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La journée internationale de la femme et du… soja

Luc Vankrunkelsven

03 / 2005

Il y a 13 ans, une de mes amies a décidé de mettre fin à ses jours. Exactement pendant la Journée Internationale de la femme ! Ce jour-là, je devais faire un discours pour la « Jonge Kerk » [La jeune église], à Aalst, et je n’ai appris la nouvelle que le lendemain : dans la matinée du 8 mars 1992, elle s’est jetée sous un train…

Année après année, c’est toujours, pour moi, un jour spécial. Cette amie souffrait de ce dont souffrent de nombreuses femmes et le côté féminin de la vie. Personnellement, je peux avoir une certaine idée du problème dû au « groupe de soutien aux victimes d’inceste » que nous avons aidé à créer en 1987, à Averbode. Tous les ans, la Journée Internationale de la Femme aborde avec toujours plus de force et de voix les formes d’oppression auxquelles les femmes sont soumises. J’ai également cette impression ici au Brésil. Dans la presse, le sujet n’est pas ignoré. À Curitiba, je participe à une journée de débats concernant la question du « genre ». Près de 600 femmes du MST ont répondu à l’appel. En réalité, la rencontre a lieu sur deux jours mais, un après-midi, j’ai la possibilité d’accompagner Paulo Mayer. C’est donc, un « homme », mais il se consacre de plus en plus au thème de « l’agroécologie et du genre ». Qu’est-ce que l’inceste et la violence sexuelle contre les femmes ont à voir avec la destruction et la violation de la nature, des peuples indigènes ?

L’insertion sociale

Il s’adresse à ces femmes battantes du MST brésilien de manière impressionnante. Voici quelques bribes de ses interventions.

« Quel est le rêve d’un agriculteur ? » Il regarde l’assistance. Les 1 200 yeux féminins et les 600 bonnets rouges sont rivés sur lui.

« Exactement : un tracteur, une moissonneuse batteuse et une production importante ! L’homme moyen veut produire pour le marché et, si possible, pour le marché international. »

« Qu’est-ce qu’une femme défend ? Quel est le rapport entre « genre » et « agroécologie » ? Elles sont assises sur la pointe de leurs chaises. Une personne de la crèche s’empare du micro : « Dans la crèche, une fillette n’arrête pas de pleurer. Elle veut voir sa maman. La « maman » pourrait-elle venir un instant ? »

« Les femmes défendent la reproduction de la vie. Le genre défend « l’insertion sociale » : les femmes, les hommes, les enfants, la nature. La production également, mais pas seulement une production de biens de marché, éloignée de la vie comme un tout. La vision féminine de l’agriculture est celle de la reproduction de la vie, elle est globaliste, dans laquelle tout a sa place et tout a une interaction. La ferveur est également une partie organique de cela.

L’agroécologie représente la préservation et la récupération de la diversité de la nature et de l’agrodiversité dans la propriété. Ce qui veut dire que la « Révolution verte » n’a pas uniquement conduit à planter du soja. Non. Nous allons également produire pour notre subsistance et avec la plus grande diversité possible. Les femmes ont toujours été responsables de la diversité génétique dans le monde. Le rapport entre « genre et agriculture » évoque beaucoup plus la « polyculture » que la « monoculture ».

Durant son discours et, surtout, en pensant à l’agrobiodiversité dans la polyculture, je me remémore la pratique des femmes indiennes. Vandava Shiva l’exprime parfaitement bien avec des mots, dans son discours « Satyagraha van het zaad » [La force de la vérité de la semence]. (1)

La diversité porte ses fruits

Je pense aussi à Sidimar Luiz Lavandoski. Durant la conférence, la semaine dernière à Chapecó, il a expliqué assez clairement comment les agriculteurs étaient devenus « hétéronomes » au fil de ces 30 dernières années. Sidimar : « Aujourd’hui, de nombreux agriculteurs ne plantent que du soja et du maïs. Mais en faisant un calcul assez simple, on se rend compte que, en comparant avec cette uniformité de la production, le retour à la subsistance serait très bénéfique pour la famille.

Une famille consomme, en moyenne, un kilo de riz par semaine. Cela représente 52 kilos à R$ 2/kg, soit, R$ 104 par an. Cela signifie que la famille doit produire 25 sacs de maïs de 60 kilos pour répondre à ses besoins de 52 kilos de riz. »

J’ai demandé : « Sidimar, je n’ai pas compris : 25 sacs de 60 kilos contre 52 kilos ! Vous pouvez m’expliquer. »

Le censé descendant de polonais Lavandoski de répondre : « Ici, nous aimons tout calculer en sacs de 60 kilos. Dans le modèle de l’agrobusiness, la production d’un hectare de maïs coûte à l’agriculteur 60 sacs de maïs. En moyenne, il a seulement une production de cent sacs de maïs. Cela peut varier entre 140 sacs et, sur une année comme celle-là, de sécheresse extrêmement prolongée, 40 sacs. Aujourd’hui, de nombreux agriculteurs ont tout perdu. C’est-à-dire que pour chaque sac qui reste pour acheter quelque chose en dehors de la propriété, l’agriculteur a besoin de trois ou quatre sacs de maïs. Voilà comment j’obtiens les 25 sacs pour les misérables 52 kilos de riz. Si les familles cultivaient elles-mêmes un peu de riz, de haricots et des fruits, elles vivraient bien mieux. L’exode rural diminuerait. »

La diversité augmente l’indépendance

Paulo continue : « Vous luttez pour la réforme agraire qui est fondamentale, mais il ne s’agit pas seulement de redistribuer les terres. Si, dans les accords, le modèle agricole n’est pas modifié, vous continuerez à être « intéressants », et dépendrez des fournisseurs de semences et de pesticides capitalistes. Et pour acheter la production, vous devrez encore taper à la porte de Bunge ou Cargill. Non. La production pour la consommation propre est le premier pas fondamental dans le combat contre le capitalisme. Et ce pas est plus facilement franchi par les femmes et par les jeunes que dans la culture masculine dominante. Dans le modèle dominant, le soja est la culture de la mort. Vous défendez la culture de la vie ! Votre terre doit être vivante et non morte. Les colonisateurs européens ont amené avec eux la culture des céréales mais, en réalité, il serait préférable de cultiver du maïs et des pommes de terre ici. D’ailleurs, au Brésil, la biodiversité est très importante et elle produit beaucoup plus par hectare que le soja. Par exemple, les pommes de pin : elles peuvent donner jusqu’à 2 800 kg/ha, pouvant être cultivées et cueillies avec peu voir sans mécanisation. Le pignon, le fruit de ce conifère, possède une forte teneur en protéines. La culture du soja exige de nombreux investissements et produit, en moyenne, seulement 1 800 kg/ha ; avec une grande quantité d’intrants et une mécanisation importante, elle atteint parfois 3 500 kg/ha. Dans le cerrado, il existe le macauba, un palmier qui produit 3 500kg/ha, avec une teneur en huile de 38 %. Le baru, une autre variété d’arbres du cerrado, a une teneur en protéines importante. Ou le buriti, le champion en vitamine A. Face à cela, il n’y a nul besoin de manipulation génétique du riz ! (2)

Il donne un autre exemple : « Les tomates sauvages des Andes, que vous pouvez cultiver, sont très riches en fer et en vitamines. Les tomates « améliorées » que l’on trouve sur les marchés ne contiennent pratiquement pas de fer. Les entreprises qui fournissent des semences et des pesticides sont les mêmes qui produisent des médicaments. Elles ont donc un intérêt à ce que ces tomates ne contiennent aucun fer. Votre intérêt, ce sont des tomates bonnes pour la santé et des plantes médicinales que vous pouvez vous-même cultiver. »

La guerre chimique et la consommation de viande

Ensuite, je demande prudemment : « Paulo, je me demande pourquoi, tout en ayant mentionné les poules et les moutons, vous avez peu parlé de viande. Alors que samedi, je vous ai vu tuer un mouton et manger la viande avec envie. Vous avez parlé du « modèle de la mort » et de tuer… Pour pouvoir manger de la viande il n’est pas nécessaire de tuer ? »

« On peut tuer pour détruire et tuer pour vivre. Les peuples indigènes d’ici ont toujours chassé et ont tué, mais ils n’ont pris que ce qui leur était nécessaire. »

Puis, il me donne un cours sur l’histoire de l’agriculture et de l’alimentation. C’est vraiment extraordinaire : un brésilien qui sait argumenter en s’appuyant sur tant de faits historiques. De plus, il possède de grandes connaissances techniques (et pas moi) et il a une vision politique des choses.

Je vous ferai grâce de l’introduction sur la situation de l’alimentation au Moyen-Âge et de la poudre inventée par les Chinois pour arriver à la Première Guerre Mondiale. À ce sujet, il confirme ce que Sebastião Pinheiro a exposé dans son Abécédaire illustré : le lien entre l’industrie de la guerre et l’agriculture basée sur les produits chimiques. (3)

Après la Première Guerre mondiale, il y avait un surplus important d’explosifs et de résidus de la guerre chimique. Ces produits ont massivement été convertis pour un usage agricole, ce qui, 20 ans plus tard, a aboutit à un surplus dans la production d’aliments et à une chute des prix. Ce scénario a été l’une des principales causes de la dépression économique des années 1930.

Et pourquoi autant d’aliments ? Lorsque l’on applique, pour la première fois, des engrais chimiques (en particulier des engrais azotés), sur un sol riche en matière organique, ceux-ci « brûlent » l’humus, ce qui conduit à une production importante. Après deux ou trois ans, on assiste à une baisse de la production. Mais là, l’agriculteur est déjà dépendant des engrais chimiques pour maintenir ses productions.

Chaque fois que, dans l’histoire de l’humanité, on a assisté à une augmentation de la production d’aliments, on a également assisté à une augmentation de la population. Durant la période connue sous le nom de « Grande dépression », les économistes nord-américains (et non des ingénieurs agronomes !) ont eu la « brillante » idée suivante : « Nous devons restructurer l’agriculture ». C’est ainsi qu’est né le plan de produire de la viande sur la base de l’alimentation animale. En effet, si l’on produit uniquement des aliments, on gagnera beaucoup moins qu’avec l’alimentation pour animaux. « Ration = réduction des aliments ». C’est-à-dire que « l’invention » et l’usage massif de rations ont eu comme objectif principal de réduire le surplus d’aliments dans le monde, pour favoriser l’accumulation de capitale… À cette époque, il fallait encore dix kilos de nourriture pour animaux pour produire un kilo de viande (actuellement il faut quatre kilos de nourriture pour animaux pour un kilo de viande) ; le calcul pour les volailles serait encore plus édifiant. Et c’est ainsi que le maïs hybride est devenu un instrument important dans la lutte contre la dépression. »

Cent kilos de soja – quarante kilos de protéine brute – trois kilos de protéine sous forme de viande

À ce sujet, je commence à y voir un peu plus clair. Il y a quelques temps, Wervel a traduit la première partie du livre nord-américain : ‘First the seed’ [« Tout d’abord, les semences »] (4). Le contenu du texte affirme qu’en 1935, le maïs hybride était largement cultivé aux USA et qu’il a joué un rôle important dans le rétablissement économique du pays.

Paulo : « Après la Seconde Guerre mondiale, la situation était la même. Mais à cette époque, la science avait fait des progrès dans la chimie moléculaire. Voilà pourquoi les pesticides ont pu être inventés. Que se passe-t-il lorsque l’on fournit des engrais chimiques azotés à une plante ? Outre le fait qu’elle grandisse plus, la plante produit une quantité plus importante d’acides aminés, ce qui augmente l’attaque des insectes et des maladies spécialisés dans la consommation des acides aminés.

Enfin, sur cette base de la multiplication du capital idéalisée par les économistes durant les années 30 que s’appuie la « Révolution verte » des années 60. C’est une progression évidente de la logique économique, et pas nécessairement agronomique, des années 30. C’est à cette époque donc, que le maïs hybride (5) a fait son apparition comme élément clé pour l’industrie croissante de l’alimentation animale. Ensuite le soja a été ajouté à l’alimentation animale. Aujourd’hui, l’alimentation animale contient une importante variété de particules protéiniques et énergétiques, dépendantes du prix sur le marché mondial lors de l’acquisition de la matière première. Aujourd’hui, si l’on produit cent kilos de soja, on obtient 40 kilos de protéine brute qui sont réduits à trois kilos de protéine animale (viande). Pourquoi cela ? Parce qu’à chaque niveau trophique, seul 10 % d’énergie du niveau précédent sont récupérés en moyenne. Si nous ne pratiquions pas l’élevage selon ce modèle mais selon un modèle agroécologique, nous pourrions contribuer de manière plus durable à, en peu de temps, nourrir 6 milliards de personnes sur la planète. La faim dans le monde est un problème politique et d’absence de distribution des revenus. Au Brésil, une poule élevée en plein air ne se nourrit pas de soja bio ! Elle picore et s’alimente des restes qu’elle trouve, de semences, de plantes endémiques, d’insectes et de lombrics. Le soja bio est réservé à l’Europe, étant donné que son cours dépend du dollar ».

À l’avenir, lorsque la population de notre planète aura, peut-être, doublé, il faudra consommer plus de protéine végétale au lieu de réduire la protéine animale.

« Pourrons-nous continuer à manger autant de viande ? »

« Non. Au fil des années, le prix de la viande deviendra prohibitif. Seuls les plus riches pourront en consommer, aussi bien au Brésil, qui consomme, aujourd’hui, énormément de viande, qu’en Europe ».

1 Voir : ‘Wervel-forum 1’: ‘Patent op leven?’ [Contribuer à la vie ?], Bruxelles, 1998, Mahatma Gandhi prônait le «Satyagraha» [Le pouvoir/la force de la vérité]. Et, seul, il a démasqué le mensonge et a mis à nu l’empereur (dans ce cas, le pouvoir colonial britannique). Pour Gandhi, extraire son propre sel et tisser ses propres tissus étaient des actes d’autonomie par rapport à l’Empire Britannique. Pour Vandana Shiva et les agriculteurs indiens d’aujourd’hui, c’est la préservation de la diversité des semences en polycultures qui représente la lutte pour l’autonomie face à l’Empire de Monsanto, de Cargill, d’Aventis et d’autres empereurs des industries des semences et des produits chimiques. Justement aujourd’hui, 8 mars 2005, l’Office européen des Brevets a émis son avis sur un cas vieux de dix ans concernant l’octroi d’un brevet, à des multinationales, sur les composts de ‘neem', une variété d’arbre indienne. Après dix ans, Vandana Shiva de Navdanya-India, Magda Aelvoet des ‘Europese Groenen’ [Verts européens], du Parlement européen et l’Ifoam, l’Organisation internationale pour l’Agriculture bio, ont obtenu gain de cause dans leur lutte contre l’aliénation des ressources génétiques du peuple indigène. Pour de plus amples informations sur ce sujet capital, voir : www.navdanya.org, www.greens-efa.org, www.ifoam.org
2 Paulo fait référence à deux sites où l’on peut trouver de nombreuses informations : www.trabalhoindigenista.org.br et www.frutos-do-cerrado.com.br. Voir également : www.condominiobiodiversidade.org.br
3 ‘Wervel-forum 5’, “Landbouw, markt voor chemische wapenindustrie in vredestijd?”, édité par Wervel en collaboration avec Pax Christi Vlaanderen e KWB [Katholieke Werknemersbeweging, Mouvement des Travailleurs Catholiques], 2002. Titre en portugais : ‘Cartilha dos agrotóxicos’ (Abécédaire des pesticides). Canoas, RS : Fondation Juquira Candiru, COOLMÉIA, 1998. 66 pages, de Sebastião Pinheiro, avec des illustrations de Eugênio de Faria Neves.
4 ‘Wervel-forum 4’: ‘Onedele zaadveredeling?’ [Amélioration de mauvaises semences ?] (Note du traducteur : Dans le texte original “ignobil” – qui n’est pas noble, bas, dépréciatif, vil, abject.), auteurs : Jack Kloppenburg, Dirk Holemans et Dirk Reheul. L’axe central de ce Wervel-forum est la préface du livre ‘First the Seed’, de Jack R. Kloppenburg. Edition de janvier 2001.
5 Si, aujourd’hui, la production de soja dépasse les 200 millions de tonnes, la production de maïs est de près de 600 millions de tonnes.

Key words

gender, woman and violence, agriculture, biodiversity protection, biodiversity, soy


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Des navires qui se croisent dans la nuit : une autre image du Soja

Notes

Ce texte est extrait du livre « Navios que se cruzam na calada da noite : soja sobre o oceano » de Luc Vankrunkelsven. Edité par Editora Grafica Popular - CEFURIA en 2006.

Il a été traduit du portugais par Elisabeth Teixeira.

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