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Le cannabis, dangereux eldorado pour le Rif marocain

Dans les montagnes marocaines, la production de cannabis génère énormément de devises. Pourtant, la misère perdure… tout au moins chez les agriculteurs.

Davina FERREIRA

11 / 2006

Le Maroc, fournisseur numéro 1 de l’Union Européenne

Le Rif, région montagneuse donnant sur la Méditerranée, est traditionnellement producteur de cannabis utile à son artisanat, tel que le tressage de paniers. Sous le protectorat français, seul le gouvernement espagnol continue à autoriser sa production, alors que le « Maroc français » a déjà signé une convention internationale interdisant sa commercialisation (1932). Avec le mouvement de libération des mœurs des années 60 en Europe, la demande en haschisch augmente de façon incontrôlée. D’abord importée du Liban, jusqu’au milieu des années 1980, la drogue est de plus en plus souvent achetée au Maroc, si bien que ce dernier devient le premier fournisseur du marché européen. Le commerce du kif, de l’arabe kef qui signifie plaisir, génère vingt-deux milliards de dollars à l’année, à raison de 6 à 7 dollars le gramme. Le Maroc consacrerait en moyenne 150 000 hectares de terre à la culture du cannabis, principalement dans les montagnes du Rif et dans la région de Souss.

Le kif et l’argent du kif

La région du Rif est par nature une région peu propice aux cultures agricoles. La chaîne montagneuse qui la traverse d’est en ouest en occupant la plus grande partie du territoire, ses pentes très prononcées, ses hauts sommets, ses encaissements et ses précipices rendent difficile le développement d’une agriculture de rente qui puisse aller au-delà de l’auto-consommation. Avec 130 habitants au km2, la population du Rif, très élevée pour de telles conditions naturelles, vit essentiellement de la culture du cannabis. Pourquoi ? Parce que le cannabis requiert peu d’espace pour une rentabilité inégalée. Certes, les paysans ne gagnent que de 1 à 5% de sa valeur finale sur le marché, mais les 10 000 à 70 000 dirhams (900 à 6300 euros) qu’ils touchent à l’année sont bien plus élevés que ce que pourrait leur rapporter une culture traditionnelle. Quant aux trafiquants, ce sont eux les mieux lotis, avec des revenus atteignant des millions, voire des milliards. Si tout le monde semble heureux, où est donc le problème ? Les implications de ce commerce sur la société rifaine et sur son territoire sont très nombreuses et critiques.

Tout d’abord, la monoculture du cannabis depuis de longues années a nettement dégradé les terres, qui sont aujourd’hui pratiquement stériles. En effet, la hausse de la demande a provoqué le besoin en terrains encore cultivables. Le résultat en est l’extension de la production vers les régions voisines, une fulgurante hausse des prix de vente des parcelles, et surtout la destruction d’hectares de forêt et des espèces qu’elles abritaient. En 20 ans, la surface forestière de la région à diminué de 40%.

La société rifaine, quant à elle, se trouve totalement destructurée par ce fonctionnement. Même si les millions de dollars générés ont permis aux paysans d’accéder à la « vie moderne », de s’acheter des voitures et autres biens de consommation, ceux-ci n’en restent pas moins analphabètes. Cette hausse des conditions de vie, sans la hausse du niveau de vie, a marqué un changement considérable dans la pyramide sociale, et notamment la perte des valeurs traditionnelles communautaires. Cette nouvelle « élite » aisée n’a ni l’intérêt ni la capacité à contribuer à un développement économique dans les montagnes du nord. Le Rif n’est plus auto-suffisant, l’abandon de l’agriculture et de l’élevage traditionnel l’a rendu dépendant des importations, et ses souks ne vendent plus de produits régionaux, sinon des produits venus du sud ou de l’extérieur.

Enfin, les familles de cultivateurs vivent chaque jour dans la peur de la répression. Le haschisch est un produit illicite, rappelons-le.

Un dialogue de sourd

En octobre 1992, et sous la pression de la CEE pour que cesse la production du kif, le roi Hassan II reconnaît l’ampleur du phénomène : 50 000 hectares à ce moment-là. Cette reconnaissance était nécessaire pour que son pays continue à toucher des aides européennes, pour ne pas mettre quelques 200 000 paysans au chômage, et sortir le Rif de l’extrême pauvreté. Le doute persiste toujours quant à la volonté réelle du Roi de restreindre cette activité. En effet, le gouvernement marocain permet la culture du cannabis dans certaines zones, et exerce une répression totalement aléatoire, décidant de la diminution de l’espace cultivable à tout moment et sous tous les prétextes, et ne s’en prenant toujours qu’au petit paysan plutôt qu’aux contrebandiers.

Des cultures alternatives

Le CERAI est une ONG créée en 1994 qui cherche à transformer le monde rural et agraire dans un esprit de développement durable, de solidarité, de respect des droits humains et de la démocratie participative. Entre 2000 et 2003, l’ONG a participé avec l’Union Européenne à un projet d’« introduction et de développement de cultures alternatives dans le Rif marocain » qui prétendait trouver des solutions agricoles pour des milliers de paysans cultivateurs de cannabis. Il s’agissait essentiellement d’un projet pilote, qui consistait à aider une demi-douzaine de paysans dans la création d’exploitations « modèles », de façon à inciter leurs voisins à emprunter la même voie pour substituer l’économie du cannabis. Des enquêtes ont été réalisées, des possibilités ont été étudiées et finalement, seuls quelques vignobles et amandiers ont pu être plantés. On y a aussi fait la promotion de l’élevage de chèvres. Les résultats ont montré qu’il est réducteur de n’aborder le problème de la culture du cannabis d’un point de vue uniquement agricole. Le contexte géographique, culturel et économique de la culture du cannabis, suggère qu’il est extrêmement difficile d’envisager des cultures alternatives et même des projets de développement intégral.

Le CERAI a alors mené à bien un projet de promotion de la femme rifaine, avec la création d’une coopérative féminine d’exploitation de mines de sel. Elle est aujourd’hui fonctionnelle et la vente du sel permet à ces femmes et à leurs familles d’obtenir un petit salaire, même s’il est minime, qui ne provient pas du cannabis. Dans le même axe, la création d’une coopérative textile féminine est en projet.

Key words

cannabis, single crop farming, profitability, soil degradation, product diversification, participation of farmers


, Morocco, Rif

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Mountain people in the world

Comments

L’éducation et le désenclavement comme promesses d’avenir

Majoritairement analphabètes et sans ressources, il semble difficile de pouvoir compter sur les seuls paysans pour pouvoir sortir du sous-développement et de la misère. Il faut en finir avec l’analphabétisme, mettre en place des formations professionnelles, des crédits pour la création de PME, développer la pêche et l’artisanat, le tourisme, l’industrie.

Comment ? Le désenclavement du Rif est indispensable ! Faire des routes, installer l’eau, l’électricité, créer des établissements d’enseignement, développer le tissu associatif et les syndicats, voilà la première chose à faire. S’il est trop tard pour que la vieille génération change, alors il faut donner les moyens à la génération à venir de le faire. Il semblerait qu’il y ait déjà des gens qui l’aient compris, notamment dans l’Union Européenne, qui finance la construction de la Rocade et de la route qui unira Oujda à Tanger.

L’acteur le plus important aujourd’hui est l’Etat marocain, mais pour cela il doit en finir avec la corruption et les liens douteux entre les forces de l’ordre et les trafiquants. Il ne s’en sortira pas tout seul, il doit être aidé par ses voisins, l’Union Européenne au premier rang.

« La montagne c’est le cœur de la vie, elle nous donne tout ce qui est essentiel : l’air, l’eau et la pureté. »

Notes

Cet entretien a été réalisé par ALMEDIO Consultores avec le soutien de la Fondation Charles-Léopold Mayer pendant la rencontre régionale organisée par l’Association des Populations des Montagnes du Monde - APMM.

Source

Entretien avec Jamal El Jebari, coordinateur logistique du CERAI Maroc, et Pascual Moreno Torregrosa, vice-président du Centro de Estudios Rurales y Agricultura Internacional (CERAI)

Calle del Justicia 1, puerta 8 – 46004 Valencia, ESPAGNE - Tel.: (+34) 96 35 21 878, (+212) 66 26 16 93 - informacion [at] cerai.es

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