Projet de loi sur la garantie d’emploi en milieu rural en Inde, destiné aux plus démunis et sous la forme d’emploi non qualifié et peu rémunéré
10 / 2005
Il est bien connu que la corruption revêt de multiples formes en Inde. Le BJP, principal parti d’opposition, pense que le ministre des chemins de fer, Laloo Prasad Yadav, est un bel exemple de la chose et réclame sa tête. Résultat : le projet de loi sur la garantie d’emploi en milieu rural prend du retard car il attend le feu vert d’une commission parlementaire présidée par un député BJP qui, avec d’autres gens de la même formation, a décidé de ne pas aller à son travail. Ce projet de loi a été présenté au parlement en décembre 2004, après bien des disputes sur les sommes à affecter aux programmes d’emploi pour des millions de pauvres. Le texte, une fois édulcoré, prévoit de proposer 100 jours d’emplois manuels non qualifiés dans l’année pour un adulte d’un ménage nécessiteux.
Ces dépenses, disent les critiques, ne serviront à rien. Ont-ils raison ? Et si au contraire cela pouvait faire entrevoir de nouvelles perspectives économiques à une multitude d’Indiens ! Pour en arriver là, il faudra manifestement se focaliser moins sur les dépenses budgétaires et bien davantage sur « le pourquoi » et « le comment ». C’est à dire que ce programme particulier doit s’insérer pleinement dans le plan de développement national. Malheureusement, même les partisans de ce texte y voient essentiellement une démarche d’assistance : donner un petit boulot aux démunis contre un peu d’argent afin qu’ils puissent tenir pendant la période de sécheresse. Or de ce projet de loi on pourrait faire un instrument non pas seulement de lutte contre les conséquences d’une sécheresse mais carrément de prévention pour temps de sécheresse.
Pour que ces emplois contribuent vraiment au développement, il ne suffit pas de mettre en Ĺ“uvre des mécanismes de financement. Nous devrions tous comprendre qu’en Inde le plus gros gisement d’emplois se trouve dans la valorisation du patrimoine rural : arbres, pâturages, récolte de l’eau, chemins… Tout cela exige beaucoup de bras. Force est de constater que ce qui a été fait pendant une saison disparaît souvent la saison suivante.
Comment procéder pour que tout ce travail débouche sur des réalisations durables et productives ? Jusqu’à présent ces programmes donnent lieu à des emplois improductifs : creuser des trous, puis les remplir de terre et recreuser ! Le chemin construit par le travail des pauvres sera emporté à la prochaine saison, tout comme le barrage. Le jeune arbre planté cette année sera sec l’an prochain. Pour que les choses changent, ces programmes doivent véritablement servir de socle aux initiatives de développement local. Par l’emploi proposé, les plus démunis participeront davantage à l’amélioration du patrimoine naturel de la localité.
Mais il ne suffit pas de faire apparaître telle ou telle infrastructure. Il faudra en même temps bien savoir à qui elle appartient, qui en aura la charge. Jusqu’à présent ces programmes prévoyaient la construction d’équipement publics : routes, retenues d’eau, écoles… L’embêtant c’est que personne en particulier ne se sent vraiment responsable de ces installations. Les pouvoirs publics sont représentés sur place par toutes sortes de services, ce qui ne favorise guère une bonne coordination.
Prenons l’exemple de l’eau. Un réservoir a forcément besoin d’un bassin versant. Avec les programmes pour l’emploi, il y aura des bras pour remuer la terre mais c’est l’administration (la Direction des forêts ou les Domaines) qui continue à avoir autorité sur cet espace. Le réservoir appartient sans doute à la municipalité (panchayat) si c’est un petit, à la Direction de l’irrigation s’il est grand. Mais ça reste un trou dans la terre tant que le reste ne suit pas. Autant d’emplois improductifs !
A qui peut-on confier la réalisation d’infrastructures utiles dans la durée ? Une bureaucratie morcelée ne produira que des réponses morcelées, chaque service consacrant beaucoup de temps à défendre son territoire sous couvert de « consolidation des programmes ». Il est donc indispensable d’identifier les véritables « propriétaires » du patrimoine en question et de leur confier tout à fait officiellement la gestion des ressources concernées.
Pour ce faire, il est indispensable que les programmes d’emploi aillent de pair avec une décentralisation appropriée, que ces emplois soient du ressort des municipalités, que les services publics qui s’occupent de l’eau et du foncier se mettent au service de ces municipalités. Que les choses soient claires : les infrastructures ainsi créées devront être pensées, possédées et gérées par les collectivités locales, et non pas par des administrations sans visage. Il faut absolument faire évoluer le système de gouvernance actuel, notamment en prévoyant un droit de regard des assemblées villageoises (gram sabhas) sur les conseils municipaux (panchayats), en rendant publics les mouvements d’argent. L’argent public pourra peut-être ainsi parvenir jusqu’à ceux à qui il est en principe destiné. Il restera alors à passer aux travaux pratiques.
Ce projet de loi est particulièrement important, parce qu’il donnera du travail à des nécessiteux, parce que, si elle fait l’objet d’une application correcte, la nouvelle loi pourrait contribuer à réduire la corruption, dont le BJP prétend s’offusquer présentement. En matière de corruption, la corruption de « ceux d’en haut » est des plus regrettables mais elle est peut-être moins gênante au quotidien que la corruption ordinaire de « ceux d’en bas », capable de transformer tout projet gouvernemental en une véritable farce. Rajiv Gandhi (premier ministre de l’Inde de 1984 à 1989, disait que pour chaque roupie (= 100 paises) officiellement destinée aux gens démunis, il n’arrivait que 15 paises à destination. Peut-on espérer que cela change ?
fight against poverty, social aid, social policy, bureaucracy, community development, corruption
, India
Ce projet de loi a été adopté par le Parlement en août 2005
Texte traduit en français par Gildas Le Bihan
Texte d’origine en anglais publié dans la revue Down To Earth : NARAIN Sunita, Time we counted real change. Down To Earth vol. 14, n°1, Center for Science and Environment, 31 mai 2005 (INDE), p. 5
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