C’est comme si nous étions revenus au XVIIe siècle. Dans différents endroits du Brésil, il y a des confrontations entre les grands propriétaires fonciers et les peuples indigènes : dans le Mato Grosso do Sul les Guarani veulent récupérer leurs terres avec les armes ; dans le Mato Grosso, les terres ancestrales des Xavante produisent du soja et, depuis octobre 2002 (après 11 ans d’attente), ils sont décidés à exiger qu’on leur rende leurs terres (1) ; dans le Rio Grande do Sul, les Kaingang ont commencé, récemment, à manifester pour revendiquer leur droit à leurs terres ; l’un des états les plus au nord du pays, Roraima, est une zone de conflit depuis des mois car le gouvernement fédéral a délimité 1,7 million d’hectare de terres comme réserve indigène. C’est principalement au Paraguay que la situation est dramatique. À la demande de l’ancien dictateur, Alfredo Stroessner, les Brésiliens, dans les années 70, ont été invités à élargir la frontière agricole dans ce pays et, ainsi, réaliser, des déforestations à grande échelle. Aujourd’hui, 30 ans après, 450 000 « Brésiguayens » vivent sur ces terres (Contraction de Brésiliens et de Paraguayens), parmi lesquels de grands planteurs de soja, mais aussi de petites propriétés d’agriculteurs familiaux. Les grands propriétaires fonciers ont chassé les Guarani et utilisent ces indigènes comme main d’Ĺ“uvre esclave dans leurs propriétés. Des dizaines d’enfants et d’adultes de l’ethnie Guarani sont déjà morts du fait des doses importantes de pesticides qui sont utilisées pour la culture du soja (principalement). Le plus tragique c’est qu’il s’agit là du même peuple qui, il y a des siècles de cela, a été asservi par les Portugais et qui, dans les années 1980, a été chassé par la centrale hydroélectrique de Itaipu. Ce projet commun du Brésil et du Paraguay a inondé des surfaces immenses, sur plus de 300 kilomètres. Les Guarani ont de nouveau été expulsés et les agriculteurs familiaux se sont retrouvés sans terres. Le destin des indigènes, il y a des siècles, nous a été conté à l’époque par le film romancé « The Mission » [Mission]. Mais les victimes ne sont pas l’apanage du XVIIe siècle. L’année 2003, la première année du gouvernement de Lula, est marquée par un record en occupations et victimes autour de conflits agraires (2).
Que se passe-t-il au Paraguay ?
Tout d’abord, un rapport de faits.
La région frontalière entre le Paraguay et le Brésil est actuellement contrôlée par une majorité de Brésiliens (450 000 personnes ou 8 % des 5,5 millions d’habitants du Paraguay), appelés « Brésiguayens », et une minorité de Chinois, de Japonais, de Nord-américains et d’Allemands. Ce qui correspond à 1,3 million d’hectares, soit 13 mille Km2 (près de 1/3 de la Belgique), des meilleures terres du continent, réparties en six états du Paraguay. Du fait du haut degré de mécanisation et du rendement élevé par hectare (3), cette région est, à l’heure actuelle, la plus riche du Paraguay. Le phénomène a fait du pays le cinquième producteur de soja au monde et le troisième producteur de viande.
Le général et dictateur d’extrême droite, Alfredo Stroessner, a invité les Brésiliens, au début des années 70, à des fins militaires. Ainsi, il a suivi l’exemple du Brésil qui, dans les années 30, a organisé la « marche vers l’Ouest ». De telles occupations de frontières sont, historiquement, accompagnées de beaucoup de violence, de déversement de sang et d’exclusion des peuples indigènes (4). Dans les années 60, la frontière agricole avançait déjà avec la vente de grandes étendues de terres à des complexes agro-industriels étrangers. C’est ainsi qu’est né, également au Paraguay, le conflit mondial entre « l’agriculture familiale » et « l’agriculture industrielle, tournée vers l’exploitation ».
Depuis ces 5 dernières années, on recense 15 morts dus à ce conflit qui aujourd’hui revêt une connotation raciste : « Dehors, les Brésiliens ».
Le ministère de la Santé a enregistré, pour l’année 1999, 430 morts et 1066 cas d’intoxication due à l’utilisation abusive de pesticides dans la culture du soja. En novembre 2003, 500 familles ont été intoxiquées à cause de l’utilisation élevée de pesticides dans la culture du soja. Il s’agissait de propriétés appartenant l’une à un allemand et l’autre à un japonais. Le bétail, les volailles et les légumes ont également été contaminés, dans toute la région de San Pedro.
Les paysans et les Indiens Guarani unis dans la résistance
Les paysans et les Guarani n’acceptent plus la situation et ont décidé de résister. Avec l’aide de politiciens et de la Confédération Nationales des Evêques du Paraguay, ils ont commencé à occuper des terres et à renvoyer les Brésiliens. Des menaces de mort ont même été proférées. À l’heure actuelle, 80 000 agriculteurs sans terre sont organisés en 32 mouvements.
Ils ont toutes les raisons du monde pour agir ainsi mais, ici aussi, le conflit majeur entre deux modèles agricoles est de nouveau ignoré. Les petits agriculteurs familiaux subissent, aujourd’hui, une forte pression alors que c’est à cause des grands propriétaires que les Guarani sont réduits à l’esclavage. Ce sont eux qui provoquent les intoxications. Les enfants des agriculteurs familiaux sont ceux qui souffrent le plus. Outre ce problème, ils se retrouvent (quant à l’identité culturelle) entre deux pays : ils ne se sentent ni Brésiliens ni Paraguayens.
Par conséquent, « les droits de l’homme » sont étroitement liés à la production du soja. De là, la beauté de l’organisation, en ce début d’année 2004 (printemps en Europe), d’une rencontre entre agriculteurs pour définir les critères de production d’un soja social, économique et environnemental durable, coordonnée par « Rios Vivos », dans le Centre-Ouest du Brésil et par la Fetraf-sul/CUT dans le sud du Brésil. Certaines organisations hollandaises ont participé à cette rencontre et à son financement. Le but final était d’importer ce soja (plus) durable produit, entre autres, par des agriculteurs familiaux vers le port de Rotterdam. Vous en avez sûrement beaucoup plus entendu parlé que moi.
Cette chronique est la dernière sur le soja envoyée depuis le Brésil. À partir de la mi-février jusqu’à fin mai, mes chroniques sur le soja vous seront envoyées depuis l’autre bout de l’océan. Nous autres, Flamands et Hollandais, avons également nos opinions sur le soja et sa complexité.
Depuis le Brésil et l’Europe, dans les ‘Both Ends’ [des deux côtés] (5), nous travaillons ensemble pour améliorer la situation actuelle. Sans complexes. Le « lait de soja » lancé ce mois par les Oxfam-Lojas Mundiais, plus de kit de prise de conscience de Wervel, peuvent sûrement jouer un rôle dans ce sens.
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, Paraguay
Des navires qui se croisent dans la nuit : une autre image du Soja
Ce texte est extrait du livre « Navios que se cruzam na calada da noite : soja sobre o oceano » de Luc Vankrunkelsven. Edité par Editora Grafica Popular - CEFURIA en 2006.
Il a été traduit du portugais par Elisabeth Teixeira.
Fetraf (Fédération des travailleurs de l’agriculture familiale) - Rua das Acácias, 318-D, Chapecó, SC, BRASIL 89814-230 - Telefone: 49-3329-3340/3329-8987 - Fax: 49-3329-3340 - Brazil - www.fetrafsul.org.br - fetrafsul (@) fetrafsul.org.br
Wervel (Werkgroep voor een rechtvaardige en verantwoorde landbouw [Groupe de travail pour une agriculture juste et durable]) - Vooruitgangstraat 333/9a - 1030 Brussel, BELGIQUE - Tel: 02-203.60.29 - Belgium - www.wervel.be - info (@) wervel.be