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Gestion des déchets nucléaires : l’aspect économique

09 / 2005

Si la gestion des déchets nucléaires est un enjeu environnemental majeur, c’est aussi un véritable défi économique et financier. Le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs sont en effet estimés à plus de 70 milliards d’euros.

Incertitude sur les coûts

Selon le rapport de la Cour des Comptes sur « Le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs », de janvier 2005, à la fin de 2003, les provisions d’Areva, du CEA et d’EDF s’établissaient en valeur brute à 71,4 Md en valeur 2003 :

En M€ (millions d’euros)Valeur actualiséeValeur brute
AREVAnd12 316
CEA7 72711 107
EDF24 78748 006
Totalnd71 429

Ces sommes considérables doivent de plus être examinées avec prudence. Il n’est pas en effet impossible que le coût réel final soit encore plus élevé. Ce sont en effet des opérations lourdes tant les dimensions du problème sont nombreuses (environnementale, réglementaire, technologique…) et l’échelle de temps longue (plusieurs décennies, voire un siècle). De plus les expériences sont peu nombreuses, voire nulles pour les réacteurs de grande taille. Le coût du démantèlement fait donc l’objet d’estimations.

En France, les dépenses pour le démantèlement sont évaluées à 15 % du coût d’investissement initial des réacteurs par les instances officielles, soit 15 milliards d’euros (M€) pour l’ensemble du parc nucléaire actuel.

Les récentes expériences de démantèlement en France montrent que cette estimation devrait être revue à la hausse. C’est d’ailleurs ce qu’ont choisi de faire les Etats-Unis en 1991, en réévaluant ce pourcentage à 25 % du coût d’investissement. Un tel choix en France, augmenterait le besoin de fonds de 10 M€. Par exemple, si l’on applique cette règle à la centrale de Brennilis actuellement en démantèlement, le coût du démantèlement ainsi calculé ne serait que de 19,4 millions d’euros (M€) alors qu’aujourd’hui le coût annoncé est de plus de 480 M€. Toutes les expériences de démantèlement actuelles d’EDF sur les centrales de première génération confortent ce constat.

Ce constat est encore plus alarmant si l’on examine les incertitudes liées à la gestion des déchets nucléaires. Au chapitre des incertitudes, figure notamment le coût d’un éventuel stockage profond, base des estimations actuelles. Aujourd’hui, les industriels se fondent sur une évaluation de l’Andra qui chiffrait en 1996 le coût du stockage profond à plus de 14 M€. Depuis pourtant, l’Andra a effectué de nouvelles estimations basées sur différents scénarios inhérents à des options (comme le retraitement…) et donnait en 2003 une fourchette de coût allant jusqu’à 58 M€.

Ces énormes incertitudes engendrent bien sûr de fortes tensions, EDF refusant actuellement de tenir compte des dernières estimations de l’Andra afin de préserver la santé de ses comptes.

Des provisions sans garanties

Pour assurer le financement des charges futures, les industriels collectent et alimentent des fonds dédiés sous forme de provision. La gestion de ces fonds est primordiale pour assurer une disponibilité financière lorsque la gestion des déchets et le démantèlement devront être mis en Ĺ“uvre.

Or, aujourd’hui, aucune surveillance ou garantie n’existe sur ces fonds. EDF et Areva ont même un accès direct à leurs fonds de provision. Les industriels placés dans un contexte concurrentiel ont donc la possibilité de les utiliser comme ressource pour leur développement. Ainsi, la récente politique d’expansion internationale très controversée d’EDF a eu des conséquences sur la disponibilité de ces fonds. Dans son rapport de janvier 2005, la Cour des Comptes note que « EDF, du fait de son endettement, ne dispose que d’un embryon d’actifs dédiés par rapport à la masse à financer (…) ».La gestion des fonds dédiés pose donc aussi d’importantes questions.

Responsabilité

Du fait de ces incertitudes et de cette mauvaise gestion, le risque d’un transfert des responsabilités financières des industriels sur l’État est grand : « Les incertitudes nombreuses qui pèsent sur le financement futur de la gestion de ces déchets - volume réel, selon la stratégie de retraitement retenue, durée d’entre-posage avant stockage, etc. - conduisent à poser la question de la capacité dans le temps des principaux producteurs de déchets à répondre à leurs obligations. » note la Cour des Comptes.

Le transfert de responsabilité des industriels vers l’État est déjà une réalité au Royaume-Uni où le gouvernement a mis en place une autorité responsable de l’aval de la filière (Nuclear Decommissioning Authority) pour pallier la faillite des industriels.

Du côté français, à l’heure de la privatisation d’EDF et d’Areva, la volonté de se débarrasser de ces responsabilités nucléaires historiques et à venir est d’ailleurs parfois clairement affichée par certains responsables (Michel Maxant, deputy head of nuclear fuel for EDF dans Nuclear Fuel du 03 01 2004).

L’exemple de Marcoule

« Le démantèlement de l’usine de retraitement de Marcoule représente l’opération de démantèlement la plus importante actuellement en cours en France et une des plus importantes au monde de par son ampleur financière de plus de 6 milliards d’euros (M€). » rappelle la Cour des Comptes dans son rapport publié en janvier 2005. La dernière évaluation officielle date de novembre 1999 et s’établissait à 5,64 M€ en valeur 1996, soit 6,19 M€ valeur 2003.

La répartition de cette lourde charge financière a fait l’objet d’une véritable bataille entre le CEA, Cogema et EDF, les différents exploitants responsables. Cette crise a eu pour origine une mauvaise évaluation des coûts (due à la mauvaise connaissance des matières à gérer présentes sur le site), aggravée par l’attitude du ministère de la Défense qui a programmé la diminution de sa contribution alors qu’il est, à travers le CEA et ses applications militaires, l’un des principaux responsables des activités du site.

Un accord aurait finalement été trouvé en novembre 2004, mais aucune annonce officielle de la part des industriels ou des ministères de tutelle ne l’a publiquement confirmé. Seul un article dans la presse natio-nale a fait état publiquement de ce nouvel accord (Les Échos du 26 novembre 2004).

Cet accord prévoit que Cogema et EDF versent une soulte libératoire au CEA qui deviendra alors l’unique responsable technique et financier du démantèlement et de l’assainissement du site de Marcoule. Le nouvel accord a de nombreuses conséquences économiques, sociales, juridiques et éthiques. La Cour des comptes souligne notamment et à juste titre que cet accord constitue de fait un transfert de responsabilité des industriels vers l’État : « (…) une telle solution entraînerait le transfert des risques techniques et financiers, aujourd’hui répartis, sur un établissement public, c’est-à-dire indirectement l’État, puisque les ressources du CEA sont essentiellement constituées de subventions ».

Il remet donc directement en cause le principe « polleur-payeur ». La soulte libératoire libère en effet totalement EDF et Cogema de leur responsabilité vis à vis de la gestion à long terme du site et des déchets, alors que de grandes incertitudes existent sur les coûts totaux du démantèlement du site et sur la destination finale des déchets.

Des propositions

La loi débattue en 2006 devrait impérativement prendre en compte la responsabilité financière des industriels sur la base du principe du « pollueur/payeur », du principe de précaution et du principe de transparence et de contrôle. Elles doivent en particulier s’appuyer sur :

  • Une révision des estimations des coûts de démantèlement, cette révision devant en outre être faite de manière régulière à l’image de ce qui se fait dans d’autres pays ;

  • La mise en place d’une gestion séparée des fonds de démantèlement, qui est la plus à même de « protéger » les provisions collectées ;

  • Une refonte du dispositif de contrôle ; l’exigence de garanties supplémentaires aux exploitants pour couvrir le risque irréductible qui pèse sur la collecte et la disponibilité des provisions.

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