Des conséquences de l’absence de renouvellement du contrat social
04 / 2006
Si une chose fait bien peur à certains français, c’est la perspective de réformes économiques et sociales d’inspiration anglo-saxonne. Dans l’imaginaire collectif, il s’agit, en effet, d’un modèle efficient en terme de croissance, soit, mais qui ne répond pas aux finalités de bien-être social. En ce sens la population française ne se trompe guère. Certes les taux de croissance anglais sont élevés, même si les taux de profits sont en décroissance depuis quelques années, et l’Angleterre est bien le pays de l’OCDE qui compte sur son territoire le plus d’enfants pauvres.
Si la situation sociale britannique est loin d’être brillante, la France semble jouir de quelques mythes concernant la sienne. Car le modèle social français à ses failles et elles sont de taille.
Déjà, durant les trente glorieuses - période pourtant désignée comme l’eldorado de notre protection sociale - la France détenait le record des inégalités des pays de l’OCDE.
Aujourd’hui, le baromètre des inégalités et de la pauvreté, le BIP 40 (1), indique que les inégalités auraient augmenté substantiellement entre 2002 et 2003. Les emplois à bas salaire seraient également en hausse, puisque l’INSEE les estimait à 41% en 1992 alors qu’ils atteignent les 50% en 2001. Alternatives économiques avec l’aide des chiffres d’Eurostat a établi le rapport, pour l’Europe des 25, entre les salaires des cadres supérieurs, professions intellectuelles et ceux des conducteurs d’installations, ouvriers d’assemblage de l’industrie. Les résultats sont édifiants puisque parmi les pays les plus inégalitaires on retrouve la France juste derrière la Slovénie, le Portugal et l’Italie mais largement devant l’Irlande, l’Angleterre, l’Espagne, la Slovaquie et les dix nouveaux membres de l’Europe.
Pour certains analystes, mener des politiques de protection sociale généreuses, financées par une imposition assez élevée, est inefficace voire même quasiment impossible dans une structure des revenus salariaux aussi inégalitaire..
Eric Maurin, directeur de recherche à l’EHESS, estime en outre que « le modèle social français se caractérise par son élitisme et son malthusianisme » , par des inégalités substantielles entre jeunes et vieux, qualifiés et non qualifiés, hommes et femmes etc…
Cette situation est-elle due au relativement mauvais bilan économique français ? Non. Elle prendrait plutôt sa source dans l’absence de dialogue et de consensus social car les résultats économiques français ne sont pas désastreux. A l’instar des profits des entreprises du CAC 40 qui ont quasiment doublé en un an, passant de 35 milliards d’euros en 2003 à 60 en 2004. Le conseil d’observation économique explique cette progression par l’internalisation des groupes français (le chiffre d’affaire des entreprises du CAC 40 est réalisé pour les 2/3 à l’étranger). Mais les entreprises préfèrent distribuer des dividendes à leurs actionnaires ou racheter leurs propres actions pour doper les cours plutôt que d’investir et d’embaucher semble-t-il. Depuis 7 ans les entreprises françaises redistribuent ainsi 40% de leurs résultats aux dividendes, à titre de comparaison les entreprises étasuniennes en ont redistribué 50% sur la période 1987-2004. Difficile avec ce genre de pression d’envisager d’embaucher et d’investir durablement. Depuis 1984 la part des salaires, hors cotisations sociales, versés par les entreprises dans la valeur ajoutée est en chute libre : dépassant les 54% en 1984, elle va tomber en dessous des 46% en 1990 variant jusqu’à 2002 entre 45 et 48 %.
Ce sont donc bien les politiques de répartition et de redistribution qui sont en panne et non l’économie française. Une réforme des politiques sociales est donc nécessaire, mais impossible ou inefficace sans la mise en place de réformes économiques, politiques et sociales cohérentes et légitimées, soit en l’absence de nouveau contrat social.
Économie, société et environnement : des éléments de réflexion pour une société durable
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MAURIN Eric, DUVAL Guillaume, Le modèle français en crise, Alternatives économiques, n°238, juillet-août 2005
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