09 / 2007
La notion de mixité sociale est de plus en plus utilisée dans la construction des politiques du logement. Mais les incertitudes autour de sa définition et les présupposés idéologiques qui lui sont rattachés en font également une notion très contestée.
Incertitude de la notion, acceptions positives et négatives
La mixité sociale est à la fois un état : la cohabitation sur un même territoire de groupes sociaux aux caractéristiques diverses, et un processus : le fait de faciliter la cohabitation sur un même territoire de groupes divers par l’âge, la nationalité, le statut professionnel, les revenus afin d’avoir une répartition plus équilibrée des populations. Prise par l’un ou l’autre de ces aspects la notion reste imprécise et soulève débats et polémiques. Elle peut ainsi être mise en valeur et justifier d’importantes dispositions des politiques du logement et dans le même temps être accusée d’accentuer la ségrégation sociale et ethnique.
A ce double aspect d’état décrit ou de processus mis en œuvre s’ajoute une incertitude lexicale, on parle indifféremment de mixité, de diversité, de brassage… Ces termes sont certes très proches mais les contextes dans lesquels ils sont repris leur donnent des connotations diverses. Par ailleurs l’idée même de diversité entendue comme processus, c’est-à-dire l’organisation incitative ou imposée de la cohabitation, porte en elle deux incertitudes majeures : l’échelle d’action (de la cage d’escalier à l’agglomération) et surtout les critères retenus (niveau de revenu, nationalité, âge, appartenance supposée à un groupe ethnique ou religieux…).
Dans leurs acceptions positives, les discours sur la mixité sociale posent le principe d’une ville ouverte harmonieuse et hétérogène où la lutte contre la ségrégation et la hantise du ghetto sont d’autant plus fortes que l’on se place, en France, dans un système égalitariste et universaliste. Ainsi, depuis au moins 15 ans, la référence à une exigence de diversité ou de mixité sociale figure régulièrement dans le discours politique ainsi que dans la réglementation française. Cependant l’affirmation de ce principe de diversité se situe souvent dans le registre de l’incantatoire et l’incertitude de sa définition laisse planer le risque d’une utilisation inverse de la notion qui servirait des pratiques discriminatoires. En effet, il existe derrière l’idée de mixité des objectifs, valeurs et pratiques attachés à des acceptions historiques d’ordre morales plus que politiques :
“L’éducation” des couches populaires par la proximité de couches sociales supérieures. C’est l’idée historique de la mixité, dès la fin du 19ème siècle, selon laquelle la coexistence de plusieurs couches sociales sur un même lieu favoriserait la cohésion sociale. Cette ligne argumentative est encore aujourd’hui à la base de certains arguments de défense de la diversité sociale. Pourtant dès 1970 Chamboredon et Lemaire montraient, dans un article resté fameux (1), que la proximité spatiale n’entraînait pas forcément de proximité sociale, exacerbant au contraire les marquages et les distances et déstabilisant les sociabilités existantes.
La déconcentration des populations pauvres ou immigrées. Cette deuxième idée, en partie liée à la première, explique que la plupart du temps la diversité sociale se fait “par le bas” (et très souvent en lien avec la question du logement social, de sa construction, de sa diversification et de son peuplement) en tentant de faire venir des classes moyennes dans des quartiers populaires. Elle se base sur l’idée que la concentration de pauvreté est synonyme de tension sociale et que celle d’immigrés empêche leur intégration dans la société.
La lutte contre la discrimination et la ségrégation par l’introduction de la mixité sociale dans la loi. Cette acception plus positive a porté la diversité ces dernières années dans le discours public et notamment dans les dernières lois relatives aux questions urbaines et du logement. Affirmée sous le terme de “mixité”, la notion est ainsi associée à l’hébergement des personnes défavorisées (loi Besson 1990) ou encore à la construction de logements sociaux (loi Solidarité et renouvellement urbain 2000). Elle est donc aujourd’hui “mobilisée comme moyen privilégié de reconstruire du lien social ou de la cohésion et permettrait d’éviter l’exclusion dans ses manifestations spatiales les plus aiguës” (2) . Elle se traduit cependant par les mêmes moyens qu’hier, agissant principalement dans les quartiers de logements locatifs sociaux pour disperser les populations pauvres et faire venir des populations plus riches.
Transposition de la notion de mixité dans les politiques du logement
L’introduction de mixité sociale et la revitalisation socio-économique sont devenues les deux principales justifications de la mise en place de politiques de rénovation urbaine dans les quartiers populaires et les quartiers de grands ensembles de logements sociaux construits dans les années 60/70. La volonté d’introduction de mixité sociale s’est alors traduite principalement par deux canaux : par la construction de logement social (instrument “traditionnel” des politiques de logement à destination des classes moyennes et populaires) et par la volonté de déconcentration des quartiers pauvres (vision historique et morale de la mixité).
La réponse par la construction de plus de logement social dans les villes qui n’en possédaient pas assez, a été mise en œuvre depuis 2000 autour de la loi Solidarité et renouvellement urbain. Cette loi impose un minimum de 20 % de logements sociaux dans toutes les communes des agglomérations de plus de 50 000 habitants. C’est une importante avancée qui permet d’augmenter l’offre globale de logements accessibles, mais elle possède ses limites et effets pervers :
Certains maires refusent de l’appliquer, préférant payer des amendes.
Elle n’empêche pas de continuer à créer des quartiers de logements sociaux séparés du reste de la ville.
Une fois les 20 % atteints, certaines communes ralentissent la construction ou tentent de diminuer le pourcentage par des ventes et des démolitions.
On peut enfin questionner l’utilisation même du logement social comme outil servant la mixité étant donné que le logement social est défini de manière de plus en plus large allant jusqu’à loger des classes moyennes supérieures (construction de plus en plus de logement social “peu social”, accessible en terme de revenus à 70 % de la population).
En plus de cette loi, certains maires expérimentent l’introduction de mixité sociale à l’échelle de chaque opération de construction en imposant un pourcentage de logements sociaux dans tout programme de construction neuve.
Les réponses qui réinscrivent la mixité dans ses présupposés classiques se traduisent par les politiques de peuplement du logement social et par les politiques de rénovation urbaine mises en œuvre dans les quartiers populaires. Ainsi on note que certains bailleurs sociaux ont des pratiques discriminatoires dans l’attribution des logements sociaux au nom de la mixité (3).
Parce qu’il ne faudrait pas à l’échelle d’une cité ou d’un immeuble que trop de personnes d’une même origine soient concentrées, on refuse d’attribuer des logements en créant des catégories ethniques de manière artificielle.
Par ailleurs, à un niveau plus global, l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) mène une politique d’intervention dans les quartiers de logements sociaux avec l’idée qu’il convient d’agir sur le logement pour améliorer les difficultés socio-économiques des habitants. Au nom de la mixité sociale, l’Anru impose d’élaborer des projets urbains incluant des démolitions de logements sociaux et la construction de logements intermédiaires et en accession à la propriété. On touche ici à l’idée historique de la lutte contre les concentrations de pauvres et d’immigrés qui seraient néfastes à leur intégration dans la société. Ces politiques s’appuient sur des présupposés idéologiques très contestables (l’habitat criminogène, l’éducation des couches populaires par la proximité de couches supérieures…). Elles sont par ailleurs d’autant plus absurdes qu’elles s’inscrivent dans un contexte de crise du logement et de difficulté d’accès à des logements décents et abordables pour des populations démunies. La démolition n’est, en aucun cas, aujourd’hui une politique à mettre en œuvre dans la précipitation.
Mixité sociale et droit à la ville
La demande des habitants des quartiers populaires est simplement de ne pas être enfermés en tant que “pauvres”. La réponse par la mixité sociale et la diversification de l’habitat est une formalisation de cette demande par l’appareil administratif.
Or la demande du droit à la ville n’est pas une demande de vivre dans un quartier hétérogène au niveau social et ethnique, c’est la demande de pouvoir choisir son lieu de vie et d’avoir accès aux transports, aux équipements, aux services.
Sous ses différentes acceptions, la diversité sociale entretient une relation plus qu’ambiguë avec la discrimination et la ségrégation. Or les concentrations de certaines populations présentant les mêmes caractéristiques ne présentent pas de difficultés en elles-mêmes en ce qu’elles renvoient à la liberté de chacun de vivre où il le souhaite. Il y a problème quand ces concentrations sont subies, quand elles résultent d’un processus de discrimination.
Les quartiers populaires, qui répondent en outre à des besoins, ont un droit à l’existence. Il convient de distinguer alors une agrégation, résultat d’aspirations individuelles dans une société où il existe des différenciations sociales ; et une ségrégation plus durable, relégation qui affecte des territoires de dimension variable où des groupes sociaux ne peuvent pas mettre en œuvre leurs droits fondamentaux.
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, France
Entre l’Etat, le marché et les habitants, quel avenir pour le logement en France ?
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