Des espaces d’organisation des paysans pour la revendication de leurs droits
01 / 2007
Dès sa création, le CADI (Comité d’Action pour le Développement Intégral) s’est livré à une observation et une analyse détaillées des conditions de vie des populations du territoire d’Uvira. Les animateurs ont recueilli les témoignages des habitants sur les injustices et les violations de droits perpétrées, qui étaient dans la majorité des cas le fait de représentants de l’autorité publique et d’agents de l’État à la recherche d’un enrichissement par tous les moyens.
Désireux de faire cesser cette situation fondée avant tout sur la peur dont la population était victime, la première ambition du CADI est de mettre les villageois en capacité de mieux connaître et défendre leurs droits. C’est dans cet objectif que le Comité initie ses activités par des séances de vulgarisation de la loi et du droit en milieu rural, faisant le pari qu’en favorisant une prise de conscience des paysans, des dynamiques d’actions collectives et de solidarité viendraient peu à peu remplacer le réflexe de soumission par une population victime de l’oppression du régime. Au départ, les interventions du CADI sont restées extrêmement discrètes, prenant la forme d’un accompagnement des populations, en raison des risques de répression auxquels ce travail exposait les animateurs. En outre, le CADI estimait essentiel de respecter les coutumes des populations rurales, convaincu qu’il est impossible d’espérer un changement si l’on nie l’identité de l’autre. Ainsi, quand bien même certaines de ces coutumes paraissent répréhensibles aux animateurs du CADI, parce que facteurs d’injustice et de violations des droits fondamentaux, la politique de l’association consistait à susciter la naissance spontanée d’un esprit critique au sein de la population, à travers l’information et la formation des paysans.
Dès 1986, on observe un approfondissement du travail de vulgarisation de la loi et du droit mené par le CADI : un socle de connaissances minimum concernant l’action juridique et judiciaire est défini avec l’aide des populations, qui continuent à témoigner auprès des animateurs du CADI des injustices dont elles font l’objet. Les paysans ont pris conscience peu à peu de la valeur juridique et des implications judiciaires de certains actes dont ils font l’objet, comme les convocations et autres « mandats d’amener », pour lesquels ils se sentaient obligés de payer une amende sans autre forme de procès. Certains participants aux ateliers manifestent même la volonté d’acquérir davantage de « savoirs » et de savoir-faire en matière d’action juridique et judiciaire, pour être en mesure de répondre aux attaques dont sont victimes les membres de leurs communautés respectives sans avoir besoin de recourir à chaque fois aux conseils du CADI. Ce dernier met alors en œuvre des formations un peu plus approfondies, destinées à former ce que l’on appelle généralement en Afrique des parajuristes, personnes relais chargées de transmettre aux communautés auxquelles elles appartiennent la connaissance du droit et les savoir-faire nécessaires à son utilisation.
Le CADI a cependant rapidement constaté que le manque d’initiatives et de dynamiques collectives de la part des villageois pouvait nuire à l’efficacité de la défense de leurs droits. Il a alors cherché à susciter la formation de petits noyaux communautaires, appelés Comités Villageois de Développement, chargés de relayer et de pérenniser au sein des différentes communautés les connaissances et les savoir-faire diffusés par le CADI. Très rapidement, ces structures vont permettre aux populations d’envisager collectivement des solutions aux problèmes qui les touchent sans que ne se manifeste le besoin de se rendre là-bas, ce « là-bas » désignant les juridictions officielles, lieux de toutes les humiliations et théâtres de nombreuses injustices.
Afin que ces dynamiques de solidarité ne soient pas assimilées à des actions de subversion et réprimées comme telles, il fallait obligatoirement que la mise en place de ces comités s’accompagne d’actions concrètes en faveur du développement. Pour disposer des moyens nécessaires à la mise en œuvre de ces actions, les villageois se sont mobilisés pour exiger des chefs coutumiers qu’ils reversent à leurs comités une partie des taxes que leur statut de mwami (autorité traditionnelle de l’Est de la République Démocratique du Congo) les autorisait à percevoir au sein de la population. La mobilisation collective des villageois fut telle (grèves, manifestations, refus de payer les taxes…) que certains mwami se virent obligés de se soumettre à la volonté de la population. Dès le début des années 1990, quelques dizaines de comités villageois s’étaient mis en place, et certains d’entre eux étaient parvenus à s’assurer de la sorte des revenus communautaires leur permettant de mettre en œuvre des activités de développement.
Aujourd’hui, la méthode du CADI a été systématisée. L’association intervient dans une zone de plus en plus vaste auprès de groupes de plus en plus diversifiés (une dizaine de comités de jeunes ont été créés, ainsi que plusieurs dizaines de comités de femmes). Dans ses interventions, c’est toujours la méthode de pédagogie dite active qui est utilisée. Les animations sont réalisées sous forme de travaux de groupes, d’études de cas, de pièces de théâtre, etc. Les séances s’articulent autour de 5 temps :
Une première phase d’analyse, qui conduit les participants à dégager les divers aspects des difficultés et des problèmes concrets qu’ils rencontrent au quotidien.
Une deuxième phase d’information sur la loi, qui permet aux couches paysannes souvent très mal informées, n’ayant eu que très peu accès l’éducation formelle, d’obtenir un minimum de renseignements sur leurs droits et les différentes façons d’assurer leur protection.
Une troisième phase d’approfondissement, fondée sur un échange d’expériences vécues que les animateurs commentent en apportant des éléments de connaissance sur la loi et le droit.
Cette troisième phase fait généralement naître chez les participants la volonté de se pencher sur la recherche de solutions appropriées à leurs problèmes spécifiques : c’est la quatrième phase de formation, dite de préparation à l’action. Lors de cette séquence-là, le rôle des animateurs se limite à donner quelques orientations et conseils sur la démarche à suivre, mais les initiatives doivent naître des participants.
Ces séances d’animation s’achèvent enfin par une dernière phase d’évaluation au cours de laquelle les participants sont invités à expliquer clairement comment ils comptent mettre en pratique les acquis de la formation. C’est à ce moment-là que s’exprime la volonté d’organisation solidaire des populations au service de la défense de leurs droits.
Le CADI est généralement sollicité dans les jours qui suivent par les populations qu’il a formé pour leur apporter un appui dans le cadre de la création de comités villageois. Cet appui se concrétise souvent à travers l’organisation d’ateliers d’échanges d’expériences entre les différents groupes ou de séances de sensibilisation sur des thématiques choisies par les membres des comités villageois.
Aujourd’hui, l’action du CADI est régulièrement saluée et soutenue par les principaux partenaires de développement de la région (Coopération Canadienne, Missions des Nations Unies, ONG internationales…). Cela lui confère une légitimité et une renommée qui lui permettent de poursuivre son action et de tenir de plus en plus tête aux autorités locales, lorsque celles-ci font preuve d’un manque de respect des droits fondamentaux.
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, Democratic Republic of the Congo
Renseignements :
CADI - Comité d’Action pour le Développement Intégral
Adresse : B.P. 119 Uvira, REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO(RDC) - cadidh@yahoo.fr, contact : M. Majaliwa Kanazi (Coordinateur) / Benjamin Migabo Muderwha
Interview ; Report
Entretien réalisé avec l’équipe du CADI, au siège du CADI, le 17 novembre 2006.
Visites de terrain réalisées dans les territoires d’Uvira et de Fizi les 16 & 17 novembre 2006.
Rapports d’activités du CADI (1989-2005).
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