers conquistadores espagnols au XVIème siècle, les Mapuches occupaient un vaste territoire, s’étendant de la vallée de l’Aconcagua au Reloncavi, comprenant même la grande île de Chiloé. Les Espagnols, raconte Jose Bengoa, firent violemment irruption dans ce territoire, avec des conséquences désastreuses, massacrant les Mapuches qui se trouvaient entre Santiago et le fleuve Bio Bio, et provoquant de grandes migrations de populations vers le sud. Cependant entre le XVIème et le XVIIIème siècle, ils développèrent une résistance héroïque contre l’avancée de l’envahisseur, arrivant à repousser les conquistadores jusqu’au nord du fleuve Bio Bio, établissant ainsi une frontière séparant le territoire de la couronne espagnole de celui des Mapuches. La résistance indigène ne permit pas la conquête que se projetaient les Espagnols. Jamais les Mapuches ne se rendirent et ne laissèrent passer les usurpateurs au-delà du fleuve Bio Bio. Ils obtinrent même de la Couronne espagnole un accord de respect mutuel sur les relations frontalières, qui reconnaissait ainsi la présence de la nation mapuche.
Ce que ne réussirent pas les Espagnols, c’est le gouvernement du Chili indépendant qui le réalisa. En 1860, les incursions des militaires chiliens et les migrations de colons vers le territoire mapuche commencèrent. Le puissant pouvoir militaire de l’Etat réussit à vaincre alors les Mapuches et leurs armes rudimentaires. En 1883, après 23 ans de batailles, l’armée chilienne finit par occuper les territoires mapuches du sud du fleuve Bio Bio. Le système économique mapuche fut détruit. Il y eut des dizaines de milliers de morts, et les rares survivants du massacre furent confinés dans des réserves, représentant approximativement 5 % de leur ancien territoire. Enrique Antileo, de l’organisation mapuche Meli Wixan Mapu, relate le processus migratoire consécutif au manque de terres dans les réserves où ils furent confinés. Entre 1930 et 1940, d’importants flux migratoires se dirigèrent vers les villes à la recherche de meilleures conditions de vie, même s’ils ne vinrent finalement que nourrir les ceinturons de misère des périphéries des grandes villes.
La réforme agraire de 1960 favorisa les paysans minifundistes mapuches, propriétaires de petites exploitations, et, à l’époque, avec le soutien du gouvernement de Salvador Allende (1970-1973), ils purent récupérer certaines des terres usurpées. Ce processus fut interrompu par l’arrivée de la dictature de Pinochet en 1973. A partir de ce moment, la situation pour les Mapuches n’a fait qu’empirer. Les terres récupérées durant la réforme agraire furent rendues à leurs « propriétaires » ou cédées à d’autres entrepreneurs, durant une période où moururent des dizaines de dirigeants mapuches, persécutés par la dictature.
Multinationales forestières
La lutte du peuple mapuche pour la récupération de ses terres a pris un nouveau tournant, avec un décret concernant les entreprises forestières, dans lequel l’Etat chilien s’engage auprès des consortiums forestiers ayant acheté ou tout simplement usurpé de vastes terres agricoles, jusqu’alors propriétés de petits paysans mapuches.
Dans les années 90, l’avancée de l’industrie forestière semblait impossible à arrêter. Les petites et moyennes communautés mapuches furent enfermées dans une espèce de prison à l’air libre, les plantations de pins et d’eucalyptus asséchant les sources d’eau, contaminant et épuisant les sols, causant préjudice au droit à la vie de tout un peuple, expulsé pour laisser la place aux plantations. Le problème des entreprises forestières, ajouté à l’exploitation du territoire par des transnationales de toutes sortes, au mépris absolu de la culture indigène, a revitalisé les organisations mapuches déjà existantes et a provoqué la naissance de nouvelles qui ont lancé à partir de 1995 une série de mobilisations tendant à réclamer leurs droits historiques sur leur territoire, dénonçant les consortiums nationaux et transnationaux qui l’occupent et l’exploitent.
Simultanément à la revendication de ses terres, le mouvement mapuche commença à exiger des droits politiques, principalement le droit à l’autonomie et à l’autodétermination de son peuple. Le plus significatif, relate un groupe d’habitants de la région de l’Arauco, est le processus de reconstruction et de résistance : « La résistance, c’est faire face aux investissements capitalistes dans les communautés indigènes, à ceux du gouvernement comme à ceux d’entreprises forestières, touristiques, hydroélectriques, de constructeurs de ports de commerce, etc. La reconstruction, c’est nous sauver en tant que peuple et empêcher que notre culture se perde ».
La lutte directe pour la récupération des terres fut menée à partir de 1997 contre les principales entreprises forestières, parmi lesquelles Mininco s.a. et la Forestal Bosques Arauco, qui détiennent à elles seules 1,2 million d’hectares, dans lesquelles elles sèment du pin et de l’eucalyptus destinés à l’exportation. Au total, ce sont approximativement 2 millions d’hectares occupés à ces fins. En comparaison, le peuple mapuche dispose de moins de 700 000 hectares pour son travail agricole.
Le mouvement mapuche de la région de l’Arauco a récupéré grâce à la mobilisation directe environ 20 000 hectares ces dernières années, dans des zones qui étaient auparavant aux mains des grandes entreprises forestières. Sur ces 20 000 hectares récupérés, 5 000 ont été régularisés grâce à la pression des communautés, mais pour le reste, la menace d’expulsions violentes plane encore. Dans les zones récupérées, régularisées ou non, sont semés principalement la pomme de terre et le blé.
C’est dans la zone de Traiguen que fut organisée une des premières récupérations. Il y eut une lutte contre l’entreprise forestière Mininco, qui avait sous son contrôle 1 200 hectares que les Mapuches décidèrent de récupérer. Trois communautés du secteur se sont unies, chacune d’entre elles ayant des droits historiques sur ces terres. Ils décidèrent d’occuper la propriété. La police arriva et les délogea. Ils recommencèrent et furent à nouveau expulsés, et ainsi de suite. L’entreprise plantait des pins, que les Mapuches arrachaient, jusqu’à ce qu’elle abandonne finalement les lieux. Aujourd’hui, les indigènes y travaillent la terre, sèment et élèvent du bétail.
La récupération de ces terres a eu pour conséquence une forte répression de la part du gouvernement chilien. Il y a actuellement neuf prisonniers mapuches dans les prisons du sud, et environ 15 fugitifs accusés d’association illicite et de terrorisme. La situation des prisonniers viole toutes les garanties légales et les droits de l’homme : ils sont accusés d’association illicite et de terrorisme sans qu’il y ait pour preuve aucune arme, aucun mort, aucun blessé, ni même aucun témoin.
Entreprises touristiques et centrales hydroélectriques
Les grands et magnifiques lacs situés en territoire mapuche attirent la convoitise de dizaines de chefs d’entreprises touristiques, qui se sont installés sur les rivages de Villarrica, Likanriay, Pucon et Valdivia. Bien que la situation semble décourageante, la résistance mapuche ne cesse pas et la mobilisation a réussi à arrêter certains projets et à expulser certains chefs d’entreprise.
Près du lac Lleu Lleu, par exemple, dans la région 8 de la province de l’Arauco, la résistance aux projets touristiques a pris une importance considérable. Quelques 14 communautés mapuches y habitent. Ce territoire comporte environ 15 hectares de rives du lac, et c’est précisément là que prétend s’installer un projet touristique mené par Osvaldo Carvajal, qui consiste à construire des hôtels de luxe, des terrains de golf, des pistes d’atterrissage, etc. Les Mapuches, seraient « utilisés » pour les services et le folklore. Les indigènes ont protesté, se sont mobilisés et ont récupéré leurs terres. Actuellement, ils les occupent et les utilisent pour l’agriculture. Les menaces d’expulsion continuent, « mais les gens ont bien en tête que ces terres sont à eux. Ils ne sont pas disposés à les perdre », affirment les habitants. L’entrepreneur Osvaldo Carvajal, accusent-ils, est un élément-clé de la persécution des Mapuches. Il a créé ses propres services de renseignement et soutient le commando Hernan Trizano, un groupe paramilitaire organisé par des chefs d’entreprise en collusion avec la police.
En amont du fleuve Bio Bio, un vaste projet hydroélectrique prévoit la construction de sept barrages dont deux sont déjà terminés : le barrage de Pangue et celui de La Ralco. Ce dernier est le plus grand, et a inondé 3 500 hectares de terres mapuches, rasant deux communautés entières. La construction des cinq autres centrales hydroélectriques affecterait de la même manière d’autres communautés mapuches. Il existe un autre projet prévoyant la construction de six ports en territoire mapuche. Il s’agit, comme pour les routes, d’installer l’infrastructure nécessaire au pillage du bois, de la pêche et d’autres ressources naturelles. Les entreprises forestières, de leur côté, projettent de construire leurs propres bases de commercialisation à l’intérieur du territoire, pour, depuis la côte, en faire sortir le bois d’exportation. « Contre l’invasion, l’exploitation et le pillage que tout cela implique, nous, les Mapuches, résistons, car si tous ces projets se concrétisent, les communautés indigènes vont tout simplement disparaître. Nous ne nous laisserons pas faire, bien que le prix de la résistance soit élevé », affirment-ils lors d’une réunion organisée dans une petite communauté de l’Arauco.
Document associé : fiche « Chili : la répression au nom du développement économique »
access to land, indigenous peoples, countryman movement, repression
, Chile
Accès à la terre : voyage au centre des impasses de la mondialisation
Gloria Muñoz Ramírez, journaliste mexicaine
La Jornada (www.jornada.unam.mx), supplément Ojarasca 100, août 2005. Traduction : Julien Pelloux, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).