11 / 2006
En quoi vous êtes-vous touché par les problèmes des montagnes aujourd’hui ?
Pour moi, la montagne est un vrai défi, un défi qui me passionne pour quatre raisons : tout d’abord, parce que je suis originaire du Moyen Atlas, parce que cela fait plus de 30 ans que je milite pour la défense et le développement de la langue et de la culture Amazigh, parce que je suis convaincu que le développement durable n’est pas possible dans un pays, quel qu’il soit, sans le développement des montagnes, et enfin parce que j’ai travaillé au cœur du problème pendant plus de deux ans en tant que ministre des Eaux et Forêts.
Quelle définition donneriez-vous de la montagne ?
Tout d’abord, j’aurais tendance moi-même à l’écrire avec un « M » majuscule, parce que pour moi, c’est une mère, j’ai un réel lien vital avec elle. Mais de façon plus conventionnelle, lorsque j’étais au poste de ministre des Eaux et Forêts, nous avions défini la montagne comme une altitude supérieure à 500 mètres : de 500 à 1 000 mètres il s’agit d’une petite montagne, de 1 000 à 2 000 mètres il s’agit d’une montagne moyenne, et si elle est supérieure à 2 000 mètres, alors c’est une haute montagne. Au Maroc, cela représente 187 450 km2, soit 26 % du territoire national, mais aussi une population de 7 500 000 habitants, soit 30 % de la population nationale, repartie en 714 communes dont 651 rurales. C’est un espace plein d’atouts. L’Adrar (montagne), c’est tout d’abord le « château d’eau du Maroc », mais ce sont aussi des richesses minières, des diversités biologiques, un savoir-faire transmis de générations en générations… Et malgré tout cela, c’est un milieu qui souffre d’un fort enclavement.
Cet enclavement, comment se manifeste-t-il ? Quels sont les problèmes qui découlent de cet isolement ?
Tout d’abord, il n’y pas de moyens « modernes » d’accès aux villages de montagnes, le seul remède pour se déplacer est le mulet ; puis, il y a des villages qui sont même dépourvus d’électricité, d’eau et de toute structure sanitaire, même de la plus basique. Je peux vous donner l’exemple concret d’un village grand producteur de pommes. Ce village n’a pas d’électricité, donc pas de réfrigérateurs pour la conservation ; de plus, le déplacement jusqu’au souk se fait à dos de mulet sur 15 kilomètres de piste impraticables, ce qui abîme complètement le fruit. Au final, le produit a perdu toute sa valeur et le prix de vente est dérisoire. Bien souvent, il n’y a pas d’école non plus. Les chiffres sont graves ! Le taux d’analphabétisme dépasse les 60 %. Je veux insister sur ce point, la scolarisation, car ce sont les jeunes qui sont l’avenir et l’espoir de nos montagnes. Même si dans certaines communes il y a une école primaire, ou un collège dans de très rares cas, les enfants n’ont pas les moyens d’aller au lycée et encore moins de faire des études supérieures car il n’y a pas de transport et les parents ne peuvent pas leurs payer un repas, des fournitures scolaires, etc. Souvent, ces parents ne possèdent rien de plus que quelques chèvres ! Et pourtant, nous avons besoin de former des instituteurs, des médecins, des guides qui sachent travailler avec la particularité de notre milieu. Si l’on ne rapproche pas ces jeunes du système éducatif, alors c’est sûr, ils vont déserter les sommets !
Quel est l’acteur, ou quels sont les acteurs les plus susceptibles d’apporter de possibles solutions ? Par quelles actions ?
« LA » solution, c’est bien sûr le désenclavement de la montagne. Mais comment voulez-vous attirer un investisseur privé dans un milieu totalement dépourvu d’infrastructure ? C’est là que l’Etat doit intervenir ! Il doit absolument investir dans l’aménagement des montagnes, créer des infrastructures de base, afin d’attirer par la suite d’autres investisseurs susceptibles de développer l’industrie du bois ou l’éco-tourisme, par exemple. Nous avons la preuve que cela peut marcher. Dans la province d’Azilal, à Aït Bouguemmez, Tabant, l’éco-tourisme fait vivre le village tout entier, mais aussi les villages alentours. Les touristes y viennent pour passer quelques jours dans des gîtes ou chez l’habitant et profiter des richesses de la montagne. Il y a même une école de guides de montagnes gratuite, financée par l’Etat.
Il faut aussi que l’Etat changent la loi et reconnaisse les spécificités de la montagne dans ses textes. Par exemple, si habituellement un camion utilisé en ville est amortissable sur cinq ans, alors il doit l’être sur deux ans en zone de montagne car les inconvénients mêmes du milieu font que ses capacités s’affaiblissent plus rapidement. Mais malheureusement, la montagne ne semble pas être dans les priorités de l’état car elle n’est pas rentable.
Il faut aussi encourager les montagnards à contracter des micro-crédits, et les sociétés de micro-crédits à leur en accorder, pour l’achat de chèvres, de lapins… De là, ils peuvent déjà obtenir du lait, de la viande et autres.
Concrètement, quelles actions avez-vous menées au sein du ministère des Eaux et Forêts ?
Entre les années 1999 et 2002, nous avons réalisé un travail très important. Tout d’abord, nous sommes partis du constat suivant : les enjeux sont à la fois écologiques, sociaux et économiques, et la politique en faveur de la montagne ne doit pas se limiter à de simples actions techniques et administratives. Au contraire, il doit plutôt s’agir d’une politique globale, mobilisant l’ensemble des acteurs dans une démarche volontariste et participative, et seule une loi spécifique pour la protection et le développement des montagnes peut assurer l’efficacité, la cohérence et l’intégration des mesures susceptibles de stimuler les potentialités de cet espace.
Aux vues des tristes constats dont je viens de parler, des problèmes que suscite cet isolement, il nous a semblé urgent de trouver des instruments pour étudier et palier à tous les problèmes de la montagne, ou au moins, pour les rendre moins aigus. Nous avons donc rapidement pensé à des moyens législatifs et réglementaires, des moyens institutionnels tels que la mise en place d’un conseil national de la montagne, d’un comité de massif, d’une agence de développement économique et social de massif et, ce qui me tenait le plus à cœur, d’un plan clair d’aménagement des bassins de versants.
Pour ce qui est de la question financière, nous avons décidé de faire appel à l’INDH (Initiative National pour le Développement Humain), lancée par Sa Majesté le Roi, en espérant amener l’Etat à investir davantage dans les massifs. 10 % des responsables l’ont déjà compris et j’attends que les 90 % restants en fassent autant. Le pouvoir doit aussi réviser la législation relative aux recettes forestières, car elles sont nombreuses mais leurs destinations ne sont pas celles qu’elles devraient être. Elles doivent servir au développement des zones de montagnes, et uniquement à cela.
Enfin, à partir des études faites par ces institutions, un dossier de conclusions a été remis à un expert marocain engagé par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) afin d’en faire un projet de loi. Aujourd’hui, il est toujours entre les mains des responsables du ministère Eaux et Forêts, et depuis 2002, nous n’avons aucune nouvelle. Voilà pourquoi j’insiste, encore et toujours, sur la nécessaire sensibilisation des responsables, et l’on obtiendra alors des résultats positifs, j’en suis certain !
Quels constats faites-vous quant à l’évolution de l’intérêt porté aux peuples de montagnes ?
Je suis personnellement satisfait. Une réelle évolution positive à cet égard peut se noter depuis un peu plus d’une décennie, au niveau des associations telles que l’APMM (Association des Populations de Montagnes du Monde), des organismes internationaux tels que la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), qui a lancé en 2002 l’Année de la montagne, du CMA (Congrès Mondial Amazigh), Ong regroupant des associations socioculturelles et de développement amazighes de Tamazgha (Algérie), et de la diaspora, qui est toujours à proximité des problèmes des Imazighen où qu’ils soient ; mais aussi auprès du citoyen, qui prend de plus en plus conscience du mal-être quotidien du montagnard.
Quelles sont vos attentes envers cette première Rencontre des Populations de montagnes d’Afrique du nord ?
Dans un premier lieu, il est important que les montagnards sachent qu’il existe une association, l’APMM, qui se préoccupe de leurs problèmes. Si l’APMM réussit à se diversifier, alors elle pourra avoir un impact réel.
J’espère aussi, nous espérons tous, attirer l’attention des gouvernements. Nous souhaitons recueillir des informations sur les différents maux dont souffre la montagne et sur les éventuelles solutions afin de les présenter aux pouvoirs publiques pour qu’ils prennent les mesures adéquates. Nous voulons nous faire entendre et convaincre.
Il y a un espoir lointain, mais il y a un espoir.
fight against poverty, access to credit, access to education, State intervention, development financing
, Morocco
Cet entretien a été réalisé par ALMEDIO Consultores avec le soutien de la Fondation Charles-Léopold Mayer pendant la rencontre régionale organisée par l’Association des Populations des Montagnes du Monde - APMM.
Interview
Hassan MAAOUNI, Vice-président du Parlement marocain, mobile: 00212 61308386, bureau: 00212 37679528, hassanmaaouni [at] yahoo.fr
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